On peut d'ores et déjà imaginer ce que seront l'économie de demain une fois que la métamorphose mondiale aura eu lieu.
Les
grandes périodes de mutation sont des moments dangereux, où certaines
des valeurs phares qui structuraient les anciennes sociétés subissent
des modifications. Mais cela ne veut pas dire que cette nécessaire
reconfiguration se passe forcément mal ou aboutisse à des situations
dont nous ne pourrions nous satisfaire ou qui ne seraient pas
meilleures que celles d'aujourd'hui. Les bouleversements en cours sont
bel et bien profonds, mais les difficultés qu'ils induisent sont aussi
des chances de refondation et d'amélioration sur un plan collectif
large. Il faut qu'il se fasse de manière harmonieuse et à un rythme qui
permette à tout le monde de l'assimiler.
Etre résolument optimistes — sans être béats — s'avère nécessaire,
voire indispensable. Mais surtout savoir que la nouveauté actuelle,
pour agressive qu'elle soit parfois, est un immense progrès de la
capacité de l'humain à définir son environnement à venir. Nos capacités
d'intervention sur le réel se trouvent décuplées. Il s'agit à présent
de savoir comment les employer. Définir ce que peut être un schéma
moteur positif dans un tel contexte. Créer un code de bonne conduite
international, qui nous éloigne de la jungle et du chacun pour soi
myope. Le développement des marchés financiers est une nécessité mais
sous peine d'assécher leur substance, il leur faut actuellement
s'organiser pour devenir durables et plus adaptés aux nécessités à long
terme de l'économie à venir et des acteurs qui en assurent le
développement. L'interdépendance globale est une réalité chaque jour
plus claire et elle commande une nouvelle donne dans les relations
internationales.
Les différentiels d'évolution de certaines sociétés apparaissent
d'autant plus nettement que nous disposons aujourd'hui des outils
nécessaires à cette prise en compte. Ces écarts créent des dangers
disruptifs. Nous venons de vivre sur le plan économique une période qui
correspond à ce qu'étaient la pêche et la cueillette dans
l'ordonnancement des économies humaines. La liberté qui prévaut et qui
en soi est une bonne chose ne parvient pas à imaginer au plan
international des schémas directionnels plus durables qui mettraient
les économies à l'abri des dangers à long terme d'une telle pratique.
La spéculation et la manière dont on a fait fructifier les bassins de
richesse internationaux s'appuient manifestement et ce dans la grande
majorité des cas sur des techniques de création de richesse à court
terme sans planification globale de ce qui pourrait une fois les
limites de cette logique atteinte, permettre de créer les conditions
d'un renouvellement collectif de la richesse créée, une meilleure
division du travail, c'est à dire en envisageant des types de
positionnements plus équilibrés et tenant compte des contraintes
réelles de chacun des acteurs de l'économie et ce jusqu'au niveau
individuel.
Il s'agit aujourd'hui d'inventer une “agriculture“ mondiale de la
création de richesse. Apprendre à semer et à faire fructifier pour
pouvoir nourrir sans rupture et replanter pour les récoltes suivantes
et ce dans les domaines symboliques de l'information dont l'argent est
une des composantes qui s'enrichit actuellement de nouvelles fonctions.
Les grands ensembles mondiaux en harmonie avec ce qui est d'ordre plus
large doivent impérativement imaginer des techniques nouvelles pour
assurer la subsistance et la satiété de tous les acteurs économiques et
ce, quels que soient leurs secteurs.
Il apparaît aujourd'hui qu'un quatrième secteur économique voit le jour
qui échappe à tous les autres et corrobore en même temps leur activité.
Celui de la création de richesse virtuelle. Ce ne sont plus des
services au sens traditionnel du terme mais une nouvelle forme
d'activité reposant sur des pratiques symboliques. Ce quatrième secteur
doit harmoniser les relations qu'il entretient avec les trois autres.
Bref, s'insérer harmonieusement dans la vie économique. Ses valeurs
doivent être relatives à l'ensemble existant. Ceci se fera et permettra
des accroissements de richesse importants en plus de générer une
stabilité nouvelle de l'économie mondiale.
Il faut donc une “prise en comptes“ permettant des échanges
intermédiaires à tous les niveaux afin d'insérer, de greffer presque,
cette économie nouvelle, qui en réalité n'est qu'un secteur économique,
sur l'existant. Il faut pour cela relativiser ses valeurs dans un
système d'évaluation valable au plan mondial. L'économie telle qu'elle
fonctionnait jusqu'à présent et surtout sur le plan monétaire était
tributaire des contraintes technologiques, voire politiques et
administrative de son temps. Les frontières ne jouent plus le même rôle
aujourd'hui. Il faut donc adapter les variables de l'échange à cette
nouvelle réalité. L'échange des denrées se maintiendra selon les termes
existants mais il y aura désormais des grilles de correspondance
permettant l'harmonisation que nous recherchons. La multiplication
actuelle de zones de libre-échanges devrait à terme favoriser le
commerce mondial, gage de prospérité créant elle-même les conditions
d'une stabilité accrue.
Il faut donc édicter, réaliser d'une manière qui ne pénalise personne,
un code de bonne conduite qui intègre, sans lui permettre de devenir
destructrice, la puissance des marchés, et les rendent moins prédateurs
en préconisant, ou en facilitant, certaines orientations ou actions à
mener, et qui, en contre-partie, assure leur pérennité. L'avion — que
l'on croit à tord sans pilote — qu'est l'économie mondiale y trouverait
un moyen de se diriger et d'atterrir de temps en temps pour renouveler
ses réserves plutôt que de courir indéfiniment jusqu'à se crasher par
manque de prévoyance. Aujourd'hui, cette nécessaire amélioration est
imaginable d'une manière douce et incorporant progressivement certains
types d'activités financières. Elle ne peut se faire qu'avec l'accord
de tous et doit être un plus pour tous.
Plus solidement constituée l'économie mondiale y gagnerait en réalisme
et maîtriserait mieux les effets de l'information financière, souvent
contradictoire aujourd'hui. La croissance serait ainsi consolidée et le
marasme économique de nations entières comme c'était le cas en
Argentine ou en Grèce, et, dans une moindre mesure, en Espagne, au
Portugal, pourrait ainsi être évité. Nous aurions entre nos mains des
outils d'analyse et de réforme nouveaux, des variables économiques plus
réactives et efficaces, des hommes plus sûrs d'eux mêmes et de leur
capacité de projection dans l'avenir.
Toute l'économie et la société serait, ainsi, revivifiée parce qu'elle
aurait alors dépassé et résolu les huit crises majeures auxquelles elle
était confrontée. Dépassant de ces écueils dangereux, elle pourrait
alors prendre une option à long terme sur l'avenir, et négocier ses
transformations ultérieures avec la confiance et la sérénité
nécessaire. S'éloigner définitivement de la crise nous fera du bien. Un
bain de jouvence civilisationnel rénovant un tissu social qui sera
grandement bénéficiaire d'un tel saut conceptuel.
Gilles Marchand
Paris, Juillet 2015
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