Les
Entretiens d’Europartenaires
L'Europe
et le cinéma (Suite)
Compte
rendu de la conférence-débat du 30 novembre
2004
ENA
David
Kessler – Nous
arrivons avec une Cinémathèque française,
installée rue de Bercy, dotée d'un musée,
et qui fonctionne avec un certain nombre de salles. Elle joue
son rôle de pôle central de la valorisation du
patrimoine cinématographique. Quand je suis arrivé
au CNC, beaucoup de gens de la profession m’ont dit
: " Il y a un problème que vous n’arriverez
jamais à résoudre, c’est celui de la Cinémathèque
; c’est la malédiction de tous vos prédécesseurs,
ce sera la vôtre ; vous vous en mêlez le moins
possible, comme ça vous aurez le moins possible d’ennuis…
" Je crois que grâce à un certain nombre
de gens, dont Jean-Jacques Aillagon et Serge Toubiana, nous
avons réussi à régler une large partie
de cette question.
On prête à Blum cette parole :
" Même si j’avais su — parce qu’il
a souvent dit qu’il ne savait pas —, je n’aurais
rien changé, parce que, entre les intérêts
globaux de la France et le cinéma, je préfère
sacrifier le cinéma ". Je repensais à ces
paroles en les mettant en parallèle avec le débat
actuel sur le projet de traité constitutionnel. Nous
connaissons et mesurons le caractère essentiel de ce
débat, non seulement pour la gauche française,
mais au-delà pour la France parce que, entre ce qui
va se passer demain, et ce qui se passera dans les mois à
venir, il y a, non pas un lien total, mais certainement une
influence importante de l’un sur l’autre. Je suis
très frappé du fait que personne n’a posé
la question : cette Constitution européenne est-elle
bonne ou non pour les questions culturelles ? Est-ce mieux
ou moins bien ? On peut dire effectivement que c’est
une question annexe par rapport à l’Europe de
la fiscalité, l’Europe des libertés. J’ai
la faiblesse de penser que ce n’est pas complètement
annexe. En tout cas j’ai été marqué
par la mobilisation très importante des milieux culturels
pour obtenir un certain nombre de choses, avant que le projet
de constitution soit adopté par les Chefs d'Etat et
de gouvernement, lesquelles ont finalement été
obtenues. Mais je suis un peu déçu que ces mêmes
milieux, les ayant obtenues, soient si peu mobilisés
sur un débat qui est important pour la culture et,
en tout hypothèse, pour la question qui nous préoccupe,
à savoir celle des rapports entre l’Europe et
le cinéma.
Cette question de l'Europe du cinéma
n’est pas au cœur des préoccupations de
nos dirigeants, toutes tendances confondues. On pourrait commencer
par un constat extrêmement pessimiste, en disant que
l’Europe du cinéma est une réalité
qui a pu exister mais qui a aujourd'hui disparu. Quand on
regarde les listes des films européens des années
60-70, la cinématographie italienne bien sûr,
allemande, anglaise, Bergman….l’Europe du cinéma
était effectivement une réalité. Non
seulement parce que tous ces pays faisaient du cinéma,
mais parce qu’il existait un véritable dialogue
entre les cinéastes de ces pays. Serge Daney avait
écrit un très joli texte sur le fait que la
caractéristique du cinéma dans cette période
était que chacun parlait sa langue, mais que cette
langue était toujours inspirée de la langue
des autres. Depuis, il y a eu quantités de pays où
le cinéma s’est effondré — l’Italie,
l’Allemagne très largement, l’Angleterre
aussi. Dans les discussions entre producteurs de différents
pays, le dialogue consiste à savoir comment reconstruire
du lien mais ce n’est plus cette espèce d’échange
cinématographique, d’inspiration réciproque.
Je ne crois pas que cela soit complètement fini, mais
je pense qu’il faut partir de ce constat qu'on parle
de quelque chose qui a existé à un moment donné,
qui ne résistera pas sous la même forme, et qui
est lié à la faiblesse des cinémas nationaux.
Y a-t-il des éléments de reconstruction, et
notamment l’Europe communautaire est-elle un élément
qui favorise la reconstruction ? Là aussi, on a des
éléments de pessimisme fort, parce que pour
des raisons qui tiennent au fait que la culture n’était
pas un élément du traité, la culture
n’était pas directement — il y a eu quelques
modifications depuis — dans les préoccupations
ni même dans la compétence communautaire. En
réalité, la communauté a commencé
à se saisir du cinéma par le pire des biais,
à savoir les questions de concurrence. C’est
très net quand on en voit l’évolution.
Je parle de la France parce que c’est le pays qui a
le système le plus sophistiqué, le plus complexe,
le plus développé, et c’est lui qui s’est
trouvé le plus vite dans le collimateur de la direction
de la concurrence de la Commission. La dernière grande
discussion qui a eu lieu, il y a six ans, a abouti à
la validation du système d’aide français
qui ne portait que sur la seule production. Les pouvoirs publics
français sont aujourd’hui en pleine discussion
pour le renouvellement de l’autorisation donnée
par le système d’aide. C'est difficile et excessivement
pénible parce qu' on a parfois envie de dire aux fonctionnaires
de la concurrence, " Mais vous êtes totalement
à côté de la plaque. Est-ce que véritablement
il y a des distorsions de concurrence au sein de l’Europe
? Qui est le concurrent du cinéma européen ?
C’est le cinéma américain, dont la puissance
est évidente. Et surtout, n’allez pas nous dire
que le fait que la France aide son cinéma vient gêner
les Allemands, les Anglais, les Danois, les Italiens et les
pays de l’Est. Le fait que la France aide son cinéma
ne gêne qu’une seule personne, c’est le
cinéma américain. La question d’une distorsion
de concurrence au sein de la communauté n’a aucun
sens en ce qui concerne le cinéma ". C’est
un discours que j’ai eu l’occasion de tenir, et
d’autres avant moi. Nous avons beaucoup de mal à
être entendus. Optimiste de nature, je crois qu’il
ne faut jamais renoncer, et ce d'autant qu’il y a quelques
éléments aujourd’hui qui permettent de
faire pencher les choses dans un sens plus favorable.
Je voudrais lister quelques-uns de ces éléments
positifs :
Le premier, quand j’étais au CNC, avec mon collègue
anglais. L’Angleterre a un centre du cinéma et
le gouvernement travailliste a essayé de rationaliser
les mécanismes d’aides, très complexes
en Grande-Bretagne, en réunissant tout sous l’égide
d’un seul Conseil, le Film Council, qui joue un rôle
maintenant majeur et qui a un mode de financement très
différent du nôtre, lié au financement
par la loterie. Un tiers de la loterie va au théâtre,
un tiers au patrimoine, et un tiers au cinéma. Nous
nous sommes demandés ce que nous pourrions faire :
pourquoi ne pas rassembler les organismes qui sont en charge
de l’aide au cinéma dans les différents
pays de l’Union européenne ? (dans la mesure
où il n’y a pas un pays européen —
dans l'Europe des Quinze — qui n’ait pas un mécanisme
d’aide au cinéma). Certains mécanismes
sont très simples, très embryonnaires. La France
est, en termes de volumes, certainement très en avance
(le budget global du Centre du cinéma est de 500 millions
d'euros). En Allemagne, le mécanisme central d’aide
au cinéma est basé sur une taxe sur les billets
et sur les vidéos, qui est de 2% je crois. Nous avons
monté cette réunion des centres de cinéma
européen ; nous l’avons fait au début
à sept, à huit, puis, comme toujours en Europe,
tous ceux qui n’y sont pas veulent y être. Nous
nous sommes très vite retrouvés à quinze.
L’expérience a été très
positive. J’ai vite compris que tous ces gens soupçonnaient
initialement la France de faire cavalier seul, d’avoir
son beau système, d’en être très
fière, d’aider son cinéma et d’être
très indifférente à ce qui se passait
ailleurs en Europe, ce qui avait généré
des incompréhensions. La différence entre la
France et les autres pays est que, chez celle-ci, quels que
soient les gouvernements, il y a sur le cinéma un discours
politique fort. Ailleurs, le cinéma n’est souvent
pas une préoccupation culturelle majeure.
Et même dans des pays qui peuvent avoir
des positions culturelles fortes comme l’Allemagne,
le livre est un élément de politique culturelle
fondamentale. Les Allemands sont prêts à se battre
à Bruxelles pour le prix unique du livre mais le cinéma
ne joue pas le même rôle politique. Toutefois,
nous avons réussi à nous entendre sur une déclaration
commune, partagée par les quinze responsables et endossée
par leurs ministres. Celle-ci affirme qu' il est stupide de
séparer en matière de cinéma l’art
et l’industrie. On ne peut pas adopter une position,
à l'instar de la direction de la concurrence, selon
laquelle il y aurait un cinéma d’art qu’il
serait légitime d’aider et un cinéma industriel
qu’il serait illégitime d’aider. Le cinéma
c’est, comme le disait Malraux, à la fois un
art et une industrie. Il faut donc avoir cette approche globale.
Deuxième élément, en Europe, compte tenu
de ce qu’est le marché européen, de ce
que sont les réalités européennes, il
n’y a pas de cinéma s’il n’y a pas
d’aide publique. L’aide publique est nécessaire
au cinéma. D'où une troisième conséquence
que nous avons souligné : aucun d’entre nous
n’était gêné par les aides publiques
données au voisin. Nous souhaitions fortement que celles-ci
augmentent partout parce que notre seul concurrent sur le
territoire européen est le cinéma américain.
Cette réunion a eu un impact, la Commission ayant récemment
publié une communication sur le cinéma allant
plutôt dans ce sens. La première version de cette
communication, influencée par la direction générale
de la concurrence, soutenait que les aides publiques au cinéma
sont légitimes dès lors qu’elles touchent
à l’art et pas à l’industrie. Nous
sommes allés à Bruxelles, mandatés cette
fois-ci par les gouvernements. La Commission a été
surprise que nous parvenions à adopter une position
commune, ce qui a eu un rôle dans la modification de
la communication. Nous avons ainsi pu constater que notre
problématique européenne était commune,
et que les principes dans les différents pays d’Europe
qui fondaient la légitimité et les conditions
d’existence du cinéma étaient communes.
Pour conclure, je crois que nous pouvons avoir
des raisons d’espérer. Dans beaucoup de pays,
le cinéma est faible. Il n’y a pas de cinéma
européen qui puisse être simplement la conjonction
de ce qu’on a appelé, à un moment donné,
l’euro-pudding, c’est-à-dire des co-productions
dans lesquelles on mettait un peu d’acteurs anglais,
un peu de langue allemande. Le cinéma européen,
ce sont des cinémas nationaux. En revanche, il y a
une possibilité de créer un intérêt
commun, une problématique commune autour du cinéma.
Je sens des évolutions positives, que ce soit du côté
de la Commission, puisqu'elle a publié une communication
dans laquelle elle a reconnu la légitimité de
l’aide publique au cinéma, en réservant
la question de la territorialisation, ce qui est un compromis
avec la direction de la concurrence. En outre, il y a une
possibilité pour les différents pays de concevoir
ce que peut-être un soutien au cinéma. Pour que
ces éléments puissent émerger, il convient
de mettre en place des politiques nationales comme en France,
en Allemagne ou en Angleterre. C'est plus difficile dans certains
pays comme l'Italie où il n’y a pas de budget,
ou en Espagne et au Portugal où les budgets varient
suivant les années et les majorités politiques.
Par ailleurs, il existe un enjeu majeur qui est celui de la
circulation des œuvres. Il est frappant de constater
que quand on fait la simple addition des chiffres, nous produisons
aujourd’hui, en Europe, tous pays confondus, à
peu près 600 films par an dont 200 en France. C’est
sensiblement la même quantité que la production
des Etats-Unis. Évidemment sans les mêmes sommes
qui y sont consacrées ni la même puissance. On
constate que 95% de ces films ne circulent pas du tout en
Europe. Le réseau Europa Cinéma, réseau
de salles qui s’est engagé à organiser
la circulation des œuvres européennes, représente
un défi majeur des années à venir. Le
plan média que la Commission a mis en place pour assurer
la circulation des œuvres en Europe doit jouer à
cet égard un rôle fondamental.
Je voudrais terminer par où j’ai commencé,
la constitution européenne, puisque c’est un
débat majeur pour qui s’intéresse à
l’Europe. Il y a trois progrès importants dans
la constitution européenne. Le premier : cette constitution
fait référence pour la première fois
dans ses principes à l’importance et à
la place de la liberté culturelle. Dans les principes
d’ouverture de la constitution, une des valeurs auxquelles
l’Europe se réfère, c’est la diversité
culturelle. Je sais que, sous ce mot, se cachent diverses
approches. Je crois toutefois que la reconnaissance comme
principe constitutionnel fondamental des diversités
culturelles, ça n’est pas tout à fait
ce faux mot de Jean Monnet, — " on commencera par
la culture " —, mais c’est quand même
un élément important de valorisation de la place
du cinéma, parce que le cinéma est probablement
l’enjeu essentiel de la culture en Europe en termes
économiques, de circulation et d’articulation
entre l’art et l’industrie.
ÿ Le deuxième élément réside
dans le fait que les milieux culturels se sont beaucoup battus
dans les négociations multilatérales internationales,
essentiellement les négociations de l’OMC, qui
font peser sur le secteur audiovisuel et cinématographique
une vraie menace puisqu'une libéralisation de ce secteur
conduirait à démanteler les aides nationales.
L'unanimité a été maintenue quand la
diversité culturelle a été en cause,
notamment dans le cadre des négociations commerciales
internationales. Il y a là une protection qui, déjà
obtenue de haute lutte au moment de Nice, a été
maintenue. Je suis convaincu que si l'on devait renégocier
le traité, nous n’obtiendrions plus un tel accord.
ÿ Troisièmement, nous avons obtenu que, pour les
décisions concernant la politique culturelle de l’Union,
et notamment pour le budget des médias, ce soit la
majorité qualifiée qui soit la règle.
Autrement dit, si on veut accroître le budget de l’Europe,
en matière culturelle, notamment en matière
de circulation des œuvres, c’est maintenant la
majorité qualifiée qui est requise. Je ne fais
pas là un vibrant plaidoyer pour le " oui ".
Je regrette simplement que ces questions-là n’aient
pas été aussi soulignées, parce qu’elles
font partie d’un combat qui a été mené
(le seul qui l’ait souligné, c’est Jack
Lang à plusieurs reprises dans ses interventions).
Ce sont en tout cas des conditions qui sont particulièrement
utiles pour construire demain ce qui sera un défi difficile,
lent, mais dont je pense qu’il n’est pas désespéré
: l’Europe du cinéma.
Jean-Noël Jeanneney
–
Première question :
quelle a été l’alchimie collective et
culturelle qui a fait historiquement que cette spécificité
française voit le jour ? On la constate, on la décrit,
mais pourquoi est-ce arrivé en France ? On ne peut
pas dire : " parce que nous sommes meilleurs ",
c’est absurde. Il s’est passé quelque chose
dont l’analyse détaillée permettrait peut-être
de servir à son extension ailleurs.
Deuxième question : que peut-il y
avoir de commun et de différent avec la télévision,
avec ce qu’on peut mener comme combat pour défendre
la télévision qui est également un art
et une industrie ?
Troisième et dernière question :
à propos de cette action possible, positive de l’argent
européen. Je vois bien ce qu’on appelle l’euro-pudding
: trois films franco-allemands sur Charlemagne ont été
tournés et deux à partir de Siegfried le Limousin.
De temps en temps, il y a l’auberge espagnole, façon
indirecte de faire quelque chose, mais cela ne va pas très
loin. En revanche, à propos de la diffusion, que peut-on
faire pour produire des oeuvres nationales, et ensuite, comment
faire pour qu’elles circulent ? y a-t-il des nouveaux
mécanismes à inventer ? Est-ce que nous, comme
citoyens, pouvons persuader l’opinion publique, et par
ce truchement, Bruxelles ?
Serge Toubiana –
Le cas de l’Allemagne est intéressant. L'Allemagne
a longtemps expier ses fautes, du fait que le cinéma
allemand, qui était avant guerre le plus puissant en
Europe avec ses grands studios (la UFA), le plus structuré
industriellement, ait été assujetti au régime
nazi. Le cœur de l’intelligence artistique allemande
a fui en direction d’Hollywood, qui en a su largement
en profiter. Tout le système américain des années
quarante et cinquante s’est renforcé grâce
à l’émigration allemande et viennoise
: Lubitsch, Wilder, Fritz Lang et tant d’autres. Tout
le savoir faire industriel allemand a été laminé
par la défaite. Depuis lors, le cinéma fait
plus ou moins partie de cette culture triviale qui n’est
pas reconnue à sa vraie valeur, comme le sont la littérature,
la musique, l’opéra ou le théâtre.
Prenez n’importe quelle ville d’Allemagne, vous
y trouvez une quantité incroyable de théâtres
ou d’opéras, davantage qu’en France. Le
théâtre, la musique et l’opéra appartiennent
à la culture noble, tandis que le cinéma s’est
dévalorisé du fait d'avoir été
asservi par la propagande au service d’un régime
odieux. Cette rupture ou cette coupure n’est pas identique
en France. La France a continué de produire un grand
nombre de films sous l’Occupation, pas seulement ceux
qui se faisaient avec la Continentale, société
créée avec des capitaux allemands. Au-delà,
la valorisation culturelle du cinéma est un phénomène
largement français. Ce phénomène a pour
ainsi dire trouvé son apogée avec la Nouvelle
Vague, le dernier grand mouvement critique, esthétique,
politique et culturel, qui a redonné vigueur au cinéma
français et servi d’exemples à l’étranger.
La France est sans doute le pays où les revues de cinéma
sont les plus nombreuses et les plus foisonnantes. Idem pour
les festivals, dont celui de Cannes, le plus important au
monde. Ce n’est évidemment pas la même
chose en Angleterre, où dès qu’un cinéaste
ou un acteur est reconnu pour son talent, il est tenté
de s’installer à Hollywood — l’exemple
d’Hitchcock est le plus parlant. Seul contrepoids :
le théâtre, l’autre pan culturel essentiel
qui fait la force de la culture britannique. Tous les grands
acteurs font ou ont fait du théâtre, en même
temps qu’ils sont de grands acteurs de cinéma.
Il y a eu dans les années 50 à 60 un axe Paris-Rome,
incroyablement fertile sur le plan des échanges économiques
et culturels : de nombreux films en coproduction et un véritable
" trafic" d’acteurs entre les deux pays. De
très nombreux acteurs français de la fin des
années cinquante et du début des années
soixante (Trintignant, Belmondo, Jeanne Moreau, Jacques Perrin,
Annie Girardot, etc.) n’ont pas cessé de travailler
entre l’Italie et la France. Les acteurs s’exprimaient
dans une langue ou une autre, avec cette facilité incroyable,
d’autant plus que l’Italie a pour usage de doubler
les films étrangers et que le son synchrone n’est
pas dans leurs habitudes. Mais c’était aussi
le cas pour les acteurs italiens de travailler dans des productions
majoritairement françaises : Marcello Mastroianni,
Sophia Loren, Claudia Cardinale, Léa Massari, Ugo Tognazzi,
Vittorio Gassman, etc. Un des plus beaux exemples de coproduction
: Le Mépris de Godard financé par Carlo Ponti
et Georges de Beauregard
David Kessler –
Je suis convaincu, comme Serge Toubiana, de l'existence de
ce phénomène très particulier en France,
qui n’existe ailleurs que dans quelques universités,
chez quelques aficionados de cinéma, qu'est la cinéphilie.
Et ce rapport particulier au cinéma a été
un élément dans le maintien de notre production.
Dire que la plupart des cinémas ont disparu à
cause de la télévision serait un peu sommaire
: la fréquentation a baissé dramatiquement,
y compris en France. En outre, la production audiovisuelle,
à un moment donné, a supplanté la production
cinématographique. En France, le cinéma a connu
de vraies difficultés, il y a dix ou douze ans, avec
110 millions de spectateurs en salles tandis qu'on se situe
aujourd’hui à peu près à 195 millions.
(Après guerre on était à 400 millions).
En Angleterre, après la guerre, on est parvenu à
près d’un milliard de spectateurs dans les salles
par an. Les spectateurs anglais allaient deux fois plus au
cinéma que les français tandis que les chiffres
sont aujourd'hui inférieurs par rapport à la
France. La France a toutefois pu s’en sortir parce qu’elle
avait mis en place des mécanismes très forts,
et grâce à la manifestation contre les accords
Blum-Byrnes avec une communauté artistique mobilisée.
Il y a dans cette mobilisation des artistes une vraie différence
culturelle qui n’explique pas tout mais une partie de
nos succès.
Dans beaucoup de pays, la différence cinéma/télévision
a une tendance à s’estomper. La production audiovisuelle
s'est développée très fortement, notamment
en Allemagne et en Angleterre avec des productions extrêmement
médiocres, et d'autres de qualité exceptionnelle.
En France, la production audiovisuelle de qualité existe
évidemment, mais il reste quand même dans nos
esprits, et de façon générale, une sorte
de hiérarchie : le cinéma, c’est le 7e
art. Lors d' un débat à France-Culture sur la
redevance, un représentant des organismes de cinéma
a expliqué à quel point le cinéma était
mal aimé et a terminé en disant : " Et
si ça continue, il n’y aura plus à 20h30
que des téléfilms ! " Protestations gigantesques
dans la salle peuplée de producteurs audiovisuels !
A la question de savoir comment défendre la télévision,
je crois beaucoup à un point fondamental en Europe
: la question de la télévision publique. C'est
une question fondamentale dans un univers où la télévision
se privatise. On le voit bien : dans toute sorte de formats
d’émissions sur lesquels on peut porter tous
les jugements que l'on veut, nous devons garder un univers
télévisuel public de référence.
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