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Et si l’Allemagne avait
tout faux ?
Par Gilles Marchand
Directement à l’origine d’une politique européenne qui s’est révélée
désastreuse au fil des années, l’Allemagne bénéficie — paradoxalement — d’un positionnement qui fait souffrir les autres pays et
menace le projet de l’union lui même.
Nous avons des griefs. Pas une semaine qui n’apporte en Europe son
cortège de mauvaises nouvelles. Nous avons eu le redoutable privilège
de vivre des événements dramatiques sans toujours tirer les
conséquences logiques d’une telle situation. Il s’agit que les choses
soient remises en perpective et comprises. Que les équilibres se
reconstituent et qu’une forme de justice ontologique émerge.
Or, il nous faut aujourd’hui, faire un constat amer : l’Allemagne a
sciemment pratiqué des politiques qui ont détruit les bases qui font la
cohésion de l’Europe. Elle imagine être sur le toit du monde après la
coupe du monde 2014, mais en réalité, elle a involontairement saboté
les assises qui soutiennent son ancrage européen. Elle a fait souffrir
autour d'elle des économies, et à fortiori des individus, on pense à la
Grèce mais pas seulement, par la nature de ses positionnements.
Mais de ce devoir de vérité peut naître la solution.
Que s’est il passé ? Les politiques européennes qu’elle a pu conduire
ont principalement concouru à l’affaiblissement de l’économie des pays
limitrophes et au delà. Elles ont hésité à défendre les solidarités
intracommunautaires, elles ont fait souffrir leurs systèmes sociaux,
elles ont directement alimenté les populismes. Un aveuglement et une
arrogance qui confinent à la rigidité, voire à la dureté de choix à
priori inaliénables qui entrainent le continent dans une spirale de
problématiques négatives. Des décisions qui ont directement affecté le
cours de la construction européenne, et accru les difficultés au risque
de créer les tiraillements contre-productifs que nous avons connus,
comme lors de la rencontre de Deauville entre Angela Merkel et Nicolas
Sarkozy en 2010, moment pivot pour l’euro, qui a fait basculer l’Europe
dans l’inconnu pour plusieurs mois. Il a fallu toute la présence
d’esprit de Mario Draghi à la tête de la BCE, pour éteindre l’incendie.
Aujourd’hui, les décisions qu’il souhaite prendre sont vertement
critiquées par des allemands qui souhaitent limiter son action, alors
même que celles-ci se sont toutes avérées salvatrices aux différents
stades où elles ont été conduites.
Oui, les investissements publics sont insuffisants. Oui, la solidarité
budgétaire est indispensable. Oui, l’Europe a une inflation quasiment
nulle conjuguée à un risque déflationniste, situation ubuesque qui
créera immanquablement des épisodes politiques dramatiques et qui
devrait être traitée par une véritable relance de la croissance, une
relance des investissements via au besoin de la création monétaire mais
là aussi, les allemands — traumatisés par l’inflation galopante
des années vingt et trente de la république de Weimar — refusent de
faire évoluer ce dogme sacro-saint et craignent ce recours de manière
exagérée.
La méthode allemande est désarmante : on constate un problème et on
reçoit de ses alliés tout l’éventail des solutions efficaces qui
permettraient de régler le problème à la racine. Mais les membres du
gouvernement allemand alors tergiversent, tiennent à défendre leurs
dogmes, perdent du temps, puis se ravisent constatant que la situation
s’est dégradée, ils se retrouvent au pied du mur et prennent la
décision qui était attendue au début, sauf qu’entre temps, les choses
se sont clairement envenimées et ce qui aurait été une bonne politique
à l’origine, s’avère désastreux à l’arrivée, même si le problème est
réglé. On se retrouve à perdre du temps dans des domaines qui
commandent des décisions rapides. Il est à ce titre scandaleux qu’il
ait fallu quatre ans pour ne régler pas la crise de l’euro, qui n’a vu
une solution qu’après l’arrivée des socialistes en France… La réalité
est que les crédos ultralibéraux qui ont trop longtemps prévalu en
Europe ont vidé de leur sens le combat pour une Europe sociale et
menacé de détruire les valeurs initiales que les fondateurs avaient
promues à travers la constitution d’une Europe renaissant de ses
cendres au lendemain de la guerre.
Le péché originel de la construction de l’euro est en réalité sa parité
d’un état à l’autre, défavorable en ce qui concerne notamment la
France, ultra favorable, en revanche comme facteur multipliant, pour
une Allemagne qui n’en a pas tiré toutes les conséquences politiques.
Au lieu de pratiquer une politique équilibrée de coopération
véritable, l’Allemagne pratique une concurrence de tous contre tous à
l’intérieur de l’Europe, dont elle tire une part prépondérante de ses
revenus, au risque de s’aliéner la confiance des autres pays. Elle
s’obstine à restreindre les cordons de la bourse pour les autres et
s’accorde parallèlement des largesses pour elle même. En réalité,
l’Allemagne a détourné à son profit la construction européenne, dont
elle parasite les éléments structurants et remet en cause les
fondamentaux. L’Europe souffre de cet égoïsme alors même que le
principe fondamental de la construction européenne repose normalement
sur une solidité implicite des états entre eux. Un aveuglement, auquel
il faut bien qu’à un certain stade des choses, une voix amicale vienne
lui répondre sans qu’on l’accuse d’être une tentative de mystification.
Il est temps que cette parole résonne aux oreilles d’une nation qui se
fourvoie, pour lui indiquer les solutions susceptibles de la sortir de
l’ornière. Une ornière redoutable parce que cette situation
paradoxalement offre en apparence des avantages sur le plan économique,
mais qu’elle est désastreuse depuis des années, maintenant, et à terme
sur le plan politique. Le problème s’il n’est pas correctement adressé
menace directement l’Europe. Dans ce contexte, les leçons
budgétaires de l’Allemagne à la France sont particulièrement malvenus,
la situation économique notre pays étant directement impactée par le
contexte européen dans lequel elle se construit. Dans ce cadre, il
serait juste d’exclure du calcul de ses dépenses ses éléments de
programmation militaire, la France assumant actuellement une sorte de
défense européenne par défaut. Un rôle ultra nécessaire pour l’Europe
dans le contexte géostratégique actuel. Il serait juste en effet
qu’elle soit entérinée. L’absence de prise en compte de ce rôle
budgétaire serait un camouflet particulièrement malvenu dans la
situation présente. Aujourd'hui, l'allemagne impose son casting à la
tête de la commision européenne, mais il faut espérer que l'expérience
et le caractère de Jean Claude Juncker dont l'élection démocratique est la bonne
surprise du 25 mai, concoureront à solutionner les problèmes.
Il est grand temps que des décisions salvatrices soient prises et
surtout que les dirigeants européens aient cette réalité à l’esprit.
Des facteurs rééquilibrant doivent être imaginés et la relance enfin
autorisée. L’Europe est en danger. Sa popularité n’a jamais été aussi
basse. Elle est critiquée de toutes parts, et même — c’est un phénomène
nouveau — par ses propres partisans déçus de la voir s’engager sur des
voies aussi dangereuses. Il faut faire les gestes indispensables pour
réanimer un projet qui a besoin de renaitre. C’est une nécessité
stricte en même temps qu’une forme de retour à la sagesse dont elle a
besoin de façon urgente. Dire de l’Allemagne qu’elle est le problème de
l’Europe ne doit pas la décourager ou provoquer sa colère. Elle doit
l’amener à résoudre les problèmes qu’elle a créés et à changer des
politiques conservatrices qui se sont paradoxalement révélées
hasardeuses. Nous vous devions la vérité. Elle n’est pas bonne à dire,
mais celle-ci doit au contraire redevenir un facteur de réconciliation.
3 Octobre 2014
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