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Restart Europe
Par Gilles Marchand
Il
est temps qu’une nouvelle offre politique, autre que celle des
extrêmes, redonne à l’Europe le souffle immédiat et à l’échelle des
siècles dont elle a besoin.
Trop
longtemps avons-nous souffert d’observer les éléments de structure
européens se désagréger sans apparemment trouver de réponse adéquate de
la plupart des hommes politiques européens et le paysage social du
continent s’est manifestement dégradé. Hormis la parenthèse enchantée
de 1998-2002, qui a vu des politiques inspirées et un contexte
véritablement favorable, nous avons vécu des heures toujours plus
délicates sur le plan économique. Le pire est que la crise ne devienne
actuellement et à terme politique, les citoyens souffrants de ces
paroxysmes de difficultés expérimentant par degrés et à tord une forme
d’offre politique qui lui parait alternative, et qui en réalité ne les
conduira, s’ils devaient la suivre, qu’à des difficultés bien plus
grandes encore.
Les extrêmes ne sont pas la réponse à nos problèmes. Quels que soient
les biais par lesquels ils entendent justifier leurs positions et choix
politiques éventuels, une catastrophe économique menacerait rapidement
si de telles politiques voyaient le jour. Le tissu d’inepties de leur
programme ne saurait constituer un viatique. Par contre il faut
répondre à tous les gens qui aujourd’hui souffrent de ne pas voir de
changements concrets affecter en bien leur quotidien, hormis les
récentes baisses d’impôts préconisées et les augmentations d’aides à la
rentrée qui vont, elles, plutôt dans le sens d’une embellie économique.
Il suffit de traverser le centre du pays ailleurs que par les
autoroutes pour être frappé du degré de déliquescence de certains
villages et des centaines de maisons qui sont laissées à l’abandon. La
France, je le dis haut et fort, possède des atouts immenses, des
constructions séculaires faites de murs de pierre qui ne demandent qu’à
être rénovés et à être habités à nouveau. Il faut nous mettre en valeur
ce patrimoine, gommer les jachères, renouveler les voies d’accès,
construire à l’épreuve des changements climatiques comme c’est le cas
dans les iles cycloniques où chaque maison est pensée dans cette
perspective.
Le pays pourrait assez aisément passer de sa population actuelle à une
nation de 150 ou 200 millions d’habitants, tant est relativement
déserte et géographiquement riche la France. Il faut que ce soit une
population éduquée, imaginative, volontaire, décomplexée et capable de
transmuer le travail physique en travail principalement intellectuel,
mais pas seulement. C’est le sens des réalités qui a fait en partie la
grandeur de notre peuple. Un fort coefficient en mathématiques et une
propension à triompher des pires difficultés. C’est la fraternité qui a
fait le ciment de cette partie du monde, et le consensus de tous, ce
génie invisible qui habite la société et permet à la liberté d’y
régner. Il faut réinventer toutes nos principales valeurs, les passer à
l’étamine des versions réactualisées de la vie actuelle. La liberté
doit être une liberté qui permette de se mouvoir sans entraves dans une
société qui a profondément changée en quelques décennies, respectant
ses lois et ses principes fondamentaux.
Nous souffrons d'une concentration exagérée des élites décisionnelles.
Nos grands corps sont exagérément consanguins et insuffisamment
renouvelés. Il en va de même de la politique, souffrant de vices
rédhibitoires, par son peu de réactivité face à des problématiques qui
demandent des réponses rapides, et par le manque de perceptives à long
termes qu'il soit véritablement possible de créer au regard du
calendrier. Elles l'empêchent d'ouvrir à la société civile les
possibilités qu'elle devrait normalement avoir de se renouveler. Elle
fait actuellement preuve d'une inadaptation critique, qu'elle que soit
la valeur — bien réelle — des hommes qui la conduisent.
Paternaliste, manichéenne, patriarcale, verticale, autocentrée,
autoritaire, lente, analogique, organisée autour du verbe et de la
lettre, elle est souvent insuffisamment respectueuse des individus
qu'elle ne parvient pas à prendre en compte sur une base individuelle.
Elle présente beaucoup de défauts qui l'empêchent d'être réellement
opérante. Or la société fonctionne déjà autrement. En avance sur les
politiques, elle tend, au contraire, à être participative, en réseaux,
intelligente, horizontale, égalitaire, rapide, civile, numérique,
vivant autour de l'image et du son, du logo et du symbole, respectueuse
de la valeur de chacun. Elle a intégré les ordinateurs, les tablettes
et les smart-phones comme des éléments constitutifs de sa grammaire
propre.
On assiste sans cesse au même partage de recettes quant aux meilleures
méthodes qui permettraient de créer des emplois sur une base large et
une croissance vigoureuse. Or nous en avons éteint la plupart des
moteurs. Il s'agit à présent de peu à peu ré-oxygéner le corps social
pour en faire fourmiller l'énergie, en faisant en sorte que les
processus décisionnels redescendent dans la société et l'irriguent à
tous les étages de ses activités. Chacun doit devenir le principal
acteur de son destin individuel et un acteur de la société dans son
ensemble.
L’un des principaux handicaps rencontrés, c’est le différentiel de
parité de l’euro avec la plupart des grandes monnaies… Surévaluée, la
monnaie commune grippe le moteur économique européen. Elle plombe des
exportations qui mériteraient de meilleures conditions concurrentielles
et freine le dynamisme pourtant réel d’une production industrielle de
tout premier plan.
Il faut pourtant bien convenir qu'une sagesse générale émaille sur le
long terme la conduite de l'action générale de promotion tous azimuts
de tous les projets susceptibles de produire de la richesse. Il faut
bien comprendre que beaucoup des mécanismes qui la guident dépendent de
technologies et de médias qui en structurent la nature et qui s'ils en
renforcent la puissance d'adaptabilité, la rapidité, la capacité
d'intervention, induisent des automatismes qu'il s'agit de décrypter et
de distribuer plus finement afin qu'ils conduisent à permettre aux
forces à l'œuvre d'éviter leurs excès induits. Ainsi beaucoup des
coordonnées bancaires se retrouvent diffusées sur internet et la
réponse de Google sur les protocoles sécurisés va pour une fois dans ce
sens. Les consultations en ligne seront davantage protégées pour
devenir absolument infalsifiables.
D'autre part, fraction importante, non totale, mais non pour autant
négligeable, une croissance nouvelle doit notamment se faire en
bénéficiant de la dynamique des nouvelles technologies. Des secteurs
d’avenir que le dynamisme des start-ups françaises permet d’aborder de
manière quasi-idéale. Cependant, nous allons prochainement connaître
trois révolutions industrielles quasi-simultanées. La première concerne
l'environnement et les technologies vertes, le Green Power. La seconde
concerne l'économie hydrogène et l’électricité, avec la
constitution de parcs automobiles et urbains basés sur la notion
commune d'émissions zéro. Enfin le Web 3D, et celui des objets
connectés, fournira une redéfinition profonde, passionnante, mais qui
demandera elle aussi de la vigilance, des principales activités
professionnelles. C'est une grande nouvelle, ici aussi. Pour se faire,
elles doivent expurger la tendance quasi naturelle qu'elles ont d'à
aller dans le sens de la dématérialisation et d'une automatisation
toujours plus grande de leurs processus de fonctionnement.
Il faut y ajouter la télévision du futur, les écrans tactiles ou
interactifs à venir, la redéfinition de vastes pans de l’activité sous
le jeu croisé du numérique et de la gratuité. Il faudra assurément
permettre à la valeur de trouver sa bonne destination, à savoir qu’elle
doit aussi permettre d’irriguer les bassins qui produisent cette
richesse et une théorie de la valeur numérique s’avère indispensable
pour reterritorialiser cette part prépondérante de l’économie qui
aujourd’hui est principalement captée par les grandes entreprises du
net, mais ne bénéficie que très peu aux populations qui en sont à
l’origine. Les problèmes induits sont innombrables et souvent cachés,
mais les effets pervers laissent des millions d’hommes et de femmes
dans une précarité qu’ils en devraient pas connaître. Elle sera
probablement récompensée par le prochain prix Nobel d’économie. Les
champions internet trouveront nécessairement d’autres terrains de jeu
qu’ils s’emploient d’ailleurs déjà à conquérir.
Nous avons toujours une révolution de retard ; alors faisons enfin
confiance à l’imagination des visionnaires pour accoucher dès à présent
des schémas directeurs qui définiront les prochaines étapes des
sciences et des techniques à venir. Prenons de l’avance, faisons
confiance aux investissements publics pour permettre ces révolutions et
définissons nous mêmes certaines de leurs particularités comptables.
L’Europe doit prioritairement abandonner ses frusques pudibondes
d’austérité et se doter d’un véritable budget adossé sur une TVA
européenne calculée en retrait des TVA nationales, permettons
l’émission à plus grande échelle d’eurobonds qui seraient spécialisés
dans les investissements publics même si des approchants existent.
Soyons plus ambitieux pour nous mêmes et pour les autres. L’Europe
manque actuellement au monde. Son travail en faveur de la stabilité et
de la prospérité internationale est minimisé par toutes les contraintes
dans lesquelles elle est enferrée.
Il nous faudra penser ces politiques tout en retrouvant un rapport
concret à notre environnement. La contrainte, là aussi, si elle est
correctement traitée, pourra devenir un atout. L’intensité des échanges
gagnée privilégiera l'humanité et le savoir. Le tableau, donc, n'est
pas si noir. Les nouvelles technologies génèrent des domaines
économiques, des branches de développement et des compétences nouvelles
qui font appel à un plus grand savoir-faire humain. Mais très vite peut
se remettre en place une logique productiviste qui en expurge la chair
créatrice et en diminue l'implication humaine jusqu'aux prochains
micro-cycles. Il faut placer des pare-chocs dans un domaine d'activité
qui a prouvé un goût du profit dégagé de toute considération pour les
individus concernés. Les plans de licenciement se succèdent, un
cannibalisme d'entreprises a en partie fait place au cycle normal des
affaires, et ce qui disparaît n'apparaît plus à terme que sous une
forme virtuelle, fiduciaire, qui viendra accroître d'autres chiffres.
Il est bien entendu que nous n'avons pas affaire à des personnes
complètement déconnectées des conséquences des opérations qu'elles
émettent, mais il serait grand temps, maintenant que nous savons
que le néolibéralisme est par essence prédateur de la substance
économique de pays entiers — ce qui en fait est le contraire de sa
vocation intrinsèque — qu'une véritable éthique de respect de
l'existant, avant de revenir dans le champs de l'investissement
productif à moyen et long terme, se mette en place pour mieux protéger
les salariés des remous qui emportent avec eux des entreprises
florissantes mais soit-disant pas assez au regard des critères de
rentabilité escomptés.
Il est temps de reprendre la main. Avant que des décisions mal
réfléchies ne puissent grever durablement le tentatives de
rétablissement à venir. Nous aurons collectivement toutes les
cartes en main si nous savons nous en donner les moyens.
Chacun doit envisager l’avenir avec confiance, courage et détermination.
Il sera difficile si nous le laissons se dégrader, si nous laissons le
temps passer sans autre forme de réaction, mais un sursaut doit
nécessairement intervenir pour transformer tous ces potentiels
irréalisés en traductions concrètes, et cette démarche salvatrice, elle
ne peut venir que de nous mêmes. Il est temps de se remettre à
travailler. D’exercer les jobs de rêve auxquels nous pouvons aspirer ou
les occupations rémunérées qui éloigneront enfin de nous les trois
grands maux que sont l’ennui, du vice et du besoin, comme disait
Voltaire. Le travail a cette puissance salvatrice. Il n’est pas
forcément le « tripalium » parfois décrit par les anciens,
mais peut et doit au contraire nous permettre de progresser sur la
route de notre émancipation individuelle. Ce pouvoir d’achat qui naitra
nous rendra notre autonomie et le pouvoir de choisir, celui d’être au
yeux de nos enfants les meilleurs garants de leur avenir. Il n’a dans
la situation actuelle que des avantages et créera un double cercle
vertueux, en agrandissant la richesse individuelle et nationale, et en
apurant les comptes sociaux de manière quasi-automatique. La France et
l’Europe bénéficient de populations bien formées et sous employées :
c’est une chance ! Elle garantira l’activité naissante de nouveaux
secteurs, dont le quatrième, celui des biens immatériels.
Il faudra parallèlement réussir la massification de l'enseignement
secondaire, donner le meilleur de leurs chances aux étudiants. Elle est
en marche d'autant plus rapidement que dans ce domaine comme d'en
d'autres une petite révolution est en train de se produire, sous
l'influence conjuguées de nouvelles technologies ubiquitaires, comme
les podcasts, les moocs, et le streaming en temps réel avec webcams.
Généraliser ces technologies aux universités et grandes écoles parait
être une nécessité incontournable. Les échanges vont aller croissant,
au moment même où la position géographique des intervenants perd
de son importance. La qualité locale de vie va donc compter double.
La circulation sanguine de la planète est altérée. Elle doit être
soignée, assistée, puis peu à peu rétablie d'une manière progressive et
douce qui permette l'assainissement de zones géographiques entières.
C'est l'investissement au plan mondial plutôt que la sempiternelle
économie sur les salaires qui est à viser, c'est l'élargissement des
structures en lieu et place des dramatiques économies d'échelles qui
semblent guider l'entendement de ceux qui appliquent de manière aveugle
— ou presque — les principes erronés qui président à la prise de
ces décisions. Le mépris et le peu de cas qui est fait de millions
d'hommes et de femmes est patent et dangereux. Nous sommes victimes
d'une dynamique faussée, de cercles vicieux qu'il faut avoir l'énergie
de transformer en cercles vertueux. L'argent doit circuler à tous les
niveaux. La valeur doit bel et bien être repensée en prenant comme
étalon l'homme, l'humain, l'individu. Son développement harmonieux au
sein de la communauté dans laquelle il habitera.
C'est l'aide à la consommation, non par un unique vecteur mais par un
ensemble de facteurs retour de l'activité. Le salaire minimum est une
garantie nécessaire, il doit exister au sein d'un faisceau de droits et
devoirs nouveaux qui permettent d'établir un nouveau contrat social et
économique dont nous serions tous les bénéficiaires et par rapport
auquel nous pourrions découpler notre intervention dans le domaine
économique et culturel. Les situations absurdes doivent refluer et les
bénévoles recevoir une part retour pour l'investissement qu'ils font de
leur temps. Le temps est déjà une variable économique. Il peut devenir
une variable symbolique de l'activité dans un champ économique donné
dont il assure la pérennité.
Il s'agit de renforcer l'adjonction de règles dans des structures qui
touchent la limite de leur logique parce qu'elles manquent de critères
d'évaluation objectifs et de rattachements économiques précis. L'argent
virtuel aujourd'hui a de moins en moins de contact avec la réalité
économique, même s'il peut influer sur elle. Les règles de solidarité
étendue en renforçant le rôle des structures sociales étatiques vont
également aller dans le sens de la logique économique qu'il est
nécessaire de mettre en place.
La main invisible doit devenir visible...
Internet, même s'il a provoqué une perte de substance par endroits, a
créé les conditions d'une forme de normalisation politique par le haut
qui rogne insensiblement toute tentative réelle ou supposée de contrôle
abusif, alors même que c'est un outil policier de premier ordre. Face à
la masse, les pouvoirs centralisés ne sont pas en mesure
d'imposer des logiques totalitaires sur des périodes longues de leur
existence. Ils sont condamnés à faire positivement évoluer leurs modèle
ou ils subiront un à un et la critique et la révolte de leurs
populations, comme on le voit en Turquie ou en Tunisie. Cette donnée
nouvelle, à l'origine du pseudo-choc de civilisations dans un premier
temps, comme pouvaient l'avoir été en leur temps, et face à
l'imprimerie de Gutenberg, les guerres de religion est en train de
produire quasiment le même type d'effet. A savoir une sortie, certes
très progressive, mais avérée, de l'obscurantisme religieux et la
marche vers une société renaissante et à terme un nouvel âge des
lumières, comme cela a été le cas en France au XVIIIème siècle. Elle
donc est aussi à la source des printemps arabes, se trouve être la
conséquence directe d'une stratégie du contournement, caractéristique
essentielle d'internet. L'information impossible à étouffer agit comme
un principe révélateur qui exclut celui qui cherche à exclure, et
inclut celui qui cherche à inclure. Elle fait apparaître au grand jour
la nature illégitime des dictatures et récompense la générosité,
l'ouverture, la solidarité, l'attention au autres et le travail destiné
à faire progresser l'humanité. C'est donc un atout si nous savons le
mettre au service d'un mieux-disant social. Et l'Europe, là aussi a son
rôle à jouer.
20 Août 2014
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