Accords de paix d’Alger : une dernière chance pour le Mali
Par Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional). Photo de couverture par Olivier Pain
Pour
un accord de paix et de réconciliation, le texte signé dimanche
1er mars à Alger par le gouvernement malien et certains groupes du
nord du Mali a des ambitions d’une grande modestie. C’est peut-être là
sa seule force, ou son coup de génie.
Car
tout est si compliqué dans la résolution de la crise malienne… Pour
commencer, le texte présenté à Alger dimanche matin n’a pas été
formellement signé, mais « paraphé » — c’est le terme
exact — par le côté progouvernemental des parties engagées dans le
dialogue, avec l’appui d’une médiation menée par l’Algérie.
Le
document ne sera formellement « signé » au Mali que dans les
semaines à venir (un geste symbolique pour tenter d’effacer le souvenir
des accords passés, parrainés par l’Algérie, que pourfendait quand il
était encore candidat le président malien, Ibrahim Boubacar Keita, au
nom de la « souveraineté nationale »).
Peut-être ne s’agit-il que d’un détail, vu que la Coordination des
mouvements de l’Azawad (CMA), qui regroupe six mouvements en faveur de
l’autonomie du nord du Mali, qu’ils appellent « Azawad », n’a
pas signé dimanche matin. Et s’il y a de grandes chances que toutes les
parties finissent par apposer la signature de leurs représentants sur
ce texte, ces cahots ne sont pas de bon augure, dans un premier temps.
L’« Azawad » : une myriade de groupes
Parmi les « signataires en suspens », on trouve en effet le
Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), qui reste un
acteur central pour toute forme de solution, et d’autres formations de
la mouvance rebelle issues de scissions de groupes sur des bases
ethniques — comme le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), dont une
partie est désormais du côté loyaliste, ou encore le Haut Conseil pour
l’unité de l’Azawad (HCUA), qui héberge des anciens de la formation de
Iyad Ag Ghali, désormais passé du côté d’Al-Qaida au Maghreb islamique
(AQMI).
Pourquoi ce retard ? La « coordination » (CMA) avait
demandé depuis la veille un « délai raisonnable » avant de
signer pour consulter sa base. Cette extrême politesse est due en
partie à la menace de sanctions envers tout protagoniste qui se
mettrait en travers d’un règlement pacifique de la crise.
Et aussi à la nécessité de faire de la diplomatie interne : des
manifestations contre le texte ayant été organisées à Kidal, Ménaka et
Ber pour protester contre le fait que le texte ne mentionne pas de
perspective d’autonomie pour le Nord ou de fédéralisme. La médiation
l’avait du reste clairement fait savoir depuis longtemps, à la grande
satisfaction de Bamako.
Il faut donc faire avaler à l’Azawad que l’Azawad n’aura pas
d’existence légale après avoir clamé le contraire : c’est la
difficulté des plans de paix. Selon le texte, de plus, le Mali reste
« uni et laïc ».
« Cet accord a la valeur d’une boussole crédible et efficace vers la paix. »
(Ramtane Lamamra, ministre des affaires étrangères de l’Algérie.)
Histoire de ne pas braquer toutes les parties, ce qui reviendrait à un
suicide, cet accord — qui a la « valeur d’une boussole
crédible et efficace vers la paix », selon la formule, trop
lyrique pour ne pas inquiéter, du ministre des affaires étrangères de
l’Algérie, Ramtane Lamamra — admet en revanche l’existence de l’Azawad
comme une « réalité humaine » (ce qui est symbolique et
n’engage pas à grand-chose, comme la formule de la
« boussole »).
Refonte de l’armée malienne
Plus important, toutefois : un schéma prévoit la création
d’Assemblées régionales élues au suffrage universel direct dans un
délai de dix-huit mois, ainsi qu’une « plus grande représentation
des populations du Nord au sein des institutions nationales ». Une
refonte de l’armée malienne doit avoir lieu pour intégrer des
combattants des mouvements armés du Nord.
Cette dernière recette a déjà montré ses limites dans le passé :
c’était en effet le socle des accords destinés à éteindre les
rébellions précédentes, en 1992 et 2006. Mais les nouvelles
institutions locales pourraient faire la différence, si elles ne sont
pas gangrenées par la corruption.
Une commission d’enquête internationale devra de plus faire la lumière
sur les crimes de guerre, contre l’humanité, de génocide et autres
violations graves des droits de l’homme commis au cours des dernières
années. On peut d’ores et déjà redouter que les pressions politiques,
sur place, enterrent ses futures conclusions pour un temps.
Mais peu importent les limites des ambitions annoncées, vu la dérive du
pays vers la guerre civile. Avec ses imperfections, l’accord d’Alger
fait figure de mesure de dernière chance.
En mai, le Mali avait subi un électrochoc lorsque des combats ont
éclaté après la maladroite visite de l’ex-premier ministre malien à
Kidal. Des affrontements qui s’étaient soldés par la défaite cuisante
des forces armées loyalistes dans ce bastion du MNLA et fief politique
des différents groupes touaregs.
Douloureux principe de réalité
Il aura l’intervention du président de la Mauritanie pour amener un
premier cessez-le-feu et éviter la perspective d’un nouvel effondrement
de l’armée malienne. Le pouvoir de Bamako avait alors été confronté à
un douloureux principe de réalité.
Dans la foulée, et grâce au rôle renforcé de la Mission des Nations
unies au Mali (Minusma), des négociations avaient alors été organisées
à Alger, en juillet. L’équipe de médiation était large, composée de
représentants de la Minusma, de l’Union africaine, de la Communauté
économique des Etats d’Afrique de l’Ouest, de l’Organisation de la
coopération islamique, de l’Union européenne, de la Mauritanie, du
Niger et du Tchad.
Et au premier chef de l’Algérie, directement concernée par la situation
au nord du Mali, où évoluent les groupes d’AQMI, dont les dirigeants
sont pour beaucoup algériens, et qui y a des intérêts pétroliers (avec
des blocs non encore exploités par une filiale de sa compagnie
d’extraction d’hydrocarbures).
Le Burkina Faso, l’autre pays habituellement influent dans le dossier,
est désormais accaparé par ses propres problèmes, en attendant
peut-être la montée en puissance régionale du Maroc, le grand rival de
l’Algérie.
Avec Alger en team leader, cinq sessions de négociations ont eu lieu
depuis. Il avait été établi que la cinquième serait la dernière, au
risque de donner naissance à un quick fix plutôt qu’à un vrai plan de
paix, un de ces arrangements superficiels dont raffolent les
diplomaties pressées, mais qui demandent un solide suivi politique par
la suite pour éviter l’échec.
« La résolution du conflit passe par l’articulation complexe d’intérêts divergents qui touchent à la sécurité du Sahara,
à la nature de l’Etat malien et aux équilibres locaux entre des communautés divisées. »
(International Crisis Group.)
Or, la recette de la paix repose sur une architecture délicate.
« La résolution du conflit passe par l’articulation complexe
d’intérêts divergents qui touchent à la sécurité du Sahara, à la nature
de l’Etat malien et aux équilibres locaux entre des communautés
divisées. Face aux affrontements armés, la tentation est grande d’aller
vite et de signer un accord minimal garantissant la sécurité à court
terme. La précipitation est mauvaise conseillère. Il faut se donner les
moyens et le temps de construire les fondements d’une paix
durable », avertissait l’International Crisis Group (ICG).
La nature de l’accord d’Alger diffère-t-elle fondamentalement des
échecs précédents ? Rébellion, longues négociations, accord sur
des partages de postes, période de latence, reprise de la rébellion…
Tout semble se répéter en cycles.
Seulement, cette fois, une chance est donnée aux personnalités
impliquées dans les négociations de jouer un rôle dans leur région à
travers les Assemblées locales ou les services de sécurité. C’est
peut-être la seule manière de faire revenir l’Etat au nord du Mali. Et
de ce point de vue, il y a urgence.
Une région plus divisée que jamais
La région est plus divisée que jamais, et elle subit le choc conjugué
des groupes djihadistes et de trafiquants. Entre communautés, déjà, les
tensions sont importantes, comme entre les groupes qui affirment les
représenter (on ne dispose d’aucun outil pour mesurer le degré exact de
soutien aux groupes armés). Le dernier-né, le Groupe d’autodéfense
touareg Imghad et alliés (Gatia), n’est apparu qu’en août.
En théorie, c’est le septième mouvement armé recensé dans la
région ; en pratique, c’est le bras armé de Bamako et d’une armée
régulière qui, depuis les déroutes récentes, a renoncé à sortir des
camps militaires dans les villes du Nord où elle est encore déployée, à
côté d’autres forces (notamment onusiennes ou françaises).
Cet émiettement se double d’une nouvelle montée en puissance des
groupes djihadistes de la galaxie AQMI, entre infiltration de
combattants des pays voisins et activation de cellules dormantes. Des
assassinats récents ont montré qu’une politique de déstabilisation
était à l’œuvre (comme cela avait été le cas en Libye voisine).
L’ex-député de Kidal Bay Ag Hamdy, qui avait rejoint le MNLA en
janvier 2012, a été assassiné le 26 janvier près de Tessalit,
un acte revendiqué par AQMI, qui l’accusait de « collaboration
avec les forces françaises présentes dans le nord du Mali ».
2 Mars 2015
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