Mars
2011

L'actualité du Mois

L'Afrique s'éveille...
Par Gilles Marchand



L'Histoire est en marche sur le continent africain et le chantier d'une relation à l'Europe renouvelée s'avère enthousiasmant.


Trois révolutions en un mois et demie ont clairement transformé la face du monde et il faut saluer avec joie cette marche des peuples tunisiens, égyptiens et libyens pour leur liberté et ce malgré le coût exorbitant payé pour chasser trois dictateurs, certes différents, mais dont les pays connaissaient les mêmes affres. Ce qui s'affirme aujourd'hui en Afrique et au moyen-orient, c'est l'aspiration souveraine des jeunes, suivis en cela par toute la société, à une vie meilleure. Un courage face à l'épreuve et à la répression qui force l'admiration. Ces révoltes populaires  marquent un recul de la peur et scellent la victoire spectaculaire d'une génération sur un grand nombre des archaïsmes qui gangrenaient leurs sociétés, internet et les téléphones portables ayant joué un rôle décisif dans les mouvements contestataires auxquels nous avons assisté.



Cette phase qui s'ouvre inaugure parallèlement une nouvelle ère sur le continent, celle de son unification, prévue pour cette année — 2011 sera décidément charnière — celle de son affirmation économique avec une croissance forte, supérieure à 5 %, une stabilisation politique qui se traduit par une progression de la paix et par une entrée fracassante sur la scène internationale culturelle, médiatique, et sportive avec la récente coupe du monde.

2011 restera également l'année du forum social et du "Consensus de Dakar" qui vise un développement endogène du continent. Pour autant, à l'heure des nouvelles technologies, l'Afrique n'est pas un continent isolé et la question de son environnement économique se pose, alors qu'elle est géographiquement proche d'une Europe qui se pose des questions quant à la pertinence des politiques actuellement menées...

Quelle est la situation ?



D'abord on constate un certain nombre d'anachronismes. Désormais  la zone euro s'étend virtuellement et de fait à trente trois pays, dont la moitié sont africains. Le commerce européen dans le monde fait vivre, directement ou indirectement, un milliard trois cents millions d'habitants. Or, c'est la Banque de France qui garantit le franc CFA en Afrique de l'ouest alors que cette charge devrait être assumée à plus large échelle, la zone CFA étant arrimée à celle de l'euro. Beaucoup de ces pays restent importateurs dans le secteur primaire, ce qui traduit une inadéquation des politiques inter-ensemble ou bilatérales qui ont été conclues ou pas. On passe progressivement d'une politique coopération qui ne permettait pas de se substituer aux élites locales à l'établissement d'une multitude de partenariats, mais les outils mis en place sont souvent mal utilisés, voire négligés, dans la mesure où ils n'apportent pas toujours les bénéfices escomptés. Le Fond Européen de Développement reçoit, aux côtés de l'Allemagne, une dotation majoritaire de la France (19,5%). Cette politique a, par exemple, permis de constituer un fond, doté d'un budget de 350 millions d'euros, mais elle est gérée en France par le ministère de l'intérieur, ce qui n'est peut être pas le meilleur choix.

L'Europe mène trois grandes interventions de maintien de la paix, ce qui contribue à la structuration politique du continent mais cet apport n'est pas forcément reconnu à sa juste mesure. Ce sont davantage les anciennes puissances coloniales qui dotent ces unités, la France et l'Angleterre étant les premiers contributeurs. Le Commissaire européen au développement était pressenti à un autre poste au sein de la commission, ce qui explique peut être une part des difficultés de son administration. L'Europe vient également apporter son aide pour l'observation des processus électoraux où elle peut simultanément faire preuve de dynamisme comme cela a été le cas en Côte d'ivoire et moins être présente en centrafrique. Elle a également été présente
au Togo. Pourtant, tant qu'elle n'émettra pas davantage de conditionnalité démocratique dans l'établissement de ses partenariats, les accords de Lomé et de Cotonou resteront des vœux pieux.



La situation des APE, les Accords de Partenariat Européens, passés entre les pays africains et européens, laisse encore à désirer, le nombre réel des accords signés étant à ce jour quasi-nul. Les droits de douane européens étant plutôt bas, alors que parallèlement ceux des pays africains restaient élevés, le différentiel n'a pas, pour l'instant, permis les conditions d'une relation commerciale avantageuse pour tous, alors qu'ils étaient normalement conçus pour que chacun y trouve son intérêt. La perte d'activité est financièrement compensée, ce qui parait être le contraire de ce qu'il faut faire. Le présupposé consistant à créer de l'activité économique pour générer des droits de douanes et non l'inverse... En l'absence de contreparties, on assiste à un blocage depuis deux ans. Il faudrait repenser ces accords et créer de l'activité en soutenant l'investissement productif, notamment dans les pays francophones les plus mal lotis, et redéfinir des cadres qui permettent à tous d'y trouver leur part.

L'énergie est un des éléments importants de la relation Europe-Afrique. C'est le cas pour les ressources minières liées à l'uranium ou au pétrole, mais ça l'est de plus en plus également pour ce qui concerne les énergies renouvelables avec un des projets importants dans le domaine du solaire au Sahara. La pêche est un des domaines qui pourrait davantage bénéficier de la dimension éthique que pourrait amener et encourager le parlement européen. D'une manière générale, les pratiques des multinationales, et des entreprises doivent davantage respecter l'environnement et les populations locales. Elles sont néanmoins de gros pourvoyeurs d'emplois et contribuent largement à la prospérité du continent. Autre point sur lequel la relation europe-afrique pourrait être grandement améliorée : l'insuffisant recours aux ONG, hormis celles d'intervention, aux associations et à la société civile. Une impulsion politique est nécessaire. Le niveau de l'aide au développement, idéalement fixé à 7% des budgets nationaux, est en recul. Dans le contexte ambiant, le moment est peut être venu de restaurer ces seuils. La délivrance des crédits et le décaissement des fonds déjà alloués est trop compliqué et bureaucratique.



L'immigration est en effet l'un des aspects important de cette relation. La situation politique actuelle créé de réels risques de tiraillements qui pourraient engendrer des souffrances sociales difficiles à juguler et renforcer les extrémismes en Europe. Dans ce cadre, la directive retour étendue à 18 mois, avec l'établissement d'un recours suspensif, et une liste des personnes protégées sont des dispositions qui n'ont pas été transcrits en droit français. En Libye, Frontex déléguait le contrôle au frontières en finançant celui-ci à hauteur de cinq milliards. Or, on commence à découvrir que le régime de Kadhafi a largement trompé ces attentes et s'est livré à des exactions. D'ailleurs une des premières choses que l'ONU ait faite, hormis la condamnation de la répression menée par le dictateur libyen, a été de suspendre la Libye du Conseil onusien des Droits de l'Homme. C'est un gage d'amélioration, mais une politique européenne plus pertinente consisterait à contribuer aux conditions d'une prospérité là où sont les candidats à l'immigration qui alors seraient moins tentés de partir au risque de leur vie. Ces crédits seraient mieux alloués s'ils permettaient, pour partie, de renforcer tout une gamme d'investissements productifs, de l'aide au développement aux incitations fiscales pour les entreprises locales. Cette prospérité des partenariats africains serait la leur, mais elle serait aussi la notre...

Tout le monde serait gagnant.

L'Europe est à la croisée des chemins. Malgré cette politique, l'influence européenne n'est pas à la hauteur des enjeux, ni des efforts qu'elle déploie, et le travail fait en commun reste insuffisant. Or l'heure est nécessaire d'une politique ambitieuse, généreuse et dynamique qui donne très vite des perspectives aux jeunes de ces pays afin de leur permettre de faire ce qu'ils souhaitent : c'est à dire rester dans le pays où ils sont nés à condition de mieux y vivre et de pouvoir y déployer toute la gamme de leurs talents en trouvant les réponses qu'ils attendent. Il faut pour cela des perspectives économiques en renforçant ces partenariats renouvelés, et des gestes politiques forts pour saluer la victoire de peuples qui déploient aujourd'hui une espérance à laquelle il faut savoir répondre. Pour que le continent africain renforce son attractivité, il faut encourager les investissements français, européens, et internationaux et repenser la relation à l'Afrique qui doit devenir — enfin — un acteur à part entière du concert international.

L'Afrique s'éveille...



Février 2011

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