Si
nous savons nous en procurer les moyens, une nouvelle ère de la culture
commence aujourd'hui et l'Europe en sera un des principaux moteurs.
Ceux
qui se terrent en attendant des jours meilleurs vont au devant de
graves désillusions. Le futur est là où on le créé, là où on l'invente,
là où se fixent les ferments qui peuvent lui donner sa substance à
venir. Or tous les ingrédients sont aujourd'hui réunis pour faire de
l'Europe un des centres majeurs des transformations en cours. Celle-ci
est à la croisée de toutes les influences et l'ancienneté de sa
profondeur culturelle est sur le point de devenir un atout
extraordinaire, capable de donner une vigueur propre à sa recherche
formelle et un sens particulier à la construction mondiale. Les
multiples clivages qui ont émaillé son histoire ont longtemps handicapé
son rayonnement — et sa puissance économique — mais ils ont aussi
contribué à créer une émulation qui avec la chute des murs politiques
va très vite devenir un avantage. La concurrence permet à une variété
de systèmes d'exister.
La mise en commun de cette richesse exceptionnelle va nourrir une
diversité qui aujourd'hui, dans un contexte d'ouverture des marchés et
des esprits, est favorable aux propositions différenciées. A l'origine
d'une forme d'évangélisation politique, par la langue, la culture, la
religion et, dans une certaine mesure, par l'économie, L'Europe va très
bientôt tirer le bénéfice de son travail d'expansion de toutes les
valeurs de civilisation. Sa culture sera le domaine principal dans
lequel se mesurera ce retour, et elle sera le principal bénéficiaire de
l'interaction planétaire qui va se mettre en place. Celle-ci, en effet,
va se bâtir au regard d'une conscience plus poussée des nécessités
éthiques à installer, et elle ne se fondera pas sur la recherche d'un
envahissement du champ symbolique comme certains pôles ont cherché à le
faire depuis des décennies. Elle ne se fera pas dans un soucis de
maîtrise du vivant et de ses échanges avec l'extérieur, mais au
contraire dans un soucis plus poussé de leur respect à une heure où
ceux ci sont menacés par la progressive main mise de l'économique
concentrationnaire de l'ultra libéralisme.
Si les règles politiques sont aujourd'hui en crise, c'est parce
qu'elles doivent être réajustées afin de tenir compte des mutations en
cours. Mais le culturel n'est pas un domaine anodin. Il est lié à
l'identité des nations qui cherchent à le promouvoir. La culture n'est
pas un marché comme les autres. On n'achète pas l'âme de ceux dont on
assure la promotion des "productions culturelles" tout comme on ne peut
mettre en équation tous les termes de la consommation culturelle. Ceux
qui le prétendent sont les négriers en puissance de la nouvelle
économie mondiale et comme tels, ils doivent être amenés —au besoin par
la force (de négociation) — à respecter la liberté des différents
acteurs de la culture. On doit nécessairement s'attendre à une
remoralisation des échanges culturels qui ne veut pas dire limitation
ou censure mais prise en compte plus étayée des nécessités humaines de
ces domaines.
Il faut aller vers un plus d'intelligence et de prises de conscience, sinon nous serons hypnotisés.
Or L'Europe dispose de la plus grande variété de bassins humains, d'une
des plus longues traditions intellectuelles, et de certains des plus
hauts niveaux de formation universitaires. Non seulement ces niveaux
d'éducation ne doivent pas diminuer, mais on doit au contraire les
renforcer. Les améliorer en permanence et proposer au reste du monde
les solutions qui auront pu se révéler efficaces en les adaptant aux
capacités locales. Nous allons en effet vers une civilisation de
l'image, du symbole et du modèle mais leur signification ne sera jamais
dépouillée du sens, et c'est pourquoi la lettre et l'écrit seront
toujours présents. Plus que jamais Internet marque leur retour en
force. Nous allons vers une société qui fera une plus grande place aux
loisirs et à la consommation culturelle. Celle-ci ne pourra faire
abstraction de la qualité et de la profondeur de son vécu historique,
scientifique et intellectuel.
L'histoire que cherchent à biaiser la grande majorité des productions
grand public — en nous imposant un unique chapitre décliné à l'envi
depuis soixante ans — est un atout dont on cherche à nous détourner par
tous les moyens. Croyant pouvoir l'imposer à la nouvelle génération.
Quitte à lui faire revivre les mêmes affres. Notre force, entre autres,
est en effet liée à la richesse sémantique de notre patrimoine culturel
et à la variété des interprétations qu'il suscite. Aujourd'hui, notre
diversité est un atout. Elle nous permet une compréhension mutuelle et
collective à l'heure où les technologies rendent chaque produit
transparent. Celles-ci vont favoriser le grand renouveau à venir et
contribuer à le décupler. Les problématiques développées à travers les
productions existantes ont prouvé une grande part de leur inadaptation
aux réalités actuelles. Il est grand temps de les renouveler. En
commençant par adopter une politique qui fasse de la place pour un
grand dessein culturel, ce en augmentant les budgets aujourd'hui quasi
dérisoires et en agissant sans complexe sur un domaine qui a besoin de
soutiens et d'orientations. Enfin centrées sur les contraintes et
possibilités actuelles concrètes, elles nous feront enfin entrer de
plein pied dans la modernité de demain.
Le
désengagement de l'etat et des collectivités publiques est à ce titre
une erreur patente, y compris en termes économiques, dans la mesure où
la culture et la création artistique sont les principaux marqueurs d'un
temps, et ce à de très nombreux niveaux de lecture. Elles sont des
paravents et des éléments de civilisation essentiels qui déterminent
les valeurs, la volonté et la vision d'une période. Il nous faut les
parfaire et nous y adonner comme à la plus pertinente des réponses
possibles face à un monde en plein bouleversements. Elle en sont les
grilles de décryptage. Les traductions concrètes d'une évolution
profonde qui conditionne tous ce en quoi nous pouvons tenir. C'est
pourquoi elles ont une importance essentielle.
Gilles Marchand
Paris, Juillet 2015
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