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Habeas Corpus Mondial
Par Gilles Marchand
Les
Flots de réfugiés qui se déversent sur les grèves de l’Europe posent
bien plus que le problème de l’accueil : ils questionnent notre
humanité et capacité à résoudre les nombreuses crises qui nous viennent.
Nous
sommes tous les témoins à quelque niveau que ce soit d’un phénomène qui
vient se réverbérer dans nos journaux, nos radios, nos télévisions. Les
drames qui ont lieu quotidiennement en Méditerranée avec la noyade à
grande échelle de milliers de migrants accumulés au fil des mois ont
débouché sur des situation intenables. Notre traitement de
l’information passe souvent ces « nouvelles » par pertes et
profits, ce qui est une expression affreuse quand on parle d’êtres
humains amenés à jeter leurs dernières forces dans un périple
hallucinant qui leur fait traverser des déserts arides où nombre
d’entre eux périssent, comme au Tchad ou au Niger. Bon nombre de ces
migrants sont rançonnés à de très nombreuses reprises par des bandits
de grand chemin qui leur extorque leur modeste pécule. Une autre partie
finit dans des geôles, des cachots, sont réduits en esclavage,
exploités, contraints de s’embarquer sur des embarcations fragiles, des
zodiacs ou des barques instables surchargées par des passeurs qui
exploitent ces situations jusqu’à aller les saborder eux mêmes.
Nous sommes clairement face à une situation abominable. Mais les
raisons en sont nombreuses et complexes, ce qui fait que nous
paraissons parfois manquer des outils intellectuels appropriés pour la
résoudre. Or, sans le savoir souvent, nous sommes encore les maitres de
ces problématiques. Il en va de notre responsabilité de questionner nos
possibilités réelles. L’Europe va vers des problèmes encore plus graves
qu’elle a tout intérêt à résoudre en amont de leur complète et totale
métabolisation. Prévenir ces urgences semble complexe mais cette
résolution aura une incidence essentielle sur les équilibres mondiaux
et la paix à long terme sur le continent. Il s’agit de ré-interroger
notre humanité et de faire appel à notre imagination d’une manière
nouvelle. La première est de constater que nous sommes une
société extrêmement riche et chanceuse y compris quant on en vient à se
questionner sur ses perspectives climatiques. Nous avons connu la
guerre. Nous avons connu le drame des réfugiés en Europe. Des drames
spectaculaires qui devraient aujourd’hui encore nous rendre méditatifs
et prudents quand il s’agit de vie humaine. Il s’agit ni plus ni moins
de retrouver le sens de notre humanité. De considérer que nous avons
affaire à des gens qui ne sont pas nos concitoyens, mais qui font
partie d’une communauté à laquelle nous sommes nous aussi rattachés,
les différentes parties du monde, où chacun s’organise sous la férule
de principes qui doivent être communs à toute l’humanité. Nous savons à
ce titre un devoir d’assistance comme dans les conventions de Genève au
lendemain de la seconde guerre mondiale. Nous ne sommes pas censés
abdiquer notre prospérité, mais au contraire la préserver. Se montrer
conscients de ces problématiques est une nécessité ontologique stricte.
Sinon, nous irons à terme — doux euphémisme — vers des situations
insolubles. Cette prise en compte humaine de tous doit être
conditionnée à des négociations juridiques dans le monde entier et en
particulier à l’ONU lieu naturel de leur mise en œuvre à venir. Il
s’agit d’abord et avant tout de renforcer des institutions que les
aléas actuels de la politique internationales, et en particulier aux
Etats Unis fragilisent. Nous devons revendiquer et obtenir la création
d’un Habeas Corpus Mondial, comme dans le droit anglais, qui en 1679,
grâce à sa Carta Magna et sa Bill of Rights a établit les ferments d’un
respect légal de la personne humaine et d’une protection de la liberté
individuelle. Nous devrons alors tirer les conséquences de cette
nécessaire perspective législative afin de garantir aux individus une
protection mondiale dans le cadre des Droits de l’Homme. Nous avons
l’impérieuse obligation d’adapter le droit international aux réalités
d’aujourd’hui.
L’Europe se protégera si elle sait anticiper les avancées prévisibles
des contextes géostratégiques à venir. Mais elle doit le faire au nom
de ses valeurs et de l’indispensable solidarité intra européenne qui
doit enfin jouer. Nous devons accueillir des populations qui sont en
danger direct de mort, quelque soir la raison qui a abouti à leur
décision de quitter leur pays d’origine, guerre, conflits politiques,
famines, crises écologiques et environnementales graves. On ne se
résout pas à des gestes aussi dangereux et graves sans raison sérieuse
et absolue. Ces populations représentent une fraction très réduite de
la population du continent. Un infime pourcentage. Mais nous avons pris
l’habitude intellectuelle de parfois accréditer des idées frelatées qui
corrompent l’espace public médiatique, le populisme le plus abject
comme le nationalisme borné qui ne comprend pas le danger qu’il court à
vouloir se retrancher du monde dans un repli identitaire dangereux. Le
déni de réalité est le chemin le plus court vers l’aggravation des
problèmes. Or, beaucoup d’entre nous refusent de voir les choses en
face. Refusent de comprendre qu’une attitude sectaire, idéologiquement
cadenassée, est en définitive contre-productive. Bien sûr, la
répartition de ceux qui resteront est une question qui se pose. Mais
vouloir imposer un monde fermé à des générations qui sont nées sur des
principes d’ouverture est une aberration.
L’adoption du principe de l’accueil, humain, ordonné, encadré, est le
premier des gestes à effectuer. Il doit permettre d’éviter les drames
que nous avons trop connus et de rendre à tous la dignité qu’ils
avaient perdu, nous compris, car une part importante de notre âme et
conscience s’en est trouvée malmenée, questionnée. Des zones de repos
doivent être construites ou aménagées pour garantir l’accueil. des
cours de langues doivent être donnés avec des traducteurs qui
prépareront l’avenir par ce biais. Des conseils donnés en toutes
matières. Il faudra ensuite refuser de discriminer les arrivants au nom
des raisons qui les poussent à partir.
Il n’y aura pas d’appel d’air si nous savons assortir ces politiques de
volets migratoires, c’est à dire penser une véritable politique
migratoire après une nécessaire concertation africano-européenne, et
internationale, ainsi que d’aides au développement adaptées. Il faudra,
d’ailleurs, questionner cette notion d’aides au développement. D’abord
elles régressent, budgétairement parlant, et surtout les pays
bénéficiaires ne sont plus convaincus aujourd’hui de leur nécessité, ni
pertinence. Il serait beaucoup plus judicieux d’imaginer des politiques
inclusives qui permettent le décollage véritable des pays concernés
afin que leurs populations aient la possibilité matérielle de vivre sur
place. Le droit au retour des déplacés doit être un droit humain comme
dit Jean Marie Le Clézio. De véritables partenariats doivent être
scellés sur une meilleure base d’égalité. Chacun y trouvera son compte
et cette sincérité retrouvée permettra de pérenniser sur le très long
terme des relations aujourd’hui fragilisées par une arrogance qui a
longtemps été la règle et a failli épuiser la patience des meilleurs
leaders africains, notamment. L’Européen du XXIe siècle à l’étranger
doit être un homme ouvert, intelligent, cultivé, organisé et un bon
partenaire industriel et commercial potentiel. Il doit préparer le
terrain, et faciliter les accords d’échanges sur tous les plans. Et
faciliter le rayonnement d’un continent qui a tout à gagner de trouver
un meilleur positionnement dans la mondialisation. Cette identité
proactive doit permettre à l’Europe de sortir de la mauvaise conscience
actuelle. Lui permettre de s’inscrire pleinement dans un monde qui
demande une pacification des relations et une présence elle-même
pleinement accueillie et revendiquée par tous pour le bien de tous. La
bienveillance n’est pas uniquement un principe de marketing ou de
management. C’est une valeur montante de la politique internationale.
L’image d’un pays dépend grandement de ses représentants, de ses chefs
d’état en particulier, mais nous sommes tous les ambassadeurs de notre
continent. A ce titre nous avons la responsabilité de traiter d’égal à
égal avec les individus que nous rencontrerons sans pour cela tomber
dans une naïveté de mauvais aloi.
Une fois que nous aurons activé une véritable politique migratoire
comme celle qu’a, par exemple, produit le Canada, basée sur les
possibilités réelles du pays et ses besoins socio-professionnels. Nous
aurons alors établis les germes d’une meilleure prise en compte de ceux
qui souhaitent rejoindre notre continent, garantissant une citoyenneté
plus heureuse et mieux intégrée, une paix civile à long terme pour un
coût infiniment inférieur aux risques que feraient courir une attitude
intransigeante en matière de flux humains. Nous éviterons des guerres.
Nous alimenteront ces populations, notamment en eau, au nord de
l’Afrique par exemple, grâce à nos savoir faire essentiels en la
matière. Le génie humain irriguera toutes les sphères géographiques, et
remplacera une économie basée sur les énergies fossiles par un régime
énergétique nouveau basé sur la décarbonisation de l’économie et la
préservation des matières premières disponibles. Une avancée décisive
qui permettra d’imaginer des réponses à d’autres problématiques
connexes, comme celle de la pollution des océans et de la préservation
des ressources halieutiques. Il nous faut imaginer l’avénement d’un
nouvel ordre symbolique, qui grandira à tous prospérité et santé,
confort et sécurité, ainsi qu’une terre de rattachement dans un monde
en paix pour longtemps. Tout autre chemin parait dangereux tant les
risques qui s’accumulent grandiraient. Imaginer un futur idéal, c’est
se donner les moyens d’un optimisme de raison, seul à même de garantir
de l’espace et du temps à long terme pour tous et pour chacun.
C’est notre avenir commun dont il s’agit. Celui de notre continent et
de son rapport au monde. Et les bienfaits les plus importants seront
peut être ceux qui ne se verront pas !
4 Juillet 2017
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