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Vers la société multiculturelle de l'avenir (suite)
Par
Gilles Marchand
Une attitude puritaine en
matière de flux humains et culturels est une misère de l'esprit autant
qu'une ruine à venir des pays qui la prôneront.
Mais ce n'est
pas toujours le cas car, en France du moins, il y a heureusement un
grand nombre d'émissions de qualité qui privilégient la discussion et
une certaine réflexion, une analyse nécessaire, un décodage qui sont
les bienvenus. Mais pour ce qui est des variables sociologiques et
culturelles, les phénomènes ont bel et bien lieu. Une alternative
consiste à spécialiser les sources d'information en fonction des
besoins. Le développement du câble et des chaînes numériques
hertziennes va dans ce sens mais il n'est encore rien face à la
convergence avec Internet qui est l'absolu du particulier accessible au
plus grand nombre. A tel point qu'on étalonne ces nouvelles sources et
ces nouveaux modes par des vocables de plus en plus précis. C'est une
chance pour le multiculturalisme car cela évite notamment la prétendue
uniformisation que tant redoutent.
Le
multiculturalisme nous met à l'abri de cet écueil et reconstruit des
savoirs et des expériences pointues et diversifiées qui permettent une
densification du tissu professionnel et une explosion des connaissances
et de leur prise en compte au plan culturel. Nous allons donc bel et
bien vers une société où la culture sera la valeur dominante et où les
nouveaux médias seront les vecteurs de cette transformation. Abandonner
maintenant serait une ineptie. Contrer les projets qui demandent à voir
le jour sous prétexte que des mauvais gestionnaires ont avancé sans
réaliser les limites de leurs possibilités financières et le mimétisme
en simultané des sites créés notamment pour ce qui était de leur
promotion et de leurs méthodes marketing réputées infaillibles, est
aussi un non-sens.
Mais les institutions financières semblent échaudées sans se rendre
compte qu'elles prennent le problème à l'envers. Une nouvelle
génération arrive. Elle a besoin de prendre en compte toutes les
données objectivement discernables pour s'assurer d'une réussite à long
terme. La sécurisation des données, le respect du caractère privé des
données, sauf cas exceptionnels, ou saut symbolique dans la pratique
d'une activité, est fondamental. Comme est fondamental le respect du
droit à la propriété intellectuelle y compris au plan international. Il
est nécessaire de créer par exemple des extensions mondiales des
actuelles sociétés d'auteurs. Sinon, nous créerons des sociétés
condamnées à l'unicité ce qui va à l'encontre d'une richesse
individuelle condition nécessaire de constitution des ensembles plus
larges dans lesquels nous seront amenés à vivre. La puissance d'un
cadre qui garantit protection, droit à la parole, droits et devoirs de
société démocratiques, rejet de la violence morale ou physique. Nous
avons une réelle puissance d'intervention face à la violence morale,
nous disait Voltaire à la suite du drame de Lisbonne de 1755.
Exprimons-la. Le Tsunami qui vient de nous frapper n'est il pas de la
même nature, un signal dans une époque troublée.
La nouvelle économie n'est pas morte, au contraire. Ses premiers
balbutiements ne font que témoigner de l'ampleur du changement en
cours. De la profondeur et de la largeur du phénomène. Elle a été
condamnée et rejetée par le click and mortar mais ce n'est reculer que
pour mieux sauter car quand les conditions du paiement en ligne seront
réunies de façon large, elle se développera très rapidement. Le click
and mortar n'en est d'ailleurs qu'une variante solide.
La confusion n'est parfois que la première étape d'un rejet installée
par des variables discordantes et une actualité insoutenable au sens
étymologique du terme. On s'en remet alors à des gourous ou des
religieux pas toujours bien intentionnés. On refuse de baisser les bras
et on a raison mais cela n'empêche pas — parfois — de se fourvoyer.
Sans ouverture, le repli est asséchant et conduit aux mêmes réponses
simplistes que celles de ceux qui ne jurent que par des aspects
purifiés — à l'age numérique ! — de la réalité humaine. Cette vision
est non seulement dangereuse, mais elle conduit à la violence, à la
bêtise, aux situations absurdes et au gâchis.
On cherche des réponses plus personnalisées, plus personnelles qui
feraient renaître du sens dans le contexte de reflux du sens qui a été
opéré par le post modernisme.
Quand la vie est à ce point méprisée par un terrorisme actif ou niée
dans sa permanence par les conséquences indirectes d'un fonctionnement
décalé des instruments symboliques dont nous nous servons, des failles
ne tardent pas à apparaître au psychologique. Nous devenons vulnérables
du fait de cette fragilité installée en nous comme prix des
renoncements auxquels nous avons du consentir.
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L'ouverture,
l'intelligence, la création de formes de contacts critiques et
documentés résout au contraire cette forme nouvelle d'indigence. La
vraie pauvreté serait là. Dans ce dénuement du cœur et de l'esprit.
Dans cette incompréhension des perspectives, artificiellement
amoindries par une captation à laquelle il faut tout de même réfléchir
pour la dépasser et rétablir la circulation du sens dans des corps
aujourd'hui anémiés par des pratiques dépersonnalisantes.
Il faut réinventer un esprit, une réflexion, un souffle, une analyse
adulte, une synthèse comme modus vivendi de toute prolongation durable
de la vie, la sienne propre et celle de ceux avec qui ont est en
contact. Il faut pour cela être curieux de cette même vie qui peut nous
apporter au plus haut point toute l'étendue des richesses dont elle est
capable.
Il s'agit donc de rester ouverts aux autres et d'éviter les attitudes
intransigeantes de rejet de ce qui fait la qualité de l'autre en tant
qu'entité universelle dotée des mêmes potentiels que soi. La vie créé
ensuite toutes sortes de discriminations de matière quasi-naturelle, il
est donc inutile de les établir de manière artificielle. Cela ne veut
pas dire qu'il faille tendre l'autre joue, mais si l'on est assuré de
sa force ou de sa puissance, il faut privilégier le dialogue et
l'entente plutôt que de mettre le doigt dans des processus non
maîtrisables d'affrontement et par conséquent éviter les engrenages.
Une relation faussée, inauthentique n'augure au mieux qu'un
éloignement. Or l'éloignement n'existe plus ou presque aujourd'hui. Il
n'est plus la variable morale et philosophique qui pouvait jadis nous
prémunir contre les contacts non souhaités. Là aussi s'établit un
nouveau type de relation, plus ouvert, avec autrui et un nouveau type
d'interaction avec le monde, avec le temps devenu quasi-permanent. Il
parait néanmoins indispensable de garder à chacun sa dimension
intérieure, la part individuelle ou familiale d'angles morts et de
zones cachées ou peuvent renaître l'intime et l'intimité.
Ceux qui font le choix de l'exposition doivent être respectés pour le
parti qu'ils ont pris de vivre cette forme d'intériorité nouvelle qui
augure tout simplement d'un saut qualitatif comparable à celui fait par
les premiers acteurs de théâtre ou de cinéma, car, c'est sûr, pour ce
qui est de la prise en compte morale de ces deux moyens d'expression,
les choses ont été dites. D'autres choses sont à dire et à écrire
aujourd'hui. Mais il n'empêche en aucun cas que toutes les composantes
du désir doivent être préservées quel que soit l'endroit où elles
cherchent à s'établir.
Nous construirons une génération, des générations multiculturelles
capables de s'écouter et de s'entendre, capable de parler et de
dialoguer et de se comprendre quelles que soient les langues qu'elles
utilisent. Il s'agit néanmoins que persistent et se développent les
identités de rattachement principales de chaque individu. Un lieu où
vivre, une langue, une culture, une location géographique stable, même
mixte ou multiple, dans un contexte de rapports nomades que nous
n'avons pas le droit de laisser se détériorer. Le reste découle de
cette attitude fondatrice.
Or les équilibres humains et économiques doivent être maintenus et
progressivement améliorés mais quelle est l'attitude ambiante ?
Comment procèdent-on ? Quelle est la vision, quelles perspectives
discerne t-on ? Des économies sont faites, on casse, on déstructure des
régions riches à fort potentiel intellectuel, on grappille des bouts de
chandelles, on installe un vide là où il y avait de la matière, on
casse l'instrument économique pour le livrer clef en main à qui de
droit ambiant. Vision malthusienne. Vision étroite et myope qui
condamne au centralisme de la commande avant que cette commande ne
quitte à son tour les mains, pour ne pas dire les doigts de celui qui
l'exerce afin de rejoindre un no man's land virtuel où la richesse
n'est plus qu'une valeur immatérielle qui ne profite à personne d'autre
qu'à la machine qui l'héberge...
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Cette
anthropophagie, ce cannibalisme dont s'enorgueillissent certains,
inconscients, seulement conscients de courir en avant, aboutit au
non-sens philosophique absolu. Le nihilisme est substantifique à côté
de cette vision qui plus est ne supporte pas la contradiction quand
bien même elle se révèle être dans l'erreur et voudrait installer une
forme de pensée unique, non discutable, sclérosée et peu soucieuse de
diversité. La solution, les solutions sont au contraire dans la
diversité, dans les diversités humaines. Dans le respect et la
tolérance des autres formes d'approche. Pas dans la noiement des
arguments qui préfigurent les étapes à venir.
Les moyens de garantir l'avenir des sociétés humaines existent bel et
bien et sont sains et indéfiniment prolongeables. Mais on ne fait plus
toujours le pari de l'humain qui est pourtant la seule vraie valeur
— à terme — en terme de théorie économique. Et dans l'humain
on introduit la variable suspicion, traîtrise, défaut, incompétence,
méfiance, trahison, faillibilité, fragilité, alors que l'important
réside ne serait ce que dans de la confiance à établir et la plus
élémentaire politesse à respecter.
Car on obtient le meilleur qu'en donnant le meilleur.
Suite
et Fin de l'article
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