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Vers la
société multiculturelle de l'avenir
Par Gilles Marchand
Une attitude puritaine en matière de flux humains et
culturels est une misère de l'esprit autant qu'une ruine à venir des
pays qui la prôneront.
Une des questions qui semblent agiter certaines petites consciences
asservies par des années de ruminations stériles ces temps-ci est celle
de la préférence nationale dans un but d'évidente préservation des
intangibles valeurs qui ont fait la gloire de certains grands peuples
marmoréens. On a la trouille, on s'inquiète. En un mot comme en quatre
: l'étranger fait peur.
Son externalité, son peu d'adhérence aux thèses défendues par les
penseurs de la modernité préoccupe. On y va à reculons, avec la
commisération et le maximum de précautions oratoires qui s'imposent,
quand on y va. Attitude classique de ceux qui surfent entre leur
boulanger, leur supermarché et leur lieu de travail culturel sans oser
franchir la ligne bleue des pyrennées derrière laquelle s'épanouit
lascivement le sarrazin qui nous aurait volontiers empalés si Charles
Martel n'avait pas dressé ses murs de francesquines à temps pour
l'occire sous les murs de Poitiers en 732...
On craint le barbare, le turc et sa fameuse tête qui
ne nous revient pas, le flot de l'Islam qui vient s'épancher dans le
lit de la chrétienté dans le triangle exigu de leur manque de foi en
l'avenir. La palestine et son téléphone arabe inquiète, les roumains
qui viennent voler sous nos fenètres et jusque dans nos bras en veulent
à notre mode de vie, les soudanais qui détournent le riz des éthiopiens
exagèrent, les sri lankais avec leurs tigres tamouls aussi, les
vénézuéliens ne veulent pas nous vendre leur pétrole comme tout le
monde, les coréens et leurs bombes atomiques, au moins, les tziganes
qui pourrissent nos campagnes désertées, les lettons, les lithuaniens,
les estoniens, les polonais, les hongrois, les tchèques, les moldaves,
les slovaques, les russes, les albanais, les magnyards, les serbes, les
kosovars, les macédoniens, les bosniaques, les burkinabés, les
somaliens, les peuls, les pygmées, les bambaras, les rouges, les bruns,
les noirs même blancs, les petits hommes verts qu'ils soient jaunes ou
bleus... Personne n'a à leurs yeux droit de cité dans leurs merveilleux
HLM, au fond de banlieues que même les classes moyennes devraient
maintenant se dépècher de rejoindre parce qu'on ne veut plus d'elles
dans les grandes villes, et il n'est pas né celui qui les dérangera
pendant qu'ils lisent les évangiles et prient devant les caméras...
Le phénomène touche aussi les jeunes, quoique dans une moindre mesure.
On voudrait nous intimer l'ordre de détester en retour ce que nous
comprenons, et cela est valable à l'échelle mondiale à l'heure où
certains jouent ouvertement la carte d'une guerre de religions. On
cherche à nous faire abandonner l'ouverture d'esprit qui
— miraculeusement — semble encore être la notre et nous
ramener aux époques féodales qu'ils n'ont pas tout à fait quittées ou
qu'ils rêvent de recréer.
Fermeture des frontières, fermeture des ouïes, retranchement dans les
soubassements d'une culture qui se flétrit. Rejet du différent,
quasi-volonté nationaliste de purification ethnique. On ne se mélange
pas, on refuse de recevoir tout ce que l'on a à recevoir. On se ferme,
on gèle des écoutilles. Super-attitude qui va directement d'un point de
relative entente à l'affrontement. Quand on se cramponne à de petites
certitudes périmées, il arrive que les problèmes que vous niez vous
rejoignent là où vous tenez.
Nous avons tout à gagner de la multiplication même à outrance des
échanges. Nous avons tout à gagner de faire confiance à une jeunesse
qui a pourtant été systématiquement maintenue dans un état de minorité
critique, écartée, incomprise, soumise à une mise en boucle des
desiderata adultes.
On voit aujourd'hui le résultat tangible de cette attitude. Tout va
bien pour un nombre toujours plus réduit de personnes soucieuses de
conserver indéfiniment les choses en l'état dans un monde qui n'a
jamais changé aussi vite. La fin de l'histoire était une bien belle
mécanique, huilée, équilibrée, généreuse presque, mais totalement
irréaliste.
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Aujourd'hui le
futur déborde de partout.
Il nous atteint même dans les endroits où nous cherchons à l'éviter.
Comment l'intégrer ? Internet est une stratégie du débordement,
mais c'est aussi une fabuleuse machine à développer des pratiques
intellectuelles et culturelles dans l'accroissement des contacts, dans
la densité de ses contenus, et la réalisation des potentiels qu'il
permet de concrétiser. Mais là aussi nous doutons.
Nous reproduisons les petites contorsions protocolaires qui ont présidé
à l'accueil de toutes les inventions majeures. L'aspect négatif est
amplifié par cette attitude de commisération. Les croyances se
rencontrent. Sans une prise en compte ouverte de toutes les tendances,
comment aujourd'hui les faire communiquer ? De telles évidences
paraissent difficiles à faire admettre à certains responsables dans la
mesure où ils ne parviennent pas à les séparer d'aspects
géo-stratégiques qui sont pourtant transparents dans un contexte de
développement des technologies de communication.
Certaines sociétés reposent sur des valeurs qui semblent demander une
forme de séparation ubiquitaire. Les mettre en contact avec la réalité
internationale peut provoquer des séismes. Le triangle infernal
identité, culture, communication comme le martèle Dominique Wolton est
un mélange chimique ultra-réactif. Comment intégrer ces trois aspects
sans les dénaturer autrement que par un respect des traditions et une
reconnaissance de leur intérêt humain. Sans une attitude d'ouverture,
de respect et de tolérance civilisationnelle puisque certains pensent
devoir peser une supériorité à ce niveau. Deux individus qu'ils soient
issus du centre économique du monde ou d'une latifundia perdue ont la
même valeur humaine et peuvent connaître les réalités de la nature
humaine avec la même acuité. Ils sont objectivement différents,
notamment sur le plan culture,l mais ils sont tous deux des expressions
différentes d'une réalité identique. Un même sang coule dans leurs
veines et le quotient intellectuel le plus élevé n'est pas forcément où
l'on croit.
Avec Internet et les nouvelles technologies de communication, nous
avons un instrument exceptionnel pour créer de la richesse, une
nouvelle économie, pardon d'employer à dessein cette expression que
certains voudraient enterrer avec les peurs qu'elle a pu leur inspirer,
la technostructure financière mondiale ayant mis en danger un
développement prometteur qui finira par se faire, même si d'autres
dangers, notamment la concentration excessive des médias et des
industries culturelles, se profilent...
Or on perd le sens de certaines valeurs simples de solidarité et
d'ouverture. Cette apparente porosité à laquelle nous sommes désormais
soumis, ou dans laquelle nous avons la chance de nous trouver, c'est
selon les dispositions qui président, nous expose plus qu'elle ne nous
protège. Nous avons donc besoin d'allier une protection morale,
intellectuelle, culturelle, professionnelle avec une forme d'ouverture
et de quasi-abandon conjugués. Le semblant d'insouciance qui fonde les
sociétés en expansion. Le multiculturalisme demande donc une bonne
connaissance de ce qui fait notre identité, notre rattachement
géographique, notre maison, notre socle.
Cela demande des années d'apprentissage et contrairement à ce que
croient certains, soucieux de correspondre à l'immédiateté du click and
play, cela demande une discipline, un esprit d'analyse, de synthèse et
des fonctions critiques. Or où peut naître cet esprit sinon dès le plus
jeune age dans le multilinguisme et dans l'éducation ?
Les générations
qui accèdent aujourd'hui au monde dit actif ont bénéficié de cette
approche mais, bien souvent, elles ont été étouffées et n'ont pu
accéder aux places de renouvellement de la société parce que la
génération qui l'a précédé a maintenu son influence sur une durée
exceptionnellement longue de son histoire. Il se peut qu'il n'y ait pas
aujourd'hui d'antinomie, mais c'est à cette génération tutélaire de
jouer son rôle de transmission. Elle a été au succès mais ne doit pas
compromettre celui de celle qui la suit par une rétention davantage
prolongée des instruments qui permettront d'effectuer la transition
dans les meilleures conditions. En particulier l'argent alors qu'on
assiste souvent à une paupérisation accrue de nombreux jeunes
contraints de réfreindre leurs aspirations et de différer leur date
d'entrée dans la vie professionnelle. Le phénomène des adolescents
poussés à rester chez leurs parents est parlant. Il illustre une
appréhension voire une impossibilité parfois de trouver le point de
passage, les points de passage obligés. Celui des intellectuels
précaires en est une autre illustration, parlante...
Dans une société qui négocie un changement symbolique, nombreux sont
ceux qui peuvent se tromper, aller dans des directions se révélant à
terme handicapantes. Il faut que cette énergie humaine bénéficie d'une
plus grande connaissance du terrain, et soit par conséquent tenue
informée des modifications en cours. Je ne parle pas uniquement de
modifications techniques, je parle de modifications informationelles.
Certains médias remplissent ce rôle à merveille et il faut tirer son
chapeau à tous ceux qui le font avec honnêteté et foi dans les
développements en cours.
Par contre, la
gestion de l'actualité souffre de dysfonctionnements. On pourrait
écrire des dizaines et des dizaines d'essais sur le sujet mais pour ce
qui est en relation avec le thème central de cet article, il est clair
qu'on touche actuellement un seuil. La manière dont les informations
viennent à nous demande une connaissance des médias et des qualités
quasiment professionnelles. Pour comprendre ce qui nous arrive, il faut
une grande rigueur, une curiosité exceptionnelle et quand bien même ce
serait le cas, cela ne suffit pas. Il faut aussi savoir trier,
reconstituer ce qui vient à nous en lambeaux. La reconstitution de ce
puzzle est devenu parcellaire et souvent énigmatique.
Bref nous sommes souvent trop mal ou pas assez informés, rarement nous
trouvons ce que nous cherchons. Nous assistons, impuissants la plupart
du temps, à tout ce que la planète produit de dysfonctionnements, sans
explication, sans code, sans éducation, sans esprit critique, sans
implication, même. On brouille les images plus qu'on ne les éclaire et
cela provoque, entre autres, certains replis identitaires et certaines
tentatives de solution par d'autres moyens. La confusion, ou une
certaine incompréhension, s'étant installée à l'aune de nos
plates-formes communicationelles on s'en remet à autrui.
La télévision à force d'hypnotiser perd de son pouvoir...
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