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Le Futur
du Capitalisme
Par Gilles Marchand
Plus que
jamais, une refonte salutaire du capitalisme est aujourd'hui nécessaire.
Il
apparaît un peu plus clairement chaque jour que le système économique
sur lequel repose l'organisation de nos sociétés arrive à cul de sac
théorique qui le rend dangereusement inadapté pour assurer à long terme
leur prospérité à venir. Partout, on constate une perte de substance
associée à une progressive dématérialisation des richesses quand elles
sont confrontées à des fluctuations quotidiennes qui en érodent la
valeur absolue à long terme. Le laisser faire total en matière
financière se double d'un chacun pour soi qui encourage les manquements
les plus grossiers à une nécessaire coordination industrielle et
boursière et induit au cours du temps des comportements prédateurs qui
ne font que réduire, au nom d'une prétendue rationalité économique, un
nombre toujours plus large d'intervenants. D'autre part, les fractures
technologiques en pays pauvres et pays riches créent un tissu disruptif
qui fragilise la continuité de l'activité économique.
Toutes
ces tendances — heureusement — ne sont pas des fatalités, mais les
réajustements pour l'instant imaginés font figure de pis aller encore
inadaptés face aux nécessités qui se font jour. Le système de regard
imaginé aux États unis ne fait que rejoindre des règles déontologiques
existant en Europe depuis longtemps et une fois l'harmonisation
atteinte, on découvrira la pauvreté d'un dispositif qui, s'il est seul
à répondre aux besoins, ne pourra assurer le rôle qui lui est dévolu.
Les solutions, comme faisceau de mesures, doivent être plus profondes
si l'on veut prendre en compte les bouleversements énormes qui sont
apparus au plan mondial dans l'ordre symbolique et au-delà.
Tout d'abord, il faut changer d'échelle.
Il
s'agit d'imaginer des règles déontologiques, des règles
comportementales permettant aux différents acteurs du marché mondial de
vivre en bonne entente les uns avec les autres afin de maximiser la
création de richesse. Nous nous éloignerons alors de la chasse et de la
cueillette à laquelle on assiste actuellement sur les marchés
financiers pour rejoindre une phase qui serait plus proche d'une
agriculture. Sans établir de structures coercitives, qui brideraient la
liberté individuelle, il est possible d'imaginer qu'une gouvernance
supervise, conseille, encourage et distingue ceux qui feraient appel à
son expertise. D'une culture extensive, on aboutirait, à terme, à une
intensification des récoltes sans appauvrissement de ce qui en fait le
terreau, ainsi qu'à une élévation du niveau de vie mondial sans
déprédation pour l'environnement, si la croissance est pensée en termes
écologiques et que l'on ne s'interdit pas la décroissance choisie
parallèle dans certains domaines, notamment les plus polluants.
Cette
phase doit en effet être entourée d'une réflexion écologique appropriée
avec un recours accru aux énergies renouvelables et en particulier à
celle qui nous tirera à long terme de la dépendance énergétique :
l'hydrogène. Il est urgent de bannir les énergies fossiles qui
asphyxient l'atmosphère terrestre pour faire appel à celles qui sont
capables de véritables miracles écologiques.
Mal prise en
compte, l'internationalisation des marchés ne dispose pas
d'élément véritablement opérant qui permette de les orienter à ce
même niveau. Or l'économie mondiale a drastiquement besoin d'un
gouvernail. Si le laisser faire peut être une vertu en soi, il peut
avoir, surtout quand il se produit dans une période tumultueuse, des
conséquences désastreuses et personne ne souhaite revivre l'épisode de
2008, d'abord parce que nous n'avons pas la possibilité de faire la
même chose une deuxième fois.
Aujourd'hui, il devient
indispensable faire de la place à la progressive activation de
structures de régulation douces seules à même de défendre l'intérêt
général mondial en des temps qui commandent un sursaut salutaire. Il
faut une gouvernance mondiale qui joue le rôle, si ce n'est de
gouvernement mondial, du moins de centre de décision, de contrôle
relatif et de taxation internationale autre que le F.M.I. et la Banque
Mondiale, afin de juguler la trop grande inorganisation des marchés.
Ceci n'est pas la première urgence du G20, mais c'est une question
d'actuelle importance.
La financiarisation de l'économie
crée de la richesse et on n’imagine pas une richesse qui ne soit, sinon
prélevée, du moins issue de l'économie mondiale — tout travail méritant
salaire, or, l'argent travaille — sans être à terme , en un lieu donné
de la chaîne, valorisée par un impôt ou un fractionnement tarifaire,
même très limité, qui puisse ensuite bénéficier à l'ensemble de la
communauté, en étant redirigé et géré par une structure pouvant être un
organisme dédié des Nations Unies qui ne traiterait pas uniquement des
questions commerciales, comme c'est le cas de l'OMC, et qui définirait
parallèlement ou qui mettrait en place des outils de création de
richesse.
Cette
redistribution internationale sous-tendue par une réflexion commune et
pilotée une programmation analytique des besoins, renforcerait
naturellement le rôle de l'ONU, ce qui permettrait un contrôle
démocratique accru, qui devrait d'ailleurs être couplé à une
transparence délibérée et une médiatisation large de ces questions pour
que la société civile et les opinions publiques puissent jouer leur
rôle. Une redistribution, même à la marge, faciliterait les missions
qui sont aujourd'hui dévolues à cette institution. Elle permettrait de
faire sortir de leur dénuement de vastes bassins de populations,
beaucoup de salariés étant actuellement bien formés ou disposant de
cursus faciles à compléter efficacement, mais étant actuellement au
chômage pour des raisons principalement structurelles. Celles-ci
gagneraient beaucoup à produire à nouveau des richesses grâce à leur
travail, ou à se livrer à une activité créative rémunérée, si mettre un
pied à l'étrier leur était permis.
Elle rendrait par
conséquent possible à une échelle large ce qui avait jadis été tenté et
accompli avec succès dans les états nationaux développés et permettrait
de ramener ces acteurs économiques démunis vers l'économie réelle, y
compris celle des biens immatériels, afin de développer des volants de
croissance longtemps inobservés dans ces pays, les politiques menées
devant s'ajuster à la nature réelle des économies ainsi relancées. Elle
permettrait une augmentation mécanique des cotisations et un allégement
parallèle des prestations versées dans les économies concernés ainsi
qu'une harmonisation démocratique, économique, écologique (ces
problématiques étant aussi liées à l'aspect sanitaire et social), elles
permettraient au passage une consolidation des régimes de retraites et
de santé.
Les
circuits financiers sont aujourd'hui altérés. Ils débouchent sur des
poches d'air, des bulles spéculatives et des lieux d'épanchements qui
créent des hémorragies de la richesse mondiale. En d'autres termes, la
circulation sanguine de la planète ne permet pas de "réoxygèner" des
portions parfois larges de son tissu économique. Et, qui plus est,
celle-ci se fait sans code de la route. Qu'on s'étonne que des
"accidents" s'y produisent.
Concernant l'économie
dématérialisée, il s'avère utile de la prendre en compte comme un
secteur à part entière, le quatrième après ceux de l'agriculture, de
l'industrie et des services et de répercuter ses bilans dans la
comptabilité nationale de chaque pays, ce avec l'aide des sociétés, y
compris étrangères, qui s'y livrent à des activités commerciales. On
établira ainsi des descriptifs plus fidèles de la réalité économique et
une meilleure intelligibilité des données la concernant. Aujourd'hui,
ce secteur est encore très mal pris en compte, ce qui a pour effet de
fausser les grilles de lecture économiques ainsi que les moyens à
mettre en œuvre dans la conduction et l'exercice de politiques
appropriées. Ainsi il sera possible de l'intégrer plus avant dans les
économies nationales, de le taxer, sans fragiliser pour autant le
"mortar". On pourra faire des avancées plus grandes dans le paiement
électronique, contrepartie de l'établissement de relations "adultes"
entre les différents secteurs qui ne seraient plus séparés par des
hiatus remettant en cause leur intégration sociétale. Il sera alors
possible, sans crainte exagérée, que soient assimilés des pans plus
larges de la culture et des comportements de la société technologique
qui soient plus l'établissement d'un passage et d'une évolution
salvatrice plus qu'une révolution qui casse le fonctionnement
harmonieux d'un monde soudain soumis à des tiraillements excessifs.
Les
règles qui définissent aujourd'hui les entreprises sont elles-mêmes
soit inadaptées, soit exagérément opérantes ce qui revient au même,
puisque ce trop managerial les fragilisent à terme et remet en question
leur positionnement dans les tissus où elles viennent s'implanter.
Partout se lit le recul de l'humain et de la prise en compte de sa
valeur.
C'est l'échec essentiel de l'ultra libéralisme.
Il
se détache de la réalité pour un toujours plus pragmatique qui le
déconnecte des besoins réels de l'économie, c'est à dire répondre aux
besoins des hommes d'une manière optimale. Il ne répond plus aux
besoins humains. Il répond à terme aux desiderata aveugles de quelques
boards toujours plus restreints et avides et, à terme, on peut tabler
sur une dématérialisation finale de cette création de richesse
seulement conservée sous forme numérique dans des machines elles-mêmes
incapables de créer un mieux économique. C'est pourquoi il doit être
pensé en termes humains. Car dans un premier temps, s'il a été capable
d'établir une prospérité et une évolution réelle des sociétés qui l'ont
mis en œuvre et de créer une mystique associée qui était cohérente et
efficiente, il sera très vite incapable de produire un discours
d'adhésion large dans la mesure où il nie l'humain de manière toujours
plus grande.
Pour le sortir de l'ornière, et revenir au
but initial de l'économie, il faut replacer l'homme — et la femme — au
centre de ses préoccupations principales et créer une économie qui ne
fonde plus sa valeur étalon sur de l'or ou une devise mais sur l'homme
lui-même, valeur centrale de l'économie. Ce changement est énorme mais
il est le seul à terme comme un point de fuite dans un tableau permet
de lentement tracer toutes les perspectives du paysage.
Nantis
de cet éclairage ontologique il est possible de faire progressivement
converger les décisions, et de guider les réflexions qui seront nourris
en marge de cette analyse. Il ne s'agit pas d'abandonner un système
économique pour un autre, mais de lentement adapter l'existant aux
nécessites qui se font aujourd'hui jour afin de ne jamais prendre de
vue l'essentiel. L'homme ne doit pas servir la machine. Il doit au
contraire être servi par elle. S'en servir comme d'un outil. Dans les
schémas qui servent à mettre au point les produits, interfaces et
systèmes destinés à notre quotidien à venir, cette nécessité doit
s'imposer à ceux qui en définissent les contours. Sinon, notre richesse
sera noyée dans des sables mouvants virtuels. Ce ne sera pas le cas si
nous savons être vigilants. Instituer des gardent fous qui
empêchent les exclus potentiels du système de sortir de ses voies de
circulation. Il faut garantir les éléments essentiels à la vie.
Ceci, l'ultra libéralisme ne sait plus le faire.
C'est
donc un capitalisme à visage humain qui doit émerger. Un capitalisme
qui assure à chacun les moyens de son enrichissement, de sa mobilité
sociale ou de sa réalisation personnelle en fonction de ses capacités
et de ses mérites, et dans lequel un certain nombre de minima soient
garantis à un niveau large, planétaire à terme. Un capitalisme qui
n'utilise pas la misère planétaire comme un moyen de réduire la
richesse des habitants des pays riches mais qui élève tous ceux qui
sont présents aux meilleurs standards qu'il a permis d'atteindre. C'est
vraiment une question d'imagination et d'organisation. Cette
conformation est non seulement possible mais elle n'est pas prédatrice
pour l'économie et ses mouvements sous jacents. Au contraire elle lui
permettra de dépasser le blocage sur lequel elle bute actuellement et
de se renouveler. L'intelligence numérique est pour nous un atout qui
nous donne une puissance d'intervention inégalée à ce jour et
l'apprentissage par les machines des données qui font notre réalité est
une chance de refondaison générale mais rien ne peut se créer en dehors
des ressources supérieures de l'esprit humain quand il est confronté à
un problème à priori insoluble.
Une fois ce saut sémantique fait, il y a fort à parier que nous verrons
enfin émerger une prospérité nouvelle.
Novembre 2010
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