|
Good Luck England
Par Gilles Marchand
La
décision anglaise de sortir de l’UE n'est pas seulement un coup porté à
la stabilité du continent européen, c’est aussi une grave erreur de
politique intérieure.
Au
matin du Brexit, alors que les bourses du monde commencent à plonger,
que la livre sterling perd 10% de sa valeur, que l’or atteint des
sommets records, les vrais européens assistent quasi impuissants à
l’effondrement de l’Angleterre, victime des idées imprévoyantes d’une
classe politique en mal d’inspiration qui a décidé de jouer aux dés
avec l’avenir commun, victime des discours flatteurs et populistes dont
elle a copieusement été abreuvée, également hallucinée par un chantage
à la grandeur et à l’indépendance dont l’avenir prouvera à quel point
il peut être illusoire et contre productif. Nous sommes face à une
clique d’apprentis-magiciens qui jouent avec la poudre et ne
comprennent que trop tard son pouvoir détonnant.
C’est une forme de candeur qui a présidé à la décision d’organiser un
Brexit. Calcul génial pour les uns, moyens de pression bienvenu pour
les autres, ce devait être une manière de remettre l’Angleterre au
centre du jeu européen. C’est en définitive une énorme erreur
politique, une décision qui sera lourde de conséquences. Le pays privé
de ses rattachements politiques et symboliques avec l’Europe risque
malheureusement de s’enfoncer dans une crise profonde. Les indicateurs
que nous redoutions s’allument. Le populisme s’en trouve conforté et
Marine Le Pen crie déjà à l’organisation d’un scrutin similaire en
France. On peut lui faire confiance pour nous réconcilier avec les
autres peuples européens et le reste de la planète ! Mais le pire pour
l’Angleterre est que le Royaume-Uni est désormais menacé. Les irlandais
du Nord ont voté pour un maintien dans l’UE qui risque de raviver des
tensions anciennes et surtout l’Ecosse désire à présent y rester ce que
son vote confirme. Les écossais comprennent tout le parti que
représente un lien à l’Europe et l’intérêt pour eux d’y être inscrits.
Le nationalisme c’est la barbarie. Barbarie fasciste, barbarie
stalinienne, barbarie nazie, barbarie franquiste, tout ce que la
mémoire de l’Histoire avait contribué à faire disparaitre. Mais les
peuples sans mémoires s’engagent dans des voies qui les ramènent à
l’origine des conflits. Nous ne voulons ni du populisme, ni d’un
nationalisme écervelé pour nos enfants et petits-enfants. Nous voulons
redéfinir le projet européen, pour le faire avancer dans la bonne
direction. Débarrassé de la force objective de nuisance anglaise, celui
ci peut dépasser les antagonismes actuels pour se réinventer et
renaitre. Mais il faudra juguler les forces centrifuges qui risquent de
se manifester à présent et surtout présenter aux européens le
visage d’une Europe protectrice qu’elle n’aurait jamais du cessé
d’être. Une Europe des peuples pour les peuples qui puissent enfin
entériner l’angle social prôné par Jacques Delors et bâtir les
politiques communes réelles qui sont nécessaire pour solutionner les
crises auxquelles elle fait face. Le pire est de constater que ce sont
les mêmes conservateurs anglais qui ont bloqué à Bruxelles toutes les
tentatives de doter l’Europe de ces instruments qui ont ensuite fait
tellement défaut qu’on l’a accusée à tord d’être incapable de fixer les
crises, notamment migratoires et terroristes. Piètre bénéfice politique
qui est en train de revenir comme un boomerang atteindre ces mêmes
conservateurs.
Je ne sais pas précisément de quoi l’avenir sera fait, mais une vision
claire des enjeux n’est pas un luxe par le temps qui courent. L’Europe
est enfin libre de la capacité de nuisance anglaise mais à un moment où
le projet s’est effiloché au point qu’elle est relativement désunie. Le
danger est grand. Il va falloir que les leaders européens fassent
preuve d’un sens politique accru et sachent réorganiser l’union
politique du continent. Avancer sur le sujets préalablement sabotés par
l’Angleterre et créer les conditions d’une exemplarité hors-norme et
d’une acceptabilité retrouvée. L’Angleterre ne va pas disparaitre de la
carte mais elle a pris un risque bien trop grand au regard de ses
possibilités réelles. On lui souhaite de retrouver le chemin d’une
relation plus poussée avec l’Europe qui est sa terre de rattachement
naturelle. « We don’t quit » était la devise de Churchill,
mas il faudra des dirigeants de sa trempe pour sortir le pays de
l’ornière dans laquelle il s’est embourbé. Sur le continent, si les
leaders actuels ne parviennent pas à imaginer une perspective
historique claire, il faudra qu’apparaisse une nouvelle génération de
leaders, résolument européens et clairvoyants, qui sachent produire
suffisamment de temps et d’espace pour leurs concitoyens en leur
décrivant de manière précise les nouveaux enjeux et opportunités qui
pourraient bien se dégager à terme et dans l’immédiat. Toujours est-il
que nous souhaitons bonne chance à l’Angleterre désormais retranchée
dans son splendide isolement et que nous espérons qu’elle sache que le
lien qui la rattache à l’Europe jamais ne se cessera d’exister et
jamais ne se brisera.
24 Juin 2016
Placez
un signet sur cette page qui dresse un tableau mensuel inédit de
l'actualité...
Retour au
sommaire
|