Précieuse
alchimie de la société, la culture, bénéficiant de moyens de diffusion
radicalement nouveaux, est à même de sécréter les ferments nécessaires
d'une activité dense.
Parce
qu'ils ne disposent pas toujours des éléments explicatifs suffisants et
d'une vision cohérente à long terme, nombre de Français ont besoin de
renouer avec leur destin. La France a elle-même un rôle de création
théorique à jouer afin d'insuffler un souffle nouveau aux sociétés
humaines menacées par des dérives économiques qui restent corrigibles
mais qui appellent une cohésion internationale et des impulsions qui
laissent une place à l'imagination. Celles ci peuvent et doivent
renforcer la maîtrise que les individus auront de leur vie notamment
professionnelle et de répondre aux enjeux qui nous viennent.
Économie et culture vont devenir indissociablement liés et cette
interdépendance allant croissant, sans déprécier les secteurs
traditionnels de l'économie, va ouvrir des champs d'activité larges et
porteurs de richesse économique, facteur de cohésion sociale. Ces
secteurs en cours de constitution, dont la part ne va cesser de
grandir, doivent bénéficier à ceux qui les constitueront, c'est à dire
une part toujours plus large des acteurs économiques dont le nombre ne
va cesser de croître au cours des années à venir. Et ce jusqu'au niveau
individuel.
La progressive intensification de la complexité des problématiques
ambiantes demande un surcroît d'information. Celle ci doit monter et
descendre facilement à tous les niveaux de la société afin que soient
renseignés ceux qui en éprouvent le besoin. Le rôle pédagogique des
médias est ici fondamental. Il tend à enrichir les grandes ébauches
culturelles. Nombre de gens souffrent aujourd'hui de ne pas disposer
d'une lisibilité de l'actualité qui leur permette de faire le lien
entre la situation globale de l'économie ou des entreprises dans
lesquelles ils travaillent, et leur situation propre. Or cette
compréhension est fondamentale pour aborder sereinement les périodes à
venir. Avertis, les individus peuvent se projeter dans des
environnements dont ils sont capables de situer et les limites et les
dimensions réelles. L'apparent manque de foi envers le futur n'est pas
une fatalité. Il se combat avec les armes intellectuelles appropriées.
Quant à la culture proprement dite, elle est trop souvent considérée
comme un ornement, précieux mais non déterminant pour se mouvoir dans
la société. Elle va très vite devenir un atout incontournable pour ceux
qui iront vers ces secteurs. La richesse et la profondeur des savoirs
réactualisés à l'aune des nouvelles technologies vont provoquer une
diffusion, jusque là parcellaire, de la grande culture classique en
plus de toutes les variantes existantes. La renaissance, les lumières,
les grands classiques du dix neuvième et certains éléments du
vingtième, vont se trouver remis d'actualité. On associera ainsi le
meilleur du passé avec un des plus grands potentiels du futur. C'est
pourquoi le présent est si important. Il établit la jonction
fondamentale entre des mondes pour l'instant adossés mais qui
communiquent en des milliards de points. La frontière est mouvante et
vivante. C'est celle d'une génération en activité.
La capacité de stockage par des machines de documents non corruptibles
au cours du temps va permettre de faire passer sur des supports
facilement accessibles des pans entiers du meilleur de la tradition
philosophique de tous les temps. Nous ne sommes pas au début d'une
période d'obscurcissement mais bien au contraire, et ce malgré des
périls qu'il s'agira de combattre — comme l'irruption du
fondamentalisme religieux dans les pratiques actuelles qui doivent
aller vers le spirituel et la tolérance.
On accomplit actuellement une tache importante en numérisant l'ensemble
des fonds bibliothécaires. Celle-ci est un préalable comparable au
travail fait par les ordres religieux au moyen âge ou à la traduction
sous formes de livres par les imprimeurs au temps de Gutenberg. La
confrontation des idées ou des modes de vie peut accoucher de violence
comme on l'a vu en Afghanistan ou à New York, mais elle rendra la
diffusion du savoir beaucoup plus large, y compris dans les sociétés
développées. L'imprimerie a permis la diffusion à travers l'Europe de
toutes les idées du Quattrocento. Elle ne s'est pas faite
instantanément. Il a fallu une multiplication des centres de culture
pour que le phénomène se diffuse au-delà des frontières de l'Italie
d'alors.
Force est de constater que la présentation frontale de nombreux sujets
télévisés tels qu'ils sont juxtaposés brouille la lecture que l'on peut
en faire. Tout est souvent livré en bloc sans qu'une perspective ne
soit fournie. Cette avalanche factuelle est poussée chaque jour un peu
plus, et elle demande une compréhension qui devient plus délicate.
L'éducation et ses prolongements au cours de la vie professionnelle par
le biais de la formation peuvent permettre de mieux comprendre les
problématiques actuelles et de les résoudre afin de préparer les
reconfigurations multiples que demandent un nombre croissant de métiers.
D'autre part, la démocratisation de la culture, la nécessité de ne pas
affaiblir le niveau de formation général du plus grand nombre, mais au
contraire de favoriser l'évolution de celui ci, d'en faire une source
de mobilité, d'intégration et de prospérité, est une priorité. De
l'aide à la création dépend un grand nombre de propositions qui
autrement ne verraient pas le jour. Chacun doit trouver les moyens de
parfaire sa connaissance du milieu dans lequel il vit. L'audiovisuel a
transformé le rapport à l'information et à la connaissance. Les savoirs
ne s'acquièrent plus de la même manière et le processus de fixation des
informations n'est plus le même. L'écrit qui avait régressé est de
retour. La navigation au travers des banques de données et des
catalogues qui rendent les infonautes actifs réactualisent la
mémorisation, ce qui est de bon augure pour le futur.
Cette richesse d'ores et déjà présente dans de nombreux secteurs de la
société s'exprime à tous les niveaux de la vie artistique et ira en se
multipliant d'autant plus vite que pourrait être imaginé un réel droit
à l'image, prérogative individuelle qui permettrait de protéger chaque
citoyen et l'éclairage qui est fait de son œuvre. Cette protection
permettrait au plus grand nombre de bénéficier d'un rééquilibrage
salutaire qui instaurerait un genre d'égalité formelle de traitement
médiatique dans certaines situations propres à le remettre en cause.
Le capital culturel de chaque individu lui ouvre des perspectives dans
la société. Il lui assure une quasi-sécurité de l'emploi dans des
champs professionnels en expansion. Il solidifie ses attaches
linguistiques, lui permet d'évoluer à partir d'un territoire donné et
étant libre de décider de l'élasticité d'un lien auquel il souscrit
pour son intérêt propre et pour la société à laquelle il apporte sa
contribution. La liberté de la presse et d'expression sont à cet égard
deux piliers essentiels de son activité en aval comme en amont.
L'avènement du Web3D, imaginé sous le nom de TimeSpace, il y a quinze
ans, dans un livre appelé "Petite Mécanique du Genre Humain", permet —
lui aussi — d'imaginer une intensification des relations économiques
entre tous les acteurs de la création ou de la production. Les
diffuseurs y gagneront de nouveaux territoires, les producteurs et les
entreprises une activité redoublée et les créateurs une liberté inédite
qu'il leur faudra marier avec les contraintes de lecture ou de
réception de la part d'audiences culturellement multiples. Il leur
faudra éviter en même temps le piège de l'affadissement censés
convaincre des publics de différentes langues ou nationalités, afin de
préserver la qualité de ce qu'ils proposeront. J'ai moi-même pris une
place importante que je suis prêt à partager.
Concernant l'exercice des professionnels, le principe consistera à
faire cette fois preuve de mesure dans la constitution des business
plans pour ces start-up et dans la manière dont elles seront financées
par leurs business angels. Il s'agit que de bonnes règles de gestions
soient respectées dès le départ et que l'on engage ses dépenses en
tenant compte de ses entrées, afin de promouvoir une croissance qui
n'aboutira pas à une bulle spéculative. Il parait évident que cet
effort de moralisation éthique ne sera pas facile à intégrer, mais il
en va de la longévité des sociétés ainsi créées. Les professionnels des
métiers de culture auront d'ailleurs à défendre leurs intérêts encore
davantage. La sanctuarisation de la culture dans l'accord USA-UE est à
ce titre encourageant.
Quand nous aurons établi les critères et législations permettant de
libérer le secteur à l'articulation des nouvelles technologies et du
champs culturel, nous aurons alors enfin créé le quatrième secteur
économique dont ce pays a besoin.
Gilles Marchand
Paris, Juillet 2015
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