La technologie peut-elle éliminer la pauvreté ? (1/2)
Par Hubert Guillaud |
Le
dernier numéro de la Boston Review est consacré entièrement à cette
question : "La technologie peut-elle éliminer la pauvreté ?" Et force
est de constater que la réponse n'est pas aussi évidente qu'on veut
bien souvent nous la présenter. Tout le numéro est organisé autour de
la remarquable contribution (lucide sur les espoirs déçus des
tentatives de réduction de la fracture numérique par la technologie) de
Kentaro Toyama (blog), professeur à l'école d'information de Berkeley,
qui a fait récemment une intervention remarquée à TedX Tokyo et qui
prépare un livre sur le développement.
Dans
les années 2004, comme beaucoup, Kentaro Toyama s'est enthousiasmé pour
les télécentres indiens, où depuis un ordinateur connecté, des enfants
apprenaient – souvent avec un précepteur dédié pour un prix plus élevé
que la scolarité dans une école privée à temps plein -, à utiliser un
ordinateur quelques heures par mois dans une langue qu'il ne parlaient
pas, comme il l'avait constaté à Retawadi, en Inde. A l'époque Kentaro
Toyama était informaticien pour Microsoft Research chargé de lancer un
laboratoire à Bangalore.
Il était également au bureau de l'ICT4D
(Information and Communication Technologies for Development), une
association pour la promotion des technologies de l'information et de
la communication (TIC) pour le développement. A cette époque, l'ICT4D a
fait la promotion des télécentres indiens, parrainés et financés par
des organisations externes (ONG, universités, entreprises) dans le but
d'accélérer la croissance socio-économique, avec des objectifs
lucratifs et non lucratifs : le télécentre devait fournir des services
sociaux à la communauté et des revenus pour l'entrepreneur local qui
opérait le télécentre.
LES ESPOIRS DES ANNÉES 2000
"Certains
télécentres ont été couronnés de succès. Un opérateur dans le sud de
l'Inde a expliqué avoir sauvé la culture du gombo en permettant à un
agriculteur d'entrer en discussion avec un expert de l'université. Un
autre se vantait d'avoir triplé ses revenus après l'ouverture d'un
centre de formation informatique. A l'époque, les titres de la presse
ont été flatteurs : "Les producteurs de soja de l'Inde rejoignent le
village mondial" ; "Les villages numériques lancent un pont sur la
fracture indienne" ; "Les fermiers Kenyans acclament internet comme le
sauveur de la culture de la pomme de terre"."
"Ces histoires ont
suscité de grands espoirs pour les télécentres : l'enseignement à
distance permettra à chaque enfant de devenir savant, la télémédecine
pourra soigner les dysfonctionnements des systèmes de santé ruraux, les
citoyens pourront développer des services locaux sans passer par des
fonctionnaires corrompus… Ashok Jhunjhunwala, un membre du Conseil des
sciences consultatif du premier ministre indien a même suggéré que les
télécentres pourraient doubler les revenus dans les villages ruraux.
L'agronome Monkombu Swaminathan, le père de la "Révolution verte" en
Inde, a appelé à ce que se créé un télécentre dans chacun des 640 000
villages du pays. D'autres pays ont emboîté le pas, en lançant leurs
propres programmes nationaux de télécentres."
"L'excitation
autour de télécentres s'est propagée au reste de l'ICT4D. Des
personnalités à la fois la technologie et du développement ont attisé
les flammes avec impatience. A l'époque, Nicholas Negroponte, fondateur
du projet One Laptop Per Child (un ordinateur portable par enfant,
OLPC), un projet d'ordinateurs portables bon marché pour les enfants
pauvres, a élevé d'un cran les revendications : "Les enfants dans le
monde en développement ont besoin des nouvelles technologies,
spécialement de matériel robuste et de logiciels innovants." Kofi
Annan a publiquement soutenu le projet. Edward Friedman, directeur du
Centre pour le management de la technologie pour le développement
global, a écrit : "Il ya un besoin pressant d'employer la technologie
d'information pour les soins de santé en milieu rural en Afrique
subsaharienne." Une enquête récente commandée par la BBC a révélé que
79 % des 28 000 adultes interrogés, provenant principalement des pays
riches, étaient d'accord avec l'affirmation que "l'accès à l'internet
devrait être un droit fondamental de tous les peuples"."
EN RÉALITÉ, LES SUCCÈS ONT ÉTÉ RARES, FUGACES, ESPACÉS…
Pourtant,
reconnaît Kentaro Toyama, les succès de l'ICT4D sont rares, fugaces, et
très espacés. A Retawadi, en Inde, le propriétaire du télécentre
parvenait difficilement à se faire 20 dollars par mois de revenus,
alors que les coûts de matériel, d'électricité, de connectivité et
d'entretien se montaient au moins à 100 dollars. "Sur une période de
cinq ans, je me suis rendu dans près de 50 télécentres à travers l'Asie
du Sud et en Afrique. La grande majorité ressemblait beaucoup à celui
de Retawadi. Les opérateurs de télécentres ne pouvaient pas gagner leur
vie et les services disponibles étaient dérisoires. La plupart ont
connu le même sort que le télécentre de Retawadi : ils ont fermé peu de
temps après leur ouverture. La recherche sur les télécentres, bien que
limitée dans la rigueur et l'ampleur, confirme mes observations sur la
sous-performance constante." "Les nouvelles technologies suscitent
de l'optimisme et de l'exubérance qui sont souvent déçus par la
réalité", explique Kentaro Toyama. Les observateurs universitaires ont
montré pourquoi les initiatives de télécentres de l'ICT4D avaient
échoué : le plus souvent, la conception n'est pas adaptée au contexte,
elle ne se conforme pas aux normes socio-culturelles locales, elle a du
mal à prendre en compte les carences du réseau électrique, à établir
des relations avec les administrations locales, à offrir des services
qui répondent aux besoins locaux, à réfléchir à un modèle d'affaires
viable…
LA PÉNÉTRATION DE LA TECHNOLOGIE N'EST PAS LE PROGRÈS : LA TECHNOLOGIE N'EST QU'UNE LOUPE
L'ICT4D
a mené des projets dans de nombreux domaines (éducation, microfinance,
agriculture, santé) et avec différentes technologies (ordinateurs,
téléphones mobiles, objets électroniques construits sur mesure…). "Dans
chacun de nos projets, les effets d'une technologie sont complètement
dépendants de l'intention et de la capacité des gens à la manipuler",
estime Kentaro Toyama. Le succès des projets d'ordinateurs dans les
écoles reposait sur l'appui d'administrateurs et d'enseignants dévoués.
Le processus de microcrédit via téléphones mobiles a fonctionné grâce à
des organisations de microfinance efficaces. Les projets de l'ICT4D qui
ont eu le plus de succès, ce sont les organisations partenaires qui ont
fait le travail difficile d'un véritable développement, l'ICT4D se
contentant d'aider et soutenir leurs efforts. "Si je devais résumer
tout ce que j'ai appris via l'ICT4D, il serait le suivant : la
technologie – peu importe sa conception, même si elle est brillante –
magnifie les intentions et les capacités de l'homme. Elle n'est pas un
substitut. Si vous avez une base de gens compétents et bien
intentionnés, alors la technologie appropriée peut amplifier leur
capacité et déboucher sur des réalisations étonnantes." Dans les autres
cas, la technologie ne sait pas renverser une situation difficile.
L'arrivée d'internet dans les villages ne suffit pas à les
transformer. "La technologie est une loupe parce que son impact
est multiplicatif, mais en ce qui concerne le changement social, il ne
s'additionne pas. Dans le monde développé, il y a une tendance à voir
l'internet et d'autres technologies comme nécessairement additives,
parce que les contributeurs y ajoutent une valeur positive.
Mais
leurs apports bénéfiques sont subordonnés à une capacité d'absorption
des utilisateurs qui est souvent absente du monde en développement. La
technologie a des effets positifs que dans la mesure où les gens sont
prêts et capables de l'utiliser de manière positive. Le défi du
développement international, c'est que, quel que soit le potentiel des
communautés pauvres, la capacité à être bien intentionné est une denrée
rare et la technologie ne peut pas rattraper ce déficit."
La
techno-utopie, qui consiste à croire que la diffusion à grande échelle
des technologies conçues de manières appropriées peut apporter des
solutions à la pauvreté et aux autres problèmes sociaux, a tendance à
assimiler la pénétration de la technologie au progrès. OLPC par
exemple, attaque Kentaro Toyama, promeut son ordinateur, en évoquant
l'auto-apprentissage et fait peu de cas de la pédagogie, de la réalité
du corps enseignant, des programmes ou des systèmes scolaires où il se
déploie. "Le nom même de l'OLPC repose sur une large diffusion de
la technologie, alors que peu d'entre nous choisiraient une éducation
fondée sur l'ordinateur pour ses propres enfants". Ce mythe du passage
à l'échelle par la technologie est également la religion des promoteurs
de télécentres, qui pensent que l'arrivée d'internet dans les villages
va suffire à les transformer. Et le même mythe se poursuit aujourd'hui
avec le téléphone mobile quand le New York Times titre : "le téléphone
mobile peut-il mettre fin à la pauvreté dans le monde ?" en affirmant
que "les possibilités offertes par la prolifération des téléphones
mobiles sont potentiellement révolutionnaires".
LA TECHNO-UTOPIE EST PLUS FACILE À CROIRE
"Révolutionnaire
! Le mythe de l'échelle est séduisant, car il est plus accessible que
de parler des changements dans les attitudes sociales et les capacités
humaines. En d'autres termes, il est beaucoup moins douloureux
d'acheter une centaine de milliers d'ordinateurs que de fournir une
véritable éducation pour une centaine de milliers d'enfants. Il est
plus facile de gérer une hotline de santé en messagerie texte que de
convaincre les gens de faire bouillir l'eau avant de l'ingérer. Il est
plus facile d'écrire une application qui aide les gens à savoir où ils
peuvent acheter des médicaments que de les persuader que la médecine
est bonne pour leur santé. Il semble évident que la promesse d'échelle
est un leurre, mais leurs promoteurs s'appuient bien souvent sur cet
argument – consciemment ou non – pour promouvoir leurs solutions." Les
estimations de dépenses annuelles des technologies pour le
développement sont difficiles à trouver, mais elles varient entre plus
centaines de millions à plusieurs dizaines de milliards de dollars
estime Kentaro Toyama. Le coût de développement de l'OLPC correspond à
peu près à la moitié du budget que l'Inde consacre à l'éducation de ses
élèves, une somme essentiellement consacrée aux salaires des
enseignants. Quel sens peut pourtant avoir le cout d'un ordinateur
alors que 0,5 $ par an et par élève pourrait servir à fournir des
médicaments pour réduire l'incidence des parasites qui causent des
maladies et augmenter la fréquentation scolaire de 25 % ?
Les
promoteurs des technologies pour le développement ont tendance à faire
pression pour le financement technologique. "Si l'OLPC prétend être un
projet d'éducation, plus qu'un projet technologique, dans le même
temps, il attend que des gouvernements dépensent 100 millions de
dollars pour 1 million d'ordinateurs portables", rappelle Kentaro
Toyama. Hamadoun Touré, secrétaire général de l'Union internationale
des télécommunications indiquait que "les gouvernements devraient
considéré l'internet comme une infrastructure de base, comme les
routes, le traitement des déchets ou l'adduction d'eau." "Mais dans des
conditions d'extrême pauvreté, les investissements pour fournir un
large accès à l'internet entrent nécessairement en concurrence avec les
dépenses en matière d'assainissement ou de transports", rappelle avec
la force du bon sens Kentaro Toyama.
"Diffuser une technologie
pourrait fonctionner en quelque sorte si la technologie fait plus pour
les pauvres, peu scolarisés, qu'elle ne fait pour les riches bien
éduqués et puissants. Mais c'est l'inverse qui se passe : la
technologie aide les riches à s'enrichir en faisant peu pour les
pauvres, creusant ainsi les écarts entre les nantis et les démunis."
POURQUOI LA TECHNOLOGIE CREUSE-T-ELLE LES ÉCARTS ENTRE LES RICHES ET LES PAUVRES ?
La technologie creuse l'écart entre riche et pauvre à cause de trois mécanismes, explique encore Kentaro Toyama : L'accès
différentiel : la technologie est toujours plus accessible aux riches
et aux puissants. Elle coûte de l'argent à acquérir, à exploiter, à
entretenir et à mettre à niveau. Et cette fracture numérique persiste
même lorsque la technologie est entièrement financée. Par exemple, la
plupart des bibliothèques publiques des Etats-Unis offrent un accès
gratuit à l'internet, mais les plus pauvres habitants ont moins de
temps de loisir pour les visiter et plus de difficultés à les atteindre
en raison des coûts de transports notamment, argumente-t-il. Sans
compter les obstacles sociaux : bon nombre de télécentres ruraux dans
le monde en développement ne sont pas accessibles aux personnes les
moins privilégiées de leurs villages en raison d'injonctions sociales,
de problèmes de castes, de tribus ou de genres. Sans compter que le
matériel a tendance à être conçu pour les plus riches : les logiciels
et le contenu sont écrits pour les personnes avec le plus grand revenu
disponible. Même lorsque les produits semblent être libres, comme les
téléviseurs, ils sont souvent soutenus par des annonceurs qui cherchent
des consommateurs avec un revenu disponible plus élevé. Le résultat
est, à nouveau, que les défavorisés sont encore plus défavorisés.
L'Inde
a plus de vingt langues reconnues au niveau national, mais presque tous
les logiciels en cours d'utilisation sont en anglais, ce qui rend
difficile pour les personnes alphabétisées que dans leurs langues
locales à utiliser les ordinateurs. Et cette inclination elle-même
s'auto-renforce : "si une technologie n'est pas conçue pour une
personne, elle ne l'achètera pas, et si elle ne l'achète pas, les
producteurs ne développeront pas le design adapté". Il est possible
de lutter contre cet accès différencié, estime pourtant Kentaro Toyama,
comme le font les projets de télécentres en fait. "Mais pratiques
progressistes à l'égard de la technologie ne sont pas particulièrement
efficaces à elles seules en raison des écarts autres que la technologie
ne peut pas annuler. A armes égales, elles n'abordent pas les problèmes
sous-jacents, qui sont les inégalités entre les joueurs eux-mêmes". Le
différentiel social : même si l'accès différencié à la technologie
pourrait être combattue en diffusant universellement la technologie, le
différentiel des capacités en matière d'éducation, d'aptitudes
sociales, ou de liens sociaux, lui, demeure. Avec une même technologie,
selon ses études, sa confiance en-soi, ses liens sociaux, ses capacités
organisationnelles… deux personnes ne tireront pas le même profit d'une
même technologie. "Avec une capacité limitée en matière
d'alphabétisation, d'éducation, de liens sociaux, d'influence
politique, la valeur de la technologie est elle-même limitée". Le
différentiel d'usage : un troisième mécanisme contribue à
l'élargissement de l'écart entre les privilégiés et les exclus. Celui
de savoir ce que les gens veulent faire de la technologie à laquelle
ils ont accès ? "Beaucoup d'entre nous ont été surpris de constater que
les pauvres ne se précipitent pas pour trouver en ligne des ressources
éducatives, acquérir des pratiques de santé ou mettre à niveau leurs
compétences professionnelles. Au lieu de cela, ils utilisent
principalement la technologie pour se divertir. Dans les télécentres
beaucoup de gens deviennent compétents pour télécharger des vidéos sur
YouTube, plus que pour utiliser un logiciel de comptabilité ou accéder
à un cours de langue. Même dans le monde développé, la technologie
profite d'abord au jeu et au divertissement. Et cette tendance est
encore plus accentuée parmi ceux qui ont grandi avec une faible
confiance en soi et la connaissance de leur impuissance. "Je ne
blâme pas les victimes. Aucun de ces trois mécanismes ne repose sur
d'éventuels échecs de la part de ceux qui sont pauvres et non
instruits. S'il faut distribuer des blâmes, ce serait plutôt aux
circonstances historiques, aux structures sociales, et au refus des
pays riches à investir dans une éducation universelle de haute qualité.
En fait, une bonne raison pour valoriser l'éducation consiste dans le
fait qu'elle génère le désir et la capacité d'utiliser des outils
modernes – raison de plus pour pour se concentrer sur le développement
des possibilités humaines, au lieu d'essayer de compenser les limites
de celles-ci par la technologie."
QUEL PROGRÈS AMÈNE LA TECHNOLOGIE ?
L'Amérique
du Nord, l'Europe occidentale, le Japon et plusieurs autres régions
économiquement bénies ont atteint leur statut de puissances économiques
bien avant les technologies numériques. Leur production de pointe et la
consommation des technologies de l'information peuvent être
interprétées davantage comme un résultat du progrès économique que
comme une cause primaire, estime Kentaro Toyama. Les demandes
antérieures de l'information et de la technologie des communications
dans les pays en développement n'ont pas conduit directement au progrès
socio-économique, comme le montre l'exemple de la télévision. La
télévision a certes eu un impact positif : les économistes Robert
Jensen et Emily Oster ont montré (.pdf) comment la télévision a permis
de faire pénétrer les attitudes sociales urbaines évoluées auprès de
femmes rurales indiennes. Une organisation à but non lucratif, le
Population Media Center, applique explicitement ce principe dans le but
d'influencer les taux de natalité et les pratiques de soins de santé
dans les pays en développement en produisant des feuilletons comportant
des messages sociaux positifs. C'est certes encourageant note Kentaro
Toyama. Pourtant, l'impact de la télévision sur le développement s'est
finalement révélé très loin des attentes.
Dans les années 60,
Wilbur Schramm, le père des études sur la communication et le
cofondateur du département de communication de Stanford, décrivait dans
L'information et le développement national, les espoirs que la
télévision représentait pour l'éducation et le développement. Force est
pourtant de constater que ces espoirs ne se sont pas concrétisés. "Quel
que soit le potentiel de la télévision, celle-ci n'a pas réussi à
favoriser le développement à grande échelle quand bien même elle s'est
répandue partout", que ce soit dans les pays développés comme dans les
pays en voie de développement.
"Mon but n'est pas de dire que la
technologie est inutile. Dans la mesure où nous sommes disposés et
aptes à développer la technologie à des fins positives, elle a un effet
positif. Par exemple, Digital Green (DG), l'un des projets les plus
réussis de l'ICT4D que j'ai supervisé à Microsoft Research, encourage
l'usage de vidéos pour enseigner aux petits agriculteurs comment avoir
de meilleures pratiques agricoles. Quand il s'agit de persuader les
agriculteurs à adopter de bonnes pratiques, la DG est dix fois plus
rentable que l'agriculture classique." "Mais la valeur d'une
technologie reste contingente aux motivations et aux capacités des
organisations cherchant à les utiliser" rappelle Kentaro Toyama
: "les villageois doivent être organisés, les contenus doivent
être produits et les enseignants doivent être formés". Le facteur
limitant dans la propagation de l'impact de DG par exemple ne repose
pas sur le nombre de caméscopes que ses organisateurs peuvent acheter
ou le nombre de vidéos qu'ils peuvent produire, mais sur combien de
groupes initiaux ont des bonnes pratiques. Si les groupes initiaux sont
peu nombreux, renforcer les capacités institutionnelles est le plus
difficile. En d'autres termes, "la diffusion de la technologie est
facile, mais entretenir les capacités humaines et les organisations qui
ont permis ce bon usage est le point crucial".
APRÈS L'ORDINATEUR, LE MOBILE ?
"La
technologie est seulement une loupe, pas seulement dans le cadre du
développement d'ailleurs. Personne ne pense qu'on peut transformer une
entreprise déficitaire simplement en injectant de nouveaux ordinateurs,
mais les entreprises bien gérées peuvent bénéficier par exemple, de
chaines d'approvisionnement informatisées. Un fusil dans de bonnes
mains protège les citoyens et maintient la paix ; dans de mauvaises
mains, il tue et opprime. La technologie industrielle moderne augmente
notre capacité à produire, mais amplifie également notre désir de
consommer. Sur une planète aux ressources limitées, ce dernier pourrait
d'ailleurs signer notre ruine. L'histoire nous montre aussi que les
technologies de la démocratie peuvent être facilement détournées en
l'absence d'éducation des citoyens : si ceux-ci sont trop confiants, ou
si ceux-ci ne sont pas prêts et aptes à mettre en oeuvre les contrôles
et contrepouvoirs nécessaires. Les ordinateurs, les armes, les usines
et la démocratie sont des outils puissants, mais les forces qui
déterminent comment ils sont utilisés en fin de compte relèvent des
êtres humains." Ce point semble pourtant évident, mais il est oublié
dans la ruée vers le passage à l'échelle, estime Kentaro Toyama.
Actuellement, la communauté du développement international vit une
histoire d'amour avec le téléphone mobile. Les travaux de Robert Jensen
et Jenny C. Aker démontrent que les téléphones mobiles peuvent éliminer
certains types d'inefficacités d'information sur les marchés du monde
en développement (voir par exemple : Les impacts de la téléphonie
mobile sur le fonctionnement des marchés en Afrique subsaharienne
(.pdf)). Encouragées par cette découverte et par la forte pénétration
de la téléphonie mobile, les Fondations et institutions pour le
développement ont formé des groupes de travail et encouragent le
développement de services entiers consacrés au mobile. Dans ces
cercles, il n'est plus possible de discuter de la microfinance ou de
santé sans parler du mobile.
"La loupe technologique suggère
cependant qu'il s'agit d'une vision unilatérale de la téléphonie
mobile. Car ce ne sont pas seulement les intentions de production qui
sont amplifiées par la téléphonie mobile. Quand un tireur de rickshaw
qui gagne un dollar par jour paye son opérateur pour avoir le privilège
de changer de sonnerie, a-t-il généré un avantage net pour lui-même ou
pour la société ?" Kathleen Diga de l'université de KwaZulu Natal a
observé que certains ménages en Ouganda donnaient la priorité au temps
de conversation sur mobile plutôt qu'à la nutrition ou à l'achat d'eau
propre (voir l'étude .pdf). La sociologue Jenna Burrell constatée que
les téléphones mobiles exacerbent les relations de domination entre les
sexes : les hommes se servant des téléphones mobiles comme des outils
d'échange sexuel. Alors que le téléphone mobile est devenu la
technologie électronique la plus répandue, devant la télévision et la
radio avec 4,5 milliards de comptes actifs touchant 80 % de la
population mondiale, on pourrait croire que ces chiffrent indiquent
qu'il n'y a plus de fracture numérique pour la communication temps
réel. Pourtant, les études montrent que les non-usagers sont d'abord
des pauvres, isolés, des femmes et des gens "politiquement muets",
conclut Kentaro Toyama. "Quoiqu'il en soit, si la propagation des
téléphones mobiles est suffisante pour abolir la pauvreté, nous
n'allons pas tarder à la savoir", ironise le chercheur. "Mais si
elle ne l'est pas, devrons-nous alors à nouveau reporter nos espoirs
sur le prochain gadget flambant neuf que nous proposerons au monde en
développement ?"
Décembre 2010
MI lance un vaste plan d'aide en faveur des pays les plus pauvres
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