Dec.
2010

L'actualité du Mois

Le Futur du Capitalisme
Par Gilles Marchand



Plus que jamais, une refonte salutaire du capitalisme est aujourd'hui nécessaire.

 
Il apparaît un peu plus clairement chaque jour que le système économique sur lequel repose l'organisation de nos sociétés arrive à cul de sac théorique qui le rend dangereusement inadapté pour assurer à long terme leur prospérité à venir. Partout, on constate une perte de substance associée à une progressive dématérialisation des richesses quand elles sont confrontées à des fluctuations quotidiennes qui en érodent la valeur absolue à long terme. Le laisser faire total en matière financière se double d'un chacun pour soi qui encourage les manquements les plus grossiers à une nécessaire coordination industrielle et boursière et induit au cours du temps des comportements prédateurs qui ne font que réduire, au nom d'une prétendue rationalité économique, un nombre toujours plus large d'intervenants. D'autre part, les fractures technologiques en pays pauvres et pays riches créent un tissu disruptif qui fragilise la continuité de l'activité économique.


 
Toutes ces tendances — heureusement — ne sont pas des fatalités, mais les réajustements pour l'instant imaginés font figure de pis aller encore inadaptés face aux nécessités qui se font jour. Le système de regard imaginé aux États unis ne fait que rejoindre des règles déontologiques existant en Europe depuis longtemps et une fois l'harmonisation atteinte, on découvrira la pauvreté d'un dispositif qui, s'il est seul à répondre aux besoins, ne pourra assurer le rôle qui lui est dévolu. Les solutions, comme faisceau de mesures, doivent être plus profondes si l'on veut prendre en compte les bouleversements énormes qui sont apparus au plan mondial dans l'ordre symbolique et au-delà.
 
Tout d'abord, il faut changer d'échelle.
 
Il s'agit d'imaginer des règles déontologiques, des règles comportementales permettant aux différents acteurs du marché mondial de vivre en bonne entente les uns avec les autres afin de maximiser la création de richesse. Nous nous éloignerons alors de la chasse et de la cueillette à laquelle on assiste actuellement sur les marchés financiers pour rejoindre une phase qui serait plus proche d'une agriculture. Sans établir de structures coercitives, qui brideraient la liberté individuelle, il est possible d'imaginer qu'une gouvernance supervise, conseille, encourage et distingue ceux qui feraient appel à son expertise. D'une culture extensive, on aboutirait, à terme, à une intensification des récoltes sans appauvrissement de ce qui en fait le terreau, ainsi qu'à une élévation du niveau de vie mondial sans déprédation pour l'environnement, si la croissance est pensée en termes écologiques et que l'on ne s'interdit pas la décroissance choisie parallèle dans certains domaines, notamment les plus polluants.


 
Cette phase doit en effet être entourée d'une réflexion écologique appropriée avec un recours accru aux énergies renouvelables et en particulier à celle qui nous tirera à long terme de la dépendance énergétique : l'hydrogène. Il est urgent de bannir les énergies fossiles qui asphyxient l'atmosphère terrestre pour faire appel à celles qui sont capables de véritables miracles écologiques.
 
Mal prise en compte, l'internationalisation des marchés ne dispose pas d'élément  véritablement opérant qui permette de les orienter à ce même niveau. Or l'économie mondiale a drastiquement besoin d'un gouvernail. Si le laisser faire peut être une vertu en soi, il peut avoir, surtout quand il se produit dans une période tumultueuse, des conséquences désastreuses et personne ne souhaite revivre l'épisode de 2008, d'abord parce que nous n'avons pas la possibilité de faire la même chose une deuxième fois.
 
Aujourd'hui, il devient indispensable faire de la place à la progressive activation de structures de régulation douces seules à même de défendre l'intérêt général mondial en des temps qui commandent un sursaut salutaire. Il faut une gouvernance mondiale qui joue le rôle, si ce n'est de gouvernement mondial, du moins de centre de décision, de contrôle relatif et de taxation internationale autre que le F.M.I. et la Banque Mondiale, afin de juguler la trop grande inorganisation des marchés. Ceci n'est pas la première urgence du G20, mais c'est une question d'actuelle importance.
 
La financiarisation de l'économie crée de la richesse et on n’imagine pas une richesse qui ne soit, sinon prélevée, du moins issue de l'économie mondiale — tout travail méritant salaire, or, l'argent travaille — sans être à terme , en un lieu donné de la chaîne, valorisée par un impôt ou un fractionnement tarifaire, même très limité, qui puisse ensuite bénéficier à l'ensemble de la communauté, en étant redirigé et géré par une structure pouvant être un organisme dédié des Nations Unies qui ne traiterait pas uniquement des questions commerciales, comme c'est le cas de l'OMC, et qui définirait parallèlement ou qui mettrait en place des outils de création de richesse.


 
Cette redistribution internationale sous-tendue par une réflexion commune et pilotée une programmation analytique des besoins, renforcerait naturellement le rôle de l'ONU, ce qui permettrait un contrôle démocratique accru, qui devrait d'ailleurs être couplé à une transparence délibérée et une médiatisation large de ces questions pour que la société civile et les opinions publiques puissent jouer leur rôle. Une redistribution, même à la marge, faciliterait les missions qui sont aujourd'hui dévolues à cette institution. Elle permettrait de faire sortir de leur dénuement de vastes bassins de populations, beaucoup de salariés étant actuellement bien formés ou disposant de cursus faciles à compléter efficacement, mais étant actuellement au chômage pour des raisons principalement structurelles. Celles-ci gagneraient beaucoup à produire à nouveau des richesses grâce à leur travail, ou à se livrer à une activité créative rémunérée, si mettre un pied à l'étrier leur était permis.
 
Elle rendrait par conséquent possible à une échelle large ce qui avait jadis été tenté et accompli avec succès dans les états nationaux développés et permettrait de ramener ces acteurs économiques démunis vers l'économie réelle, y compris celle des biens immatériels, afin de développer des volants de croissance longtemps inobservés dans ces pays, les politiques menées devant s'ajuster à la nature réelle des économies ainsi relancées. Elle permettrait une augmentation mécanique des cotisations et un allégement parallèle des prestations versées dans les économies concernés ainsi qu'une harmonisation démocratique, économique, écologique (ces problématiques étant aussi liées à l'aspect sanitaire et social), elles permettraient au passage une consolidation des régimes de retraites et de santé.


 
Les circuits financiers sont aujourd'hui altérés. Ils débouchent sur des poches d'air, des bulles spéculatives et des lieux d'épanchements qui créent des hémorragies de la richesse mondiale. En d'autres termes, la circulation sanguine de la planète ne permet pas de "réoxygèner" des portions parfois larges de son tissu économique. Et, qui plus est, celle-ci se fait sans code de la route. Qu'on s'étonne que des "accidents" s'y produisent.
 
Concernant l'économie dématérialisée, il s'avère utile de la prendre en compte comme un secteur à part entière, le quatrième après ceux de l'agriculture, de l'industrie et des services et de répercuter ses bilans dans la comptabilité nationale de chaque pays, ce avec l'aide des sociétés, y compris étrangères, qui s'y livrent à des activités commerciales. On établira ainsi des descriptifs plus fidèles de la réalité économique et une meilleure intelligibilité des données la concernant. Aujourd'hui, ce secteur est encore très mal pris en compte, ce qui a pour effet de fausser les grilles de lecture économiques ainsi que les moyens à mettre en œuvre dans la conduction et l'exercice de politiques appropriées. Ainsi il sera possible de l'intégrer plus avant dans les économies nationales, de le taxer, sans fragiliser pour autant le "mortar". On pourra faire des avancées plus grandes dans le paiement électronique, contrepartie de l'établissement de relations "adultes" entre les différents secteurs qui ne seraient plus séparés par des hiatus remettant en cause leur intégration sociétale. Il sera alors possible, sans crainte exagérée, que soient assimilés des pans plus larges de la culture et des comportements de la société technologique qui soient plus l'établissement d'un passage et d'une évolution salvatrice plus qu'une révolution qui casse le fonctionnement harmonieux d'un monde soudain soumis à des tiraillements excessifs.


 
Les règles qui définissent aujourd'hui les entreprises sont elles-mêmes soit inadaptées, soit exagérément opérantes ce qui revient au même, puisque ce trop managerial les fragilisent à terme et remet en question leur positionnement dans les tissus où elles viennent s'implanter. Partout se lit le recul de l'humain et de la prise en compte de sa valeur.
 
C'est l'échec essentiel de l'ultra libéralisme.


 
Il se détache de la réalité pour un toujours plus pragmatique qui le déconnecte des besoins réels de l'économie, c'est à dire répondre aux besoins des hommes d'une manière optimale. Il ne répond plus aux besoins humains. Il répond à terme aux desiderata aveugles de quelques boards toujours plus restreints et avides et, à terme, on peut tabler sur une dématérialisation finale de cette création de richesse seulement conservée sous forme numérique dans des machines elles-mêmes incapables de créer un mieux économique. C'est pourquoi il doit être pensé en termes humains. Car dans un premier temps, s'il a été capable d'établir une prospérité et une évolution réelle des sociétés qui l'ont mis en œuvre et de créer une mystique associée qui était cohérente et efficiente, il sera très vite incapable de produire un discours d'adhésion large dans la mesure où il nie l'humain de manière toujours plus grande.
 
Pour le sortir de l'ornière, et revenir au but initial de l'économie, il faut replacer l'homme — et la femme — au centre de ses préoccupations principales et créer une économie qui ne fonde plus sa valeur étalon sur de l'or ou une devise mais sur l'homme lui-même, valeur centrale de l'économie. Ce changement est énorme mais il est le seul à terme comme un point de fuite dans un tableau permet de lentement tracer toutes les perspectives du paysage.


 
Nantis de cet éclairage ontologique il est possible de faire progressivement converger les décisions, et de guider les réflexions qui seront nourris en marge de cette analyse. Il ne s'agit pas d'abandonner un système économique pour un autre, mais de lentement adapter l'existant aux nécessites qui se font aujourd'hui jour afin de ne jamais prendre de vue l'essentiel. L'homme ne doit pas servir la machine. Il doit au contraire être servi par elle. S'en servir comme d'un outil. Dans les schémas qui servent  à mettre au point les produits, interfaces et systèmes destinés à notre quotidien à venir, cette nécessité doit s'imposer à ceux qui en définissent les contours. Sinon, notre richesse sera noyée dans des sables mouvants virtuels. Ce ne sera pas le cas si nous savons être vigilants.  Instituer des gardent fous qui empêchent les exclus potentiels du système de sortir de ses voies de circulation. Il faut garantir les éléments essentiels à la vie.
 
Ceci, l'ultra libéralisme ne sait plus le faire.

C'est donc un capitalisme à visage humain qui doit émerger. Un capitalisme qui assure à chacun les moyens de son enrichissement, de sa mobilité sociale ou de sa réalisation personnelle en fonction de ses capacités et de ses mérites, et dans lequel un certain nombre de minima soient garantis à un niveau large, planétaire à terme. Un capitalisme qui n'utilise pas la misère planétaire comme un moyen de réduire la richesse des habitants des pays riches mais qui élève tous ceux qui sont présents aux meilleurs standards qu'il a permis d'atteindre. C'est vraiment une question d'imagination et d'organisation. Cette conformation est non seulement possible mais elle n'est pas prédatrice pour l'économie et ses mouvements sous jacents. Au contraire elle lui permettra de dépasser le blocage sur lequel elle bute actuellement et de se renouveler. L'intelligence numérique est pour nous un atout qui nous donne une puissance d'intervention inégalée à ce jour et l'apprentissage par les machines des données qui font notre réalité est une chance de refondaison générale mais rien ne peut se créer en dehors des ressources supérieures de l'esprit humain quand il est confronté à un problème à priori insoluble.


 
Une fois ce saut sémantique fait, il y a fort à parier que nous verrons enfin émerger une prospérité nouvelle.

Novembre 2010

Placez un signet sur cette page qui dresse un tableau mensuel inédit de l'actualité...

Retour au sommaire

  INFORMATIONS SANS FRONTIERES • contact
Paris
France
Europe
UniversitÈs
Infos
Contact