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Un Triste Jour pour l’Afrique
Par Gilles Marchand
En élisant Robert Mugabe à la tête de l’Union africaine, les leaders africains ont commis une erreur stratégique majeure...
Nous
sommes encore le 30 janvier 2015, de ce qui est un triste jour pour
l’Afrique. Vers 11H00, ce matin, toutes les notifications de toute les
agences de presse et des principaux journaux, se sont mises à clignoter
et nous avons vite été attristés par cette musique improbable qui se
mettait à résonner. « Robert Mugabe », le président
zimbabwéen, si décrié depuis tant d’années, apparaissait bel et bien au
sein des dépêches accolé à la mention de « nouveau président de
l’Union Africaine ». Un quasi-oxymore rédactionnel tant cette
nouvelle nous a parue énorme et aberrante. Robert Mugabe a quatre vingt
onze ans. Il est ce chef d’état cacochyme, très largement discrédité
dans le monde entier, inefficace à régler les crises rencontrées, et
très généralement, c’est un autocrate bourré de principes éculés. Il
est, certes, encore populaire en Afrique, mais il a mené par son
intransigeance et sa rigidité intellectuelle, son pays au marasme
économique, avec une inflation dévastatrice et une politique répressive
digne des pires dictatures.
Il arrive à la tête du pouvoir africain à la faveur de plusieurs crises
majeures qui ont gravement fragilisé la cohésion du continent et menacé
ses équilibres politiques. C’est la cas d’Ebola, qui a fait plus de
9000 morts, principalement en Sierra Leone, au Liberia et en Guinée,
mais qui s’est également révélée dévastatrice au plan économique pour
l’ensemble de la sous-région ouest-africaine. A l’heure où l’épidémie
reflue enfin, l’Union africaine doit rester vigilante pour assurer une
sortie de crise avant la fin de l’année. La menace de Boko Haram est
bel et bien avérée et appelait une prise de conscience et une véritable
réaction. Celle-ci est finalement au rendez vous, avec la mobilisation
de 7500 soldats destinés à lutter contre la secte des extrémistes du
Nigeria. La décision du Tchad d’entrer en force au Cameroun
probablement précipité cette avancée. Mais le continent connait encore
beaucoup de crises militaires, voire de réelles guerres. Hormis la
Libye, qui tient la communauté onusienne en éveil avec les récentes
discussions de Genève, l’Afrique est confrontée à des conflits au Mali,
au République démocratique Congo, au Sud Soudan, en Centrafrique, et
les affrontements ne se limitent pas à ces pays. Cette situation
politique a contribué à déstabiliser et faire douter l’Union africaine
elle-même.
Elle qui représente l’un des principaux espoirs de stabilité et de
prospérité en Afrique, met à sa tête un homme qui a été largement
incapable d’assurer en son temps l’une ou autre, et représente déjà une
déception pour des millions d’africains qui voient d’un mauvais œil un
vieil autocrate arriver à la barre d’un continent en pleine tempête. A
tel point que le réseaux sociaux sont pleins de ces commentaires déçus
et que certains leaders affirment que ceux-ci doivent être davantage
contrôlés. Or, cette liberté est précieuse. Elle est garante de
l’établissement d’un climat médiatique sain et elle permettra à la
vérité de progresser, ce qui peut s’avérer devenir une bonne chose.
L’Union aurait besoin d’un capitaine chevronné, jeune, intelligent,
énergique, d’un véritable génie, capable de donner une impulsion
durable aux secteurs économiques du continent. L’Afrique a tant
souffert qu’elle a grand besoin de résilience et, pour cela, besoin de
porter à sa tête les meilleurs leaders possibles. Elle doit à tout prix
éviter de s’enferrer dans une surenchère idéologique avec le reste du
monde. Mugabe n’étant pas autorisé à voyager en Europe, on se demande
déjà qui représentera l’Union, lors des sommets mondiaux, notamment sur
le climat qui est aujourd’hui devenue une priorité essentielle.
L’Afrique doit prendre le train de la croissance verte, tant sont
porteuses les opportunités qui se créent, et pour cela il ne faut pas
rester dans des considérations énergétiques dépassées.
Nous sommes à l’aube de grands changements et nous ne pouvons pas nous
payer le luxe de nommer des hommes qui risquent de faire échouer un
projet politique essentiel pour l’Afrique. Mugabe court le risque
d’être très vite dépassé par les événements. Ce danger est réel et il
menace déjà la cohésion de l’Union africaine. Les discours auxquels on
assiste sont effectivement décevants et contre-productifs. Les leaders
qui ont pris cette décision, un peu pour braver le discours de
Ban-Ki-Moon qui critiquait les changements constitutionnels en cours,
comme au Burina Faso, avec les conséquences que l’on sait, se sont
gravement fourvoyés. Ils envoient en première ligne un personnage qui
risque de faire dangereusement échouer les missions qui lui ont été
confiées. C’est la raison pour laquelle tous les défenseurs sincères de
l’Afrique sont ce soir consternés. Kofi Annan twittait cet après-midi
un message qui résonne ce soir comme un avertissement clairvoyant :
"The story of #Gandhi is a powerful reminder that when leaders fail to
lead, people will make them follow..."
30 Janvier 2015
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