Auschwitz, complexe symbole du mal
Par Nicolas Weill
Quand
le 27 janvier 1945 les troupes soviétiques du premier front
ukrainien pénètrent sur le site d’Auschwitz, en Pologne, ils abordent
un lieu presque déserté où errent, hagards, quelque 9 000 survivants –
parmi lesquels Primo Levi ou le père d’Anne Frank, Otto. Ceux-là ont
réussi à se soustraire à l’évacuation du camp, le 17 janvier, de
58 000 détenus, conduits par les Allemands dans les « marches de
la mort ».
Le contre-modèle absolu de la démocratie
Si le nom « Auschwitz » va par la suite devenir synonyme de
la Shoah (plus en Allemagne qu’en France), du mal absolu ou de la
tuerie industrielle, et, le lieu, dès avant la chute du communisme, une
destination de voyage mémoriel et cathartique, la plupart des
historiens d’aujourd’hui le considèrent comme un symbole ambigu.
Certes, il est celui de la mise à mort de plus de 1 million de juifs,
notamment, principalement hongrois, polonais et de la quasi-totalité
des juifs de France déportés (70 000 y périssent) ; mais son
complexe d’asservissement et d’exploitation économique régenté par la
SS rattache aussi la « zone d’intérêt » (dans le jargon nazi)
à ce qu’on appelle le « système concentrationnaire ».
Le contre-modèle absolu de la démocratie
Si le nom « Auschwitz » va par la suite devenir synonyme de
la Shoah (plus en Allemagne qu’en France), du mal absolu ou de la
tuerie industrielle, et, le lieu, dès avant la chute du communisme, une
destination de voyage mémoriel et cathartique, la plupart des
historiens d’aujourd’hui le considèrent comme un symbole ambigu.
Certes, il est celui de la mise à mort de plus de 1 million de juifs,
notamment, principalement hongrois, polonais et de la quasi-totalité
des juifs de France déportés (70 000 y périssent) ; mais son
complexe d’asservissement et d’exploitation économique régenté par la
SS rattache aussi la « zone d’intérêt » (dans le jargon nazi)
à ce qu’on appelle le « système concentrationnaire ».
Pour l’historienne Annette Wieviorka, le temps où la
mémoire de la Shoah cristallise le consensus du monde démocratique
correspond à la décennie qui succède à la fin du communisme. Si la
prétendue lassitude du thème est un mythe, et si l’intérêt ne faiblit
pas, « les usages politiques ne sont plus aussi évidents ».
Imre Kertesz, Prix Nobel de littérature en 2002, qui a accepté de
s’entretenir avec Le Monde, conteste cependant l’idée selon laquelle
l’intérêt pour Auschwitz diminuera au fur et à mesure de la disparition
des survivants, dont il est un des plus célèbres. Pour lui, la
« culture d’Auschwitz » constitue une « expérience humaine
universelle », celle d’une « faillite ».
« Tourisme mémoriel »
Troublée par les tensions actuelles entre Polonais et Russes à propos
de l’Ukraine, la célébration des 70 ans de la libération du principal
camp de la mort nazi, le 27 janvier 1945, s’accompagne d’une
interrogation de plus en forte sur le sens des voyages, notamment
scolaires, qui s’y multiplient et sur leur impact, alors que
l’antisémitisme se réinstalle au cœur de l’actualité. Que vaut ce
« tourisme mémoriel » ? Et cette mémoire est-elle de plus en plus
difficile à transmettre en milieu éducatif, comme le décrivent nos
journalistes Mattea Battaglia et Benoît Floc’h ? Le lieu même, visité
par Florence Aubenas, grand reporter, est-il en mesure de tenir les
promesses pédagogiques d’une éducation démocratique ?
Pour l’historien Tal Bruttmann, le pèlerinage demeure utile pourvu
qu’il soit assorti d’un « projet de contenu », et qu’on n’en
fasse pas « un voyage de purification » – tentation forte
après les attentats de janvier à Paris, craint-il. La médiation des
spécialistes comme des témoins reste d’autant plus nécessaire que les
premiers ont rendu l’image du camp plus complexe. L’historien américain
Timothy Snyder, qui y voit l’« apogée de l’Holocauste »,
constate ainsi que la plus grande partie des victimes de la « solution
finale » ont soit été tuées dans leur ville d’origine, soit dans
d’autres centres d’extermination (Treblinka, Chelmno, Belzec, etc.),
déplaçant le regard savant sur les tueries du front de l’Est, qui ont
laissé moins de traces ou de témoins.
Avec Auschwitz, on prend en outre conscience, non seulement de la
dimension universelle que les bourreaux voulaient donner au génocide,
mais aussi de ce qu’est un « écosystème nazi ». « La
crise de 1929 avait montré le peu de respect qu’on avait pour la vie
humaine en projetant sans secours des millions de personnes au chômage,
remarque l’historien spécialiste du nazisme Johann Chapoutot. Les nazis
ont conscience d’aller plus loin en degré, mais pas en nature. » La
symbolique, on le voit, est loin d’être épuisée.
28 Janvier 2015
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