Accord historique sur le nucléaire iranien
Par Yves-Michel Riols (Vienne, envoyé spécial)
Rarement
dans les annales de la diplomatie, une négociation aura été aussi
longue et compliquée. Au terme de plusieurs prolongations et d'une
ultime journée de tractations fiévreuses, l'Iran et les pays du «
P 5+1 » (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni et
Allemagne) sont finalement parvenus à un compromis sur le nucléaire
iranien, aux premières heures de la journée, mardi 14 juillet à Vienne,
ont confirmé des sources diplomatiques concordantes au Monde. Une
réunion plénière « finale » doit avoir lieu aux alentours de 10 h 30
pour confirmer officiellement cet accord, fruit de douze ans de
négociations.
L’arrangement
fait près d’une centaine de pages, composé d’un texte principal et de
cinq annexes. En voici les grandes lignes, selon le résumé présenté,
mardi matin, par la délégation française.
▪ Limiter l’enrichissement d’uranium
L’objectif principal est de mettre en place de sévères restrictions
pour garantir que le break-out, le temps nécessaire pour produire assez
d’uranium enrichi permettant de fabriquer une arme atomique, soit d’au
moins un an pendant une durée de dix ans.
▪ Limiter la production de plutonium
Le plutonium est, avec l’uranium, l’autre matière fissile qui peut être
utilisée en vue de la fabrication d’une bombe atomique. L’accord de
Vienne stipule que le réacteur de la centrale à eau lourde d’Arak sera
modifié pour ne pas pouvoir produire du plutonium à vocation militaire.
▪ Renforcer les inspections
C’était l’un des points les plus délicats de la négociation. Un régime
renforcé d’inspections sera appliqué pendant toute la durée de
l’accord, et même au-delà pour certaines activités. L’Agence
internationale de l’énergie atomique (AIEA) pourra ainsi vérifier
pendant vingt ans le parc de centrifugeuses et pendant vingt-cinq ans
la production de concentré d’uranium (« yellow cake »).
L’Iran s’engage à mettre en œuvre, puis à ratifier, le protocole
additionnel de l’AIEA, qui permet des inspections intrusives.
▪ Lever les sanctions
L’objectif majeur des Iraniens était d’obtenir la levée des multiples
sanctions (de l’ONU, des Etats-Unis et de l’Europe) qui freinent le
développement du pays. Les sanctions adoptées par l’UE et les
Etats-Unis visant les secteurs de la finance, de l’énergie et du
transport iranien seront levées dès la mise en œuvre par l’Iran de ses
engagements, attestée par un rapport de l’AIEA. Cela devrait intervenir
début 2016. La même procédure sera suivie pour lever les six
résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies
contre l’Iran depuis 2006.
▪ Maintenir l’embargo sur les armes
Les sanctions relatives aux missiles balistiques et aux importations
d’armes offensives sont maintenues. Le transfert de matériels sensibles
pouvant contribuer au programme balistique iranien sera interdit
pendant huit ans, sauf autorisation explicite du Conseil de sécurité de
l’ONU.
Cela revient, juge un diplomate occidental, « à mettre plus d'yeux sur
moins de matériel, dans moins d'endroits ». En revanche, ce texte ne
prône pas le démantèlement du programme iranien, comme initialement
envisagé lors des premières négociations, conduites par les Européens
entre 2003 et 2005. Il encadre, bride et surveille de plus près les
infrastructures iraniennes dans le but d'empêcher Téhéran de se lancer
dans une course clandestine à la bombe atomique. Ce qu'il permet
surtout, c'est de gagner du temps.
Levée graduelle des sanctions.
Les
protagonistes font le pari qu'il sera plus avantageux pour Téhéran de
respecter, dans la durée, les clauses de cet accord, qui s'accompagnera
de retombées économiques substantielles avec la levée graduelle des
sanctions et le déblocage, à terme, de près de 150 milliards de dollars
(135 milliards d’euros) d'avoirs gelés à l'étranger.
Le dégel de cette manne inquiète au plus haut point Israël et les
monarchies sunnites du Golfe, qui redoutent que l'Iran utilise cette
trésorerie pour soutenir encore davantage les milices chiites au
Proche-Orient et pour renforcer aussi ses capacités militaires, à un
moment où Téhéran est activement impliqué dans les grandes crises de la
région, de la Syrie à l'Irak, en passant par le Liban et le Yémen.
Fondamentalement, les adversaires de l'accord de Vienne redoutent que
ce compromis ne fera que retarder, et pas empêcher, l'Iran de devenir
une puissance nucléaire. Ce n'est pas faux. A cela, les diplomates
présents à Vienne rétorquent que cette solution négociée est la seule
voie pour désamorcer une crise qui était, de toute façon, imminente
puisque l’Iran est déjà sur le seuil de pouvoir se doter d'une arme
atomique s'il le souhaite.
De plus, soulignent les partisans de l'accord, ce compromis enraye
l'escalade mutuelle de la dernière décennie pendant laquelle l'Iran n'a
cessé d'augmenter son dispositif nucléaire malgré l'imposition de
sanctions internationales de plus en plus contraignantes. Celles-ci ont
ralenti le développement du programme nucléaire iranien mais ne l'ont
pas complètement enrayé.
En 2003, lors des premières négociations, l'Iran ne disposait alors que
de 160 centrifugeuses, contre près de 20 000 aujourd'hui, qui
servent à transformer l'uranium. Enrichi à un niveau élevé, il peut
ensuite être utilisé pour fabriquer une bombe atomique. D'où le pari
qui sous-tend l'accord de Vienne : mieux vaut négocier un encadrement
contrôlé des infrastructures iraniennes, plutôt que de miser sur des
sanctions qui n'ont pas empêché l'Iran d'avancer vers la maîtrise d'une
filière nucléaire au cours des dernières années.
Un impact géopolitique
Quant aux retombées diplomatiques de cet accord, elles sont
potentiellement nombreuses mais encore incertaines. « Comme tous les
accords de désarmement, celui de Vienne se focalise sur un aspect
restreint mais qui exacerbe tous les autres problèmes entre l'Iran et
le reste du monde », note Ali Vaez. Le compromis de Vienne pourrait
constituer le premier pas vers une normalisation des relations entre
l'Iran et les Etats-Unis, rompues en 1980 après la prise d'otages à
l'ambassade américaine de Téhéran. Et par là même, amorcer une
coopération plus ouverte entre Washington et Téhéran sur les crises en
Syrie et en Irak. A plus court terme, un accord aura sûrement un impact
non négligeable sur les marchés mondiaux de l'énergie, en levant les
restrictions à l'exportation des immenses réserves iraniennes
d'hydrocarbures. Pendant les tractations dans la capitale autrichienne,
M. Zarif a ouvertement fait allusion à ces perspectives en cas d'accord.
« Nous sommes prêts à ouvrir de nouveaux horizons pour affronter les
défis importants et communs. Aujourd'hui, la menace commune est le
développement de l'extrémisme violent et de la barbarie sans limites »,
a-t-il dit dans une vidéo publiée sur Youtube, dans une allusion au
groupe djihadiste Etat islamique (EI). « Pour affronter ce nouveau
défi, de nouvelles approches sont absolument nécessaires », a souligné
le chef de la diplomatie iranienne, une allusion voilée à la coalition
internationale contre l'EI dirigée par les Etats-Unis en Irak et en
Syrie, à laquelle ne participe pas l'Iran, qui soutient de son côté les
régimes irakien et syrien contre le groupe djihadiste. Avant d'en
arriver là, il faudra encore attendre la mise en œuvre de l'accord de
Vienne. Ce premier test permettra de mesurer la volonté de coopération,
ou non, de l'Iran.
Si tout se déroule sans obstacles, le texte de Vienne doit maintenant
être approuvé par le Congrès américain et par le Parlement iranien.
L'AIEA sera ensuite mandatée pour conduire des premières vérifications
pendant l'automne. Et si cette instance de l'ONU certifie que l'Iran
joue le jeu, les premières levées de sanctions pourraient intervenir
vers la fin de l'année 2015. Pour le moment, les diplomates savourent
leur satisfaction d'avoir pu sceller un accord introuvable depuis plus
de douze ans. Mais ces tortueuses négociations ont aussi incité les uns
et les autres à la prudence. « Il existe deux thèses sur l'impact d'un
accord, relève un négociateur : ou bien il pousse l'Iran à avoir une
attitude plus ouverte, ou bien il incite le régime à compenser cette
ouverture par une plus grande rigidité intérieure. »
14 Juillet 2015
Nucléaire iranien : Obama a la voie libre après le vote du Sénat américain
10 Sept. 2015, 23h26 | MAJ : 11 Sept. 2015, 00h11
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