Le
retour de valeurs humaines, y compris à l'intérieur de la sphère
numérique, n'est pas incompatible avec la bonne santé de l'économie.
Tout
change mais rien ne change, dit un adage chinois. Pourtant il semble
que l'humanité soit arrivée à une croisée des chemins. Pour de
multiples raisons, notamment scientifiques et techniques, notre ordre
symbolique, nos codes de compréhension, apparaissent comme étant
profondément modifiés. Ce qui, sans une réflexion approfondie sur
nous-mêmes et sur le monde, nous priverait de la possibilité de nous
projeter dans le futur. La capacité simultanée de manipuler le génome,
en intervenant sur le vivant, et celle de répliquer des éléments de
notre activité intellectuelle par l'irruption grandissante de logiciels
couplés à des machines de plus en plus sophistiquées qui reproduisent
une part grandissante de notre activité, demande un surcroît d'analyse
auquel l'esprit doit se préparer. Ces incursions sont poussées chaque
jour un peu plus loin. Elles transforment notre environnement
intellectuel et rendent nécessaire le développement de facultés
nouvelles, voire de sciences nouvelles, afin d'intégrer ces
transformations.
Chaque bouleversement de la pensée a donné lieu à la création de
disciplines nouvelles. Trois grands chocs dominent l'histoire. Le
fait de réaliser, avec Galilée, que la terre n'était pas le centre de
l'univers a créé un traumatisme sans précédent dans la pensée de
l'époque et permis à l'astronomie de se développer. Quand Darwin
découvre l'évolution des espèces, nouveau choc. On créé, entre autres,
l'anthropologie. Enfin, le fait de s'apercevoir qu'une part de notre
réflexion était guidée par l'inconscient freudien a provoqué un nouveau
remaniement qui a ouvert la voie à la psychanalyse. Chaque fois, une
nouvelle conception du monde vient remettre en cause le certitudes et à
priori régissant la réflexion dominante et permettre à une science
nouvelle de naître. Il semble que l'intelligence artificielle couplée à
la robotique produira un peu les mêmes effets.
Il faut se préparer à un tel saut conceptuel, car nous arrivons aussi à
l'un de ces carrefours, notamment en ce qui concerne la génétique. Une
réflexion éthique est nécessaire, mais elle ne doit pas interrompre ce
qui est avant tout un progrès. Elle doit principalement l'orienter,
l'encadrer pour qu'elle débouche sur une refonte utile des sciences de
l'humain. Les dissections qui ont tant fait progresser la médecine
étaient vouées à la condamnation unanime de leurs contemporains.
Face aux incertitudes ambiantes, le recul de l'histoire s'avère plus
précieux que jamais. Nous vivons une période d'immense refonte dont le
rythme est accéléré par les technologies qui se sont insinuées dans nos
modes d'expression et se calquent progressivement sur leur vitesse
propre. Le parallèle avec la Renaissance est éclairant a plus d'un
titre. La civilisation européenne revisitait toutes ses valeurs à
l'aune de la rationalité humaine.
L'homme devenait l'étalon d'un monde en pleine refondaison.
Toutes ces notions étaient alors revisitées. La culture devenait un
vecteur central des modifications en cours. Par le biais des sciences,
on redéfinissait chaque domaine de la connaissance. C'est aussi le cas
aujourd'hui, alors que toutes les sphères de l'activité, ou presque,
sont intégrées par les outils numériques. Il est donc indispensable de
se replacer dans cette dimension, pour mieux faire face à cette
redéfinition symbolique du monde et affirmer la valeur centrale de
l'humain, à l'heure des interfaces et prothèses qui nous plongent
résolument dans un monde multi-faceté, plus complexe. C'est cette
exigence singulière qui devra nous permettre d'aborder avec succès le
début du treizième millénaire et d'entrer dans la nouvelle phase qui
s'ouvre en maintenant un consensus intact, ce génie invisible qui vit à
l'intérieur de la société et permet à la liberté d'y régner.
Gilles Marchand
Paris, Juillet 2015
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