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L'Afrique
s'éveille...
Par Gilles Marchand
L'Histoire
est en marche sur le continent africain et le chantier d'une relation à
l'Europe renouvelée s'avère enthousiasmant.
Trois révolutions en un mois et demie ont clairement transformé la
face du monde et il faut saluer avec joie cette marche des peuples
tunisiens, égyptiens et libyens pour leur liberté et ce malgré le coût
exorbitant payé pour chasser trois dictateurs, certes différents, mais
dont les pays connaissaient les mêmes affres. Ce qui s'affirme
aujourd'hui en Afrique et au moyen-orient, c'est l'aspiration
souveraine des jeunes, suivis en cela par toute la société, à une vie
meilleure. Un courage face à l'épreuve et à la répression qui force
l'admiration. Ces révoltes populaires marquent un recul de la
peur et scellent la victoire spectaculaire d'une génération sur un
grand nombre des archaïsmes qui gangrenaient leurs sociétés, internet
et les téléphones portables ayant joué un rôle décisif dans les
mouvements contestataires auxquels nous avons assisté.
Cette
phase qui s'ouvre inaugure parallèlement une nouvelle ère sur le
continent, celle de son unification, prévue pour cette année — 2011
sera décidément charnière — celle de son affirmation économique
avec une croissance forte, supérieure à 5 %, une stabilisation
politique qui se traduit par une progression de la paix et par une
entrée fracassante sur la scène internationale culturelle, médiatique,
et sportive avec la récente coupe du monde.
2011 restera
également l'année du forum social et du "Consensus de Dakar" qui vise
un développement endogène du continent. Pour autant, à l'heure des
nouvelles technologies, l'Afrique n'est pas un continent isolé et la
question de son environnement économique se pose, alors qu'elle est
géographiquement proche d'une Europe qui se pose des questions quant à
la pertinence des politiques actuellement menées...
Quelle est la situation ?
D'abord
on constate un certain nombre d'anachronismes. Désormais la zone
euro s'étend virtuellement et de fait à trente trois pays, dont la
moitié sont africains. Le commerce européen dans le monde fait vivre,
directement ou indirectement, un milliard trois cents millions
d'habitants. Or, c'est la Banque de France qui garantit le franc CFA en
Afrique de l'ouest alors que cette charge devrait être assumée à plus
large échelle, la zone CFA étant arrimée à celle de l'euro. Beaucoup de
ces pays restent importateurs dans le secteur primaire, ce qui traduit
une inadéquation des politiques inter-ensemble ou bilatérales qui ont
été conclues ou pas. On passe progressivement d'une politique
coopération qui ne permettait pas de se substituer aux élites locales à
l'établissement d'une multitude de partenariats, mais les outils mis en
place sont souvent mal utilisés, voire négligés, dans la mesure où ils
n'apportent pas toujours les bénéfices escomptés. Le Fond Européen de
Développement reçoit, aux côtés de l'Allemagne, une dotation
majoritaire de la France (19,5%). Cette politique a, par exemple,
permis de constituer un fond, doté d'un budget de 350 millions d'euros,
mais elle est gérée en France par le ministère de l'intérieur, ce qui
n'est peut être pas le meilleur choix.
L'Europe mène trois
grandes interventions de maintien de la paix, ce qui contribue à la
structuration politique du continent mais cet apport n'est pas
forcément reconnu à sa juste mesure. Ce sont davantage les anciennes
puissances coloniales qui dotent ces unités, la France et l'Angleterre
étant les premiers contributeurs. Le Commissaire européen au
développement était pressenti à un autre poste au sein de la
commission, ce qui explique peut être une part des difficultés de son
administration. L'Europe vient également apporter son aide pour
l'observation des processus électoraux où elle peut simultanément faire
preuve de dynamisme comme cela a été le cas en Côte d'ivoire et moins
être présente en centrafrique. Elle a également été présente au
Togo.
Pourtant, tant qu'elle n'émettra pas davantage de conditionnalité
démocratique dans l'établissement de ses partenariats, les accords de
Lomé et de Cotonou resteront des vœux pieux.
La
situation des APE, les Accords de Partenariat Européens, passés entre
les pays africains et européens, laisse encore à désirer, le nombre
réel des accords signés étant à ce jour quasi-nul. Les droits de douane
européens étant plutôt bas, alors que parallèlement ceux des pays
africains restaient élevés, le différentiel n'a pas, pour l'instant,
permis les conditions d'une relation commerciale avantageuse pour tous,
alors qu'ils étaient normalement conçus pour que chacun y trouve son
intérêt. La perte d'activité est financièrement compensée, ce qui
parait être le contraire de ce qu'il faut faire. Le présupposé
consistant à créer de l'activité économique pour générer des droits de
douanes et non l'inverse... En l'absence de contreparties, on assiste à
un blocage depuis deux ans. Il faudrait repenser ces accords et créer
de l'activité en soutenant l'investissement productif, notamment dans
les pays francophones les plus mal lotis, et redéfinir des cadres qui
permettent à tous d'y trouver leur part.
L'énergie est un des
éléments importants de la relation Europe-Afrique. C'est le cas pour
les ressources minières liées à l'uranium ou au pétrole, mais ça l'est
de plus en plus également pour ce qui concerne les énergies
renouvelables avec un des projets importants dans le domaine du solaire
au Sahara. La pêche est un des domaines qui pourrait davantage
bénéficier de la dimension éthique que pourrait amener et encourager le
parlement européen. D'une manière générale, les pratiques des
multinationales, et des entreprises doivent davantage respecter
l'environnement et les populations locales. Elles sont néanmoins de
gros pourvoyeurs d'emplois et contribuent largement à la prospérité du
continent. Autre point sur lequel la relation europe-afrique pourrait
être grandement améliorée : l'insuffisant recours aux ONG, hormis
celles d'intervention, aux associations et à la société civile. Une
impulsion politique est nécessaire. Le niveau de l'aide au
développement, idéalement fixé à 7% des budgets nationaux, est en
recul. Dans le contexte ambiant, le moment est peut être venu de
restaurer ces seuils. La délivrance des crédits et le décaissement des
fonds déjà alloués est trop compliqué et bureaucratique.
L'immigration
est en effet l'un des aspects important de cette relation. La situation
politique actuelle créé de réels risques de tiraillements qui
pourraient engendrer des souffrances sociales difficiles à juguler et
renforcer les extrémismes en Europe. Dans ce cadre, la directive retour
étendue à 18 mois, avec l'établissement d'un recours suspensif, et une
liste des personnes protégées sont des dispositions qui n'ont pas été
transcrits en droit français. En Libye, Frontex déléguait le contrôle
au frontières en finançant celui-ci à hauteur de cinq milliards. Or, on
commence à découvrir que le régime de Kadhafi a largement trompé ces
attentes et s'est livré à des exactions. D'ailleurs une des premières
choses que l'ONU ait faite, hormis la condamnation de la répression
menée par le dictateur libyen, a été de suspendre la Libye du Conseil
onusien des Droits de l'Homme. C'est un gage d'amélioration, mais une
politique européenne plus pertinente consisterait à contribuer aux
conditions d'une prospérité là où sont les candidats à l'immigration
qui alors seraient moins tentés de partir au risque de leur vie. Ces
crédits seraient mieux alloués s'ils permettaient, pour partie, de
renforcer tout une gamme d'investissements productifs, de l'aide au
développement aux incitations fiscales pour les entreprises locales.
Cette prospérité des partenariats africains serait la leur, mais elle
serait aussi la notre...
Tout le monde serait gagnant.
L'Europe
est à la croisée des chemins. Malgré cette politique, l'influence
européenne n'est pas à la hauteur des enjeux, ni des efforts qu'elle
déploie, et le travail fait en commun reste insuffisant. Or l'heure est
nécessaire d'une politique ambitieuse, généreuse et dynamique qui donne
très vite des perspectives aux jeunes de ces pays afin de leur
permettre de faire ce qu'ils souhaitent : c'est à dire rester dans le
pays où ils sont nés à condition de mieux y vivre et de pouvoir y
déployer toute la gamme de leurs talents en trouvant les réponses
qu'ils attendent. Il faut pour cela des perspectives économiques en
renforçant ces partenariats renouvelés, et des gestes politiques forts
pour saluer la victoire de peuples qui déploient aujourd'hui une
espérance à laquelle il faut savoir répondre. Pour que le continent
africain renforce son attractivité, il faut encourager les
investissements français, européens, et internationaux et repenser la
relation à l'Afrique qui doit devenir — enfin — un acteur à part
entière du concert international.
L'Afrique s'éveille...
Février 2011
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