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L'Europe est-elle condamnée au surplace ?
Par Gilles Marchand
Entre le risque d'un
retour en arrière par partis extrémistes interposés et l'enferrement
dans les difficultés ontologiques sans nom que provoque une vision
ultralibérale déconnectée des besoins réels des citoyens, il est —
encore — possible de réinventer une Europe à visage humain, plus
politique et plus sociale. L'Europe doit perpétuellement renaître...
DNous
avons depuis longtemps maintenant eu l'occasion de voir la pensée
agissante de Milton Friedman traduite en actions et les excès de la
doxa ultralibérale provoquer des catastrophes à l'échelle de l'Europe.
Quand la liberté, vertu cardinale aux yeux de tous, fait peur à ceux
qui sont censés la défendre, c'est que la vérité commence à blesser…
Nous avons trop longtemps vécu comme des somnambules, déplore Angela
Merkel, mais les remèdes imaginés sous l'égide de Nicolas Sarkozy
jusqu'ici étaient des bouillons amers si peu effectifs qu'il était
nécessaire de sempiternellement recommencer quelques mois plus tard
avec la même absence de résultat… Il a fallu que quelqu'un quelque part
éclaire la nécessité absolue que l'Europe dispose d'une vraie banque
centrale qui joue pleinement son rôle auprès des états en étant prêteur
en dernier ressort pour que la crise de l'euro se tarisse. Aujourd'hui,
on nous promet des rechutes que l'on se dépêche d'orchestrer en
pressant la cour de Karlsruhe de revenir sur cette décision, ce qu'elle
ne s'est heureusement pas résolue à faire, dans son immense sagesse,
comprenant intuitivement que le sujet était d'une essence trop
politique et économique pour être traité avec légèreté. La cour
européenne est donc saisie et on espère qu'elle aura une inspiration du
même ordre.
Le danger d'une vague populiste existe, mais il se combat avec les
armes intellectuelle appropriées. Se souvenir que l'Europe est avant
tout un instrument au service de ses citoyens et que les peuples sont
en droit de bénéficier du meilleur des institutions qu'ils ont
contribué à mettre en place. Répondre, dans ce cadre, aux
problématiques qui se posent est indispensable. Créer une offre
politique qui est aujourd'hui bien souvent manquante est un des
impératifs auxquels sont confrontés tous les décideurs européens.
Résoudre les questions qui se posent en leur opposant des solutions
opérantes est une des exigences absolues de l'action politique.
Elle est même sa raison d'être.
Il faut que les partis traditionnels évoluent au point de faire
réellement corps avec la population de leurs pays elle même, que la
décision voyage à tous les étages de la société, horizontalisant les
différences, faisant aboutir les requêtes d'où qu'elles puissent
provenir. Un pouvoir politique n'est légitime que s'il est apprécié. Or
on ne peut être populaire que si l'on est sincère dans ses volontés
d'action et dans sa manière de les faire aboutir. Bien souvent et dans
la plupart des pays, l'action politique est considérée comme un métier,
une sorte de privilège destiné à servir les intérêts de castes plus ou
moins fermées, le clientélisme étant un des éléments contraires aux
intérêts réels de l'action démocratique. Quand on s'éloigne du service
de ses concitoyens pour se rabattre sur des problématiques qu'il est,
certes, nécessaire de traiter mais qui semblent dispenser du reste, on
ne tarde pas à se fourvoyer.
Il est grand temps de réinventer l'action politique.
Nous avons trop souffert de la crise, trop été réduits à des reculs et
des humiliations insidieuses, pour ne pas demander autre chose. Et là,
comme d'habitude le génie humain est illimité, puisqu'il y a toujours
possibilité de pire…
C'est justement ce que les partis de droite extrême s'emploient à nous
offrir. Un sauve-qui-peut généralisé sous-tendu par des valeurs
putrides qui insistent lourdement sur les différencialismes et
cherchent des boucs émissaires partout où c'est possible. Une remise en
cause des valeurs de civilisations au nom trompetté du contraire. Un
chapitre noir de l'histoire des nations que nous avons déjà vécu et que
nous n'avons plus les moyens de nous infliger à nouveau aujourd'hui.
Nous espérons ardemment que ce qui vient d'être énoncé soit réellement
compris. Le danger nous pouvons le créer. Nous avons tous des
antécédents familiaux de par l'histoire des peuples, mais nous ne
sommes pas condamnés à revivre ce cauchemar. Pas condamnés à subir une
logique qui ne manquerait pas de s'installer à terme. Aujourd'hui,
l'Union européenne nous offre de traverser un continent apaisé. C'est
une merveille apparemment simple qui n'a pas de prix. Ne la remettons
pas en cause...
Alors, que nous reste t-il d'autre que l'infini des possibles et
l'ordre implicite de ne pas échouer. L'injonction d'éviter de se
laisser convaincre par des gens qui ne veulent pas que notre bien, en
tant que peuple, par la grossièreté des mesures envisagées, et le tissu
d'inepties que représentent leurs soit-disant programmes politiques. Le
progrès ne s'est jamais fait au nom d'une idée réductrice de la
réalité, or c'est ce que l'on nous propose : un rétrécissement mitral,
un renoncement, un repli identitaire, alors que nous sommes tous
capables de sortir par le haut de nos situations respectives. Mais pour
cela il faut inventer un rapport au politique nouveau. Une compassion,
une empathie qui se fasse à tous le stades de la société. Ce que
certains appellent le vivre ensemble est en réalité le génie invisible
qui traverse la société et permet à la liberté d'y régner. L'adhésion
aux formes de pouvoir que peuvent revêtir l'administration de l'espace
public. Le respect de la frontière privée, la valorisation du parcours
de chacun, l'accès aux services publics réinventé, une véritable
colonne vertébrale sociétale, un corpus de règles protectrices et de
textes favorable à l'accomplissement de chacun. Cette structure existe
déjà à l'état de minerai aurifère pur, sous la forme de la sociale
démocratie initiale, mais elle demande un léger dépoussiérage
ontologique pour correspondre aux évolutions du monde tel qu'il se
présente aujourd'hui avec son aréopage de technologies novatrices.
Chaque technologie contient son accident disait Paul Virilio, mais elle
contient aussi son mystère, sa dimension cachée, qui la tient dans
l'expectative tant que ses qualités propres et bénéfiques ne sont pas
démontrées.
Nous avons à réinventer des sociétés démocratiques au temps des réseaux sociaux et d'internet.
C'est avant tout l'étalon Homme qui doit ici comme ailleurs nous
fournir l'échelle de travail dont nous aurons besoin. Sa liberté,
les droits auxquels il est en mesure de prétendre, la défense de son
intégrité tant morale que physique. L'Europe est à ce titre une terre
de tradition et une terre d'évaluation remarquable. Elle propose en
réalité et en permanence des évolutions qui vont dans le sens des
intérêts des citoyens, d'une manière, hélas, presque furtive, tant la
communication européenne est calamiteuse… Cet aspect des choses n'est
pas suffisamment rappelé. L'Europe fait beaucoup mais elle ne sait pas
"vendre" ses avancées et décisions les plus déterminantes. Elle
apparait, aujourd'hui, comme une instance de contrainte vis à vis des
états, alors qu'elle est censée être vécue comme une instance de
libération, ce qu'elle a légitimement vocation à être. C'est tout
l'enjeu de l'enthousiasme que nous devrions avoir, en tant
qu'européens, dans le projet qui est censé porter nos couleurs. Nous
sommes insuffisamment patriotes d'un continent et de valeurs dont nous
ne percevons plus tout à fait les limites et le frontières. Il est
urgent que la clarté revienne au sein des esprits des européens. Que
s'établisse un nouveau contrat entre les habitants de ces rives et ceux
qui sont supposés les diriger. Le secret est de servir l'intérêt
commun, comme la respiration démocratique de chaque instant qu'elle est
censée être. Alors nous pourrions éviter ce cauchemar dont peu semblent
bien prendre aujourd'hui la mesure et soupeser le conséquences.
Mais si nous ne faisons pas collectivement le nécessaire, demain il sera trop tard !
17 Février 2014
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