Le pape, messager de paix en Afrique
Par Sébastien Maillard (à Rome)

La guerre en Centrafrique et la menace terroriste au Kenya rendent son premier voyage sur le continent le plus risqué de son pontificat.
En réponse aux violences, le pape vient appuyer la coexistence pacifique par le dialogue interreligieux et la lutte contre la misère dans un continent d’avenir pour l’Église. 


« C’est la première fois de ma vie que je viendrai sur le continent africain », a souligné le pape François dans un vidéo-message diffusé à l’approche de son départ, mercredi 25 novembre, pour le Kenya, première étape d’un voyage qui le mènera en Ouganda puis en Centrafrique. « Mais le pape est déjà allé en Afrique », s’exclame le P. Janvier Yameogo, prêtre burkinabé employé à la Curie : « À Lampedusa ! », l’île italienne la plus proche des côtes africaines, où le pape a effectué le tout premier déplacement de son pontificat auprès des migrants fuyant l’Érythrée, la Somalie, le Nigeria, entre autres pays.

Après cette périphérie, Jorge Bergoglio se rend cette fois au centre du continent, comme à la racine de ses maux. Celui des guerres tout d’abord. Le conflit médiatiquement oublié de la Centrafrique, qui attise les différences entre chrétiens et musulmans, a été le premier motif à partir duquel s’est construit ce voyage dense dans trois pays multiconfessionnels.

« LA TROISIÈME GUERRE MONDIALE EN MORCEAUX »

À la grande mosquée de Bangui, lundi 30 novembre, le pape doit s’adresser à la communauté musulmane (9 % de la population). La veille, depuis la cathédrale de la capitale centrafricaine, il compte ouvrir la porte sainte pour l’année jubilaire de la miséricorde. Une image pleine de force pour le pays mais aussi pour le reste du continent et du monde, à un moment où le terrorisme, depuis les attentats de Paris, n’a jamais été autant redouté. Y compris au Kenya, où une attaque à l’université de Garissa par le groupe islamiste somalien des chebabs contre les non-musulmans a fait 148 morts, le 2 avril dernier, parmi d’autres exactions. Les statistiques recensent que le plus grand nombre de victimes du terrorisme dans le monde se trouve au Nigeria, au Mali, au Tchad et dans la Corne de l’Afrique. C’est dans ce lourd climat international, de ce que le pape appelle « la troisième guerre mondiale en morceaux », que se déroule ce voyage.

UNE « MOBILISATION DES RESSOURCES SPIRITUELLES »

Les rencontres œcuméniques et interreligieuses qui jalonnent le programme entendent montrer que ces menaces n’appellent pas qu’une réponse sécuritaire mais aussi une « mobilisation des ressources spirituelles », comme l’a déjà souligné le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège.

Le pape présidera une telle rencontre jeudi 26 novembre au Kenya, qui fut au bord de la guerre civile en 2007. En Ouganda, où il poursuit son voyage, le nord-ouest du pays connaît aussi de fortes tensions entre catholiques et musulmans. En Centrafrique, sa visite vient en soutien aux initiatives que mènent en commun l’archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, le pasteur évangélique Nicolas Guerekoyame-Gbangou et l’imam Oumar Kobine Layama. La coexistence pacifique à l’aide du dialogue interreligieux et le refus de laisser milices armées et organisations terroristes instrumentaliser les religions dans leur quête du pouvoir s’annoncent ainsi au cœur des messages du pape en Afrique.

UN DÉPLACEMENT EN PAPAMOBILE OUVERTE

Le choix de se présenter partout en papamobile ouverte, comme dans ses précédents voyages, s’inscrit en cohérence avec ce même message pacifique adressé à la foule. Quitte à défier la sécurité. Des onze déplacements à l’étranger accomplis par le pape François jusqu’ici, celui-ci s’annonce de fait comme le plus périlleux.

L’armée française, qui compte 900 hommes déployés en Centrafrique, a prévenu qu’elle ne pouvait garantir la sécurité de la visite au-delà de l’aéroport de Bangui. Pour autant, le déroulement du voyage, qui survient de surcroît en période pré-électorale dans le pays avant les scrutins du 27 décembre, reste inchangé, à ce stade. Mais personne au Vatican n’exclut des modifications si la vie des personnes attendues en nombre pour voir le pape, y compris de pays voisins, était en danger.

CORRUPTION, PAUVRETÉ ET CONFISCATION DES RESSOURCES NATURELLES

 « Si, au final, le pape devait renoncer à aller en Centrafrique, il y enverrait le message qu’il n’y a plus d’espoir », met en garde un de ses collaborateurs. « Aller à Bangui malgré tout, c’est justement refuser le règne de la peur », renchérit le P. Yameogo. « On a besoin d’un tel signe très positif contre l’idée fausse d’un clash des religions », estime aussi Marco Impagliazzo, le président de Sant’Egidio, dont la communauté spécialisée dans la médiation des conflits est implantée en Centrafrique : « Je doute toutefois de la retombée internationale de ce voyage dans le monde musulman car la République centrafricaine ne représente pas un pays clé pour l’islam. Le retentissement pourra au moins être régional. » Mais le pape compte aussi interpeller le reste du monde par ce voyage sur d’autres thèmes liés aux violences que sont la corruption, la pauvreté et la confiscation des ressources naturelles de l’Afrique.

VISITE DANS UN BIDONVILLE DU KENYA

Jeudi 26 novembre, à Nairobi, au siège des agences des Nations unies pour l’environnement et l’habitat, il doit prononcer un grand discours, programmé à dessein à la veille du début de la COP21, la conférence sur le climat à Paris. Une intervention depuis le plus pauvre des continents pour rappeler, à la suite de l’encyclique Laudato si’, combien les luttes contre le réchauffement climatique et contre la misère sont inséparables.

Sa visite, vendredi 27 novembre, dans un bidonville de la mégapole kényane sera une autre manière de remonter à la racine des conflits. Et de faire valoir aussi l’œuvre caritative de l’Église catholique sur le continent. Ce pape qui, dès le début de son pontificat, a mis en garde son Église contre la tentation de ne devenir qu’« une ONG », devrait appuyer les évêques africains dans leur résistance à la « colonisation idéologique ».

Celle qu’exercent, selon eux, les organisations internationales, qui feraient dépendre leur aide au développement à des changements législatifs jugés contraires aux traditions africaines. Mais, par ailleurs, la parole du pape sera aussi guettée en Ouganda, où une loi, promulguée l’an dernier, renforce la pénalisation de l’homosexualité.

ENTRETIENS À HUIS CLOS AVEC LES ÉVÊQUES DANS CHAQUE PAYS

Devant tout ce qui génère tensions et violences, le pape François devrait surtout inviter l’Église en Afrique à agir plus encore, selon sa fameuse expression, « comme un hôpital de campagne après la bataille ». Cette vocation samaritaine, il aura l’occasion de la rappeler lors de ses entretiens à huis clos avec les évêques dans chaque pays. « Il devrait les inviter à être moins cléricaux et à s’ouvrir aux laïcs », estime Marco Impagliazzo, rappelant que les 22 martyrs ougandais, ces premiers martyrs chrétiens d’Afrique de l’ère moderne au sanctuaire desquels le pape se rendra samedi 28 novembre, « étaient tous laïcs ». Une dimension à faire valoir dans ce voyage sur un continent d’avenir pour l’Église, où le nombre de catholiques pourrait plus que doubler d’ici à 2040.


26 Novembre 2015

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