Obama à Cuba, pour l’histoire
Par Frédéric Autran
La
visite, sans précédent depuis 1928, d’un président
américain à La Havane expose Obama à des critiques
et le régime castriste au changement. Il ouvre aussi
la perspective de nouveaux contrats à l’industrie touristique.
En
posant le pied, dimanche, sur le tarmac de l’aéroport de
La Havane, Barack Obama devait ressentir le poids de l’histoire et
savourer le symbole de l’instant. Pour la première fois depuis la
visite de Calvin Coolidge en 1928, un président américain en
exercice se trouve à Cuba. Une visite de trois jours pour sceller le
rapprochement entre les deux voisins ennemis de la guerre froide.
Le
premier président noir des Etats-Unis, qui effectue le voyage en
compagnie de sa femme, Michelle, et de leurs deux filles, rêvait-il de
fouler le sol cubain depuis son accession à la Maison Blanche ? En
janvier 2009, lors de son discours d’investiture, il avait fait
l’éloge d’une diplomatie de l’ouverture, rompant avec «l’axe du mal»
des années Bush. A la lumière des événements d’aujourd’hui, cette
phrase revêt un sens particulier : «A ceux qui s’accrochent au pouvoir
par la corruption, la tromperie, en faisant taire l’opposition, sachez
que vous êtes du mauvais côté de l’histoire, mais que nous vous
tendrons la main si vous êtes prêts à desserrer le poing.»
Entre Washington et La Havane, les poings se sont progressivement
détendus, ouvrant la voie à une série de premières fois. Première
poignée de main entre Barack Obama et Raúl Castro lors des obsèques de
Nelson Mandela en 2013. Première conversation téléphonique,
fin 2014, pour officialiser le rapprochement entre les deux pays.
Premier entretien formel lors du sommet des Amériques, à Panama, en
avril 2015. Si l’on prend au mot le discours d’Obama en 2009,
Cuba reste pour l’heure du mauvais côté de l’histoire. Régime
autoritaire, liberté de la presse bafouée, opposition réprimée :
l’ouverture politique demeure marginale sur l’île communiste. Si le
gouvernement cubain a relâché plusieurs dizaines de prisonniers
politiques - comme le prévoyait l’accord de rapprochement avec les
Etats-Unis - il a de plus en plus recours à des détentions de courte
durée pour empêcher les opposants de participer à des marches
pacifiques ou à des réunions. Pendant la visite du pape François en
septembre 2015, entre 100 et 150 dissidents ont été
arrêtés. La Commission cubaine des droits de l’homme et de la
réconciliation nationale (organisme indépendant interdit mais toléré
par les autorités) a recensé plus de 8 500 cas de
détention arbitraire en 2015, et plus de 2 500 au cours des
deux premiers mois de 2016. Ce dimanche, à quelques heures de
l’arrivée d’Obama, plusieurs dizaines de dissidents ont été
interpellés, selon l’AFP.
Impact symbolique
Dans ce contexte, la visite d’Obama suscite de nombreuses critiques aux
Etats-Unis, y compris dans son camp. «Je comprends le désir d’inscrire
cette visite dans son héritage politique, mais le problème fondamental
de la liberté et de la démocratie reste entier», a déclaré la semaine
dernière Robert Menendez, sénateur démocrate d’origine cubaine. A la
Maison Blanche, on reconnaît que «de profonds désaccords»
persistent avec La Havane en matière de droits humains. Mais pour
le conseiller du président Ben Rhodes, «le rapprochement diplomatique
place les Etats-Unis dans une meilleure position pour soulever ces
problèmes avec le gouvernement cubain, tout en en discutant directement
avec la société civile». Outre une rencontre en tête-à-tête avec Raúl
Castro et un dîner d’Etat, Obama doit rencontrer des dissidents. Il
s’adressera également au peuple cubain dans un discours retransmis à la
télévision. «Son message sur les droits de l’homme devra être fort et
spécifique», estime José Miguel Vivanco, directeur Amériques à l’ONG
Human Rights Watch.
Dans un éditorial au parfum d’avertissement publié par le quotidien
officiel Granma, les autorités cubaines ont mis en garde Washington
contre toute ingérence : «Les Etats-Unis doivent renoncer à leurs
velléités de créer une opposition politique intérieure», martèle le
texte. En dépit de cette fermeté affichée et du récent durcissement du
régime, certains spécialistes appellent à ne pas sous-estimer l’impact
symbolique de la visite. «Du point de vue cubain, cette visite est très
risquée, analyse Richard Feinberg, spécialiste de l’Amérique latine à
la Brookings Institution. Vous avez Barack Obama, un dirigeant jeune,
vigoureux et métissé qui ressemble au Cubain moyen. La comparaison est
gênante pour la classe dirigeante cubaine, vieillissante, distante et
majoritairement blanche.»
Contrats
Selon Richard Feinberg, par sa simple présence, le président américain
menace les fondements du régime Castro : «Le paradigme de sécurité
nationale à Cuba était basé sur la peur de l’impérialisme américain.
C’était leur excuse pour le manque de pluralisme et les pénuries
économiques. Quand vous recevez le président des Etats-Unis,
qu’advient-il de ce paradigme ? Il s’évapore. Et cela, à mon sens, est
une réussite majeure pour l’administration Obama.» Débarrassés de
l’étiquette d’ennemi juré, les Etats-Unis espèrent renforcer leur
présence économique sur l’île. Plusieurs PDG, dont ceux de Xerox
et des hôtels Marriott, accompagnent Obama à Cuba, tout comme les
secrétaires américains à l’Agriculture et au Commerce. Depuis
dix-huit mois, les restrictions sur les échanges commerciaux et
les voyages ont été allégées par Washington. Samedi, Starwood est
devenu le premier groupe hôtelier américain à signer un accord avec
Cuba depuis 1959.
Mais pour l’heure, peu de contrats majeurs ont été conclus. La faute
aux lois restrictives et à la bureaucratie cubaines. La faute, aussi et
surtout, à l’embargo économique américain en vigueur depuis 1962.
Et dont le régime cubain et Barack Obama réclament d’une seule voix la
levée. Le Congrès, contrôlé par les républicains, s’y refuse
catégoriquement. A Cuba, les besoins et les opportunités sont pourtant
énormes. Fragilisée par les difficultés de son parrain vénézuélien,
l’économie cubaine a plus que jamais besoin des dollars américains.
Particulièrement dans le secteur du tourisme, où l’afflux de visiteurs
- notamment américains - met en lumière le manque chronique de
capacités d’accueil..
20 Mars 2016
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