Les femmes, oubliées des crises humanitaires
Par Pierre Le Hir
Les
images sont dans tous les esprits. Celles des cohortes de réfugiés
jetés sur les routes de l’exode par la guerre civile en Syrie. Celles
des plus de 160 000 personnes touchées, en mars 2015, par le
cyclone tropical Pam, dans l’archipel du Vanuatu, dans le Pacifique
sud. Ou celles des victimes de la série de séismes qui, en avril, ont
fait plus de 8 000 morts et autant de blessés au Népal.
Dans ces épreuves, tous ne sont pas égaux. En particulier, les femmes
sont souvent les « oubliées » de la réponse humanitaire
apportée à ces crises. C’est sur cette carence que se focalise le
rapport sur l’état de la population mondiale 2015, publié, jeudi
3 décembre, par le Fonds des Nations unies pour la population
(UNFPA).
« Plus de 100 millions de personnes ont actuellement besoin
d’aide humanitaire : un record depuis la fin de la seconde guerre
mondiale », note en préambule le rapport. Une situation due aux
conflits armés, mais aussi aux catastrophes naturelles, dont le nombre
a doublé en un quart de siècle, selon les données du Centre de
recherche sur l’épidémiologie des catastrophes (CRED). Au cours des
deux dernières décennies, une moyenne annuelle de 340 désastres
(sécheresses, inondations, tempêtes, séismes et tsunamis
principalement) a été enregistrée, touchant 200 millions de
personnes et faisant en moyenne 65 000 victimes par an.
Si
les catastrophes naturelles les plus nombreuses sont les inondations
(43 % du total) et les tempêtes, et si les séismes et les tsunamis
sont les plus meurtrières (près de 750 000 morts entre 1994 et
2013), ce sont les sécheresses qui affectent le plus grand nombre de
personnes (plus d’un milliard au cours des vingt dernières années,
majoritairement en Afrique). Pour la seule année 2014, ces événements
ont entraîné le déplacement de 19,3 millions de personnes dans le
monde.
Inégalité entre pays riches et pauvres
Face à ces épreuves apparaît une première inégalité, entre pays riches
et pauvres. Sur les deux dernières décennies, les pays à revenu élevé
ont subi 56 % de l’ensemble des catastrophes naturelles, pour
32 % des décès, tandis que les pays en développement
enregistraient 68 % des morts, pour 44 % des catastrophes.
« Le niveau de développement économique, plus que l’exposition aux
catastrophes en elle-même, constitue l’un des facteurs déterminants de
la mortalité », constate le rapport.
Mais il existe aussi une autre inégalité, entre hommes et femmes. Sur
les plus de 100 millions de personnes actuellement
« déplacées ou déracinées » par un conflit ou une catastrophe
naturelle, un quart sont des femmes ou des adolescentes, âgées de 15 à
49 ans, dont « les besoins essentiels en matière de santé sont
souvent négligés dans le cadre des interventions humanitaires ».
Lire aussi : RDC : combien de femmes ont-elles été violées à Shabunda ?
Si le rapport insiste sur ce point, c’est, souligne le Dr Babatunde
Osotimehin, secrétaire général adjoint des Nations unies et directeur
exécutif de l’UNFPA, que « pour une femme enceinte sur le point
d’accoucher, ou pour une adolescente qui a survécu à la violence
sexuelle, les services de santé sont d’une importance tout aussi vitale
que l’eau, la nourriture et l’abri ».
Services essentiels de santé sexuelle et procréative
« LES FEMMES NE CESSENT PAS DE DONNER NAISSANCE
QUAND UN CONFLIT ÉCLATE OU QU’UNE CATASTROPHE FRAPPE »,
COMMENTE LE DR BABATUNDE OSOTIMEHIN, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL ADJOINT DES NATIONS UNIES.
Déjà souvent en situation de plus grande pauvreté et de plus grande
fragilité dans leur communauté de vie habituelle, les femmes et les
jeunes filles sont exposées, en cas de conflit ou de catastrophe, à
« plusieurs niveaux de risques disproportionnés » mettant en
cause « leur santé et leurs droits en matière de sexualité et de
procréation », pointe le document. « Le déclenchement d’une
crise accroît la vulnérabilité des femmes et des adolescentes aux
infections sexuellement transmissibles, dont le VIH, aux grossesses non
prévues et non désirées, à la morbidité et à la mortalité maternelles,
ainsi qu’à d’autres problèmes de santé qui peuvent aussi concerner les
nourrissons, détaille-t-il. Les femmes et les adolescentes sont
également plus exposées à la violence sexiste, notamment au sein du
couple, aux viols, à la traite et au mariage précoce. »
« Pour les femmes et les filles, l’accès en temps de crise aux
services essentiels de santé sexuelle et procréative, comme les soins
de sages-femmes et la prévention du VIH, représentent bien souvent une
question de vie ou de mort », ajoute le rapport. Or, ces services
sont souvent inexistants en temps de crise humanitaire. Ainsi, près de
trois décès maternels sur cinq surviennent aujourd’hui dans des pays
affectés par un conflit ou une catastrophe. Chaque jour, 507 femmes ou
adolescentes meurent de complications liées à leur grossesse ou leur
accouchement dans des situations d’urgence.
Financements insuffisants
« Les droits humains fondamentaux ne cessent pas d’exister, et les
femmes ne cessent pas de donner naissance, quand un conflit éclate ou
qu’une catastrophe frappe, commente M. Osotimehin. La santé et les
droits des femmes et des adolescentes ne doivent pas avoir une place
secondaire dans l’action humanitaire. » D’autant, fait valoir le
rapport, que protéger ces droits contribue à « la résilience à
long terme des communautés et des pays ».
Face aux crises, l’UNFPA, qui est intervenue cette année dans 38 pays,
souhaite mettre en œuvre « une nouvelle approche » de
l’action humanitaire, qui « mette désormais l’accent sur la
prévention et le renforcement de la résilience des nations, des
communautés, des institutions et des individus ». Mais, déplore
l’organisation onusienne, sa capacité d’intervention est bridée par
l’insuffisance des financements dont elle dispose.
En 2014, les Nations unies ont lancé 31 appels de fonds en vue de
recueillir 19,5 milliards de dollars (18,4 milliards
d’euros), pour répondre aux multiples situations d’urgence humanitaire
sur la planète. Elles n’ont reçu, des gouvernements ou de donateurs
privés, que 12 milliards de dollars. « La santé et la vie de
millions de personnes sont en danger », prévient l’UNFPA. A
commencer par celles de femmes et de jeunes filles.
3 Décembre 2015
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