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L'Europe au Miroir des Antieuropéens
Par Gilles Marchand
Nous sommes entrés depuis les dernière sélections italiennes dans une phase extrêmement délicate de la construction européenne.
Les
différentes élections qui émaillent le calendrier démocratique européen
livrent toutes des messages très clairs. Une défiance inquiétante et
grandissante vis-à-vis des élites qui dirigent ses différents états. En
réalité, les années de crise économique que nous avons traversées ont
accru le sentiment que les politiques n'avaient plus de prise sur la
vie économique et le destin individuels de leurs citoyens. Elles ont
souvent disqualifié des hommes qui ont été souvent été désavoués en
particulier quand, précédemment, ils exerçaient des responsabilités.
Cette désaffection a lieu dans un contexte négatif de repli identitaire
où le sentiment qui domine, face à cette prétendue impuissance, est
celui d'une régression, voire d'un déclin aussitôt jugé inéluctables
par la plupart des milieux médiatiques qui nous assènent un discours
souvent défaitiste et démobilisateur. On décrypte des signes de
décrépitude partout où l'on porte le regard, ce qui en soi est une
vision parcellaire, incomplète et finalement orientée, d'un panorama
qui porte au moins autant de facteurs contre-productifs, que d'éléments
porteurs, en vérité majoritaires, susceptibles d'alimenter une
résurgence européenne.
Partout, la nation et la région sont les nouveaux miroirs que tentent
aux foules des leaders auto-proclamés qui défendent des visions
généralement simplistes, et souvent populistes, souvent basées
sur la haine de différences que l'on refuse de prendre en compte
intelligemment, d'étrangers que l'on stigmatise rappelant en cela des
réflexes d'un passé sombre — encore si proche — et dans certains
pays, comme en Grèce avec le parti Aube Dorée, on se retrouve en
présence de véritables franges néo-nazis, nostalgiques d'un ordre
autoritaire qui s'il ne faisait l'objet d'une prise en compte
vigilante, pourrait nous mener aux pires extrémités de ce passé. Car le
paradoxe du "tous pourris" est qu'il oblitère le caractère
manifestement discutable, voire bien pire, de ces cliques qui en
réalité affectent de jouer le jeu de la démocratie pour mieux la
destituer.
Dans ce contexte les critiques des pro-européens sincères qui
voudraient améliorer la représentation démocratique européenne, passant
sous silence les conquêtes institutionnelles du parlement, rejoignent
le concert des anti-européens et finalement fragilisent l'Europe en
l'exposant à la politique du pire qui serait orchestrée si ces partis
accédaient au pouvoir.
Comment dans ce contexte, assurer l'existant, tout en améliorant à
terme la situation des individus à une échelle large ? D'abord, il est
vrai que l'Europe pourra aller dans le sens d'une évolution
démocratique en faisant plus de place à la volonté des citoyens. Mais
cela sans fragiliser ses institutions. Pour cela, il faut une véritable
représentativité des instances qui sont à la tête de l'Europe, en
particulier pour ce qui est du Président du Conseil européen qui doit
être élu au suffrage universel direct en deux tours. On doit également
envisager une représentativité politique accrue du gouvernement de
l'Europe, à savoir la commission, suite à cette élection. Et le
parlement disposera à terme un véritable pouvoir législatif.
C'est l'Europe des Hommes.
D'autre part, une véritable Europe des Régions doit émerger grâce à
décentralisation européenne renforcée. Il sera ainsi possible de
répondre à l'enjeu brûlant de la partition des régions sécessionnistes
européennes en renforçant leur intégration continentale et en accordant
des droits nouveaux à leurs représentants régionaux. Une meilleure
coordination et prise en compte des désidératas locaux en découlera.
Enfin, il faut que les dimensions économiques et sociales de l'Europe
soient renforcées dans le sens d'une intégrations des outils de
politiques publiques. Il est souhaitable qu'émergent les champions
économiques des décennies à venir, que soit déterminé un cadre plus
propice à la création d'entreprises numériques de haute technologie,
dans le domaine des technologies, du travail, de la santé, du tourisme,
de l'habitat, des transports et de l'énergie.
Il est important que l'Europe se réinvente en permanence pour faire
face aux enjeux qui nous viennent. Elle pourra ainsi davantage
affronter les périls qui se dresseront sur son chemin et les vaincre.
Mais une claire conscience de sa légitimité doit l'habiter face aux
ennemis de la liberté qui se multiplient devant elle. Elle n'est pas
cette entité insensible, exagérément éprise d'ultra-libéralisme, que
décrivent ses ennemis. Elle est au contraire l'artisan de politiques
qui ont assuré la stabilité et la prospérité du continent et ce depuis
plus de soixante ans. En cela elle a permis à la liberté et à la paix
de régner. Malgré les défauts inhérents à son échelle, les qualités et
avantages qui en résultent sont bien plus grands et bien plus porteurs.
Il est crucial de la défendre face aux discours faciles qui consistent
à la dénigrer et de garder l'esprit ouvert dans le contexte d'évolution
des problématiques ambiantes. Elle est un des principaux échelons de
l'action publique et une chance décisive dans un monde en pleine
mutation. Il ne faut pas abandonner notre idéal européen, clair et
riche de réalisations, aux sirènes d'une aventure insensée qui risque
de nous mener aux pires extrémités. Il faut retenir les leçons de
l'histoire. Elles sont la meilleure garantie que nous ayons pour ne pas
en réexpérimenter la logique funeste.
Mars 2013
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