Il
nous faut inventer d'urgence un modèle qui permette répondre aux enjeux
de la mondialisation. Les années qui viennent auront une importance
déterminante.
Nous
avions clôturé avec les événements du 11 septembre 2001, une période
extrêmement longue de notre histoire. Celle de l'après guerre, celle de
la guerre froide et celle de la fin de l'histoire. L'histoire, qu'on la
nie en lui tournant le dos ou en la plaçant dans une mise en boucle de
la vie culturelle qu'on appelle ou non le post-modernisme, finit
toujours par déborder des cadres dans lesquels on cherche à
l'emprisonner. Il est bien évidemment tentant d'en faire une substance
malléable dans laquelle il ne se passe rien toujours un peu plus, un
jour la bulle explose, la négation des progressions aboutit, qu'on le
veuille ou non, à de nouvelles phases qu'il nous appartient de
comprendre ou non, de contrôler ou pas. Il faut savoir s'arrêter.
La situation en Ukraine aujourd'hui et le danger pour les russes de
franchir les lignes rouges est incalculable. Elle inaugurerait une zone
d'incertitude politique et militaire critique et risquerait de plonger
le monde dans l'inconnu. Si des crimes en résultait, l'Histoire ne
manquerait pas d'en imputer le responsabilité à l'auteur d'une telle
invasion, à savoir Poutine qui rejoindrait instantanément Hitler dans
la psyché mondiale…
Les événements de New York avaient été un électrochoc déterminant. Un
événement d'une telle ampleur qu'il impose une prise de conscience
planétaire et commande des attitudes moins égoïstes et moins cyniques.
La dictature de l'argent et du sexe touchent leurs limites. Nous vivons
une époque de la surexcitation consumériste et du désir poussé dans ses
retranchements qui commandent l'invention d'une vie amoureuse nouvelle,
qui vienne du cœur et non de l'esprit, et d'une vie de consommateurs
aux goûts plus surs et aux aspirations nourries de connaissances
originales qui permettent d'instaurer des modes nouveaux de respect de
l'environnement et du développement durable des régions qui produisent
ces biens. Une nouvelle prospérité économique en découlera. Un souci
plus altruiste, une conscience plus poussée du champ dans lequel
s'exerce notre maîtrise, permet d'imaginer une psychologie des autres,
des producteurs comme des consommateurs, et renforcera la confiance et
le discernement de ceux qui rendent possibles ces échanges. Une
conscience assumée de l'échange aboutit à une psychologie nouvelle face
à l'abondance. Une connaissance plus poussée du monde libère. Les
citoyens les mieux informés sont ceux qui digèrent le plus facilement
les soubresauts symboliques de l'évolution actuelle, et ce sont aussi
ceux qui souffrent le moins des tentatives visant à restreindre
l'exercice qu'ils font de leur liberté, notamment religieuse et
politique.
Nous avons vécu ces mêmes années avec une mauvaise conscience latente
installée en nous par la culture dominante comme forme de rétribution
et de punition symbolique qui nous maintenait, inconsciemment souvent,
dans l'état de minorité où l'on maintient les enfants. Ce pare-feu
idéologique qui s'est imposé à nos aînés, et vis-à-vis duquel,
d'ailleurs, ni eux, ni leurs parents, n'étaient toujours exempt d'une
certaine responsabilité, il nous faut, certes, le prendre en compte,
mais à la seule condition de le questionner, c'est à dire de lui faire
subir l'examen clair de la vérité historique où le temps se révèle être
un allié précieux dont l'objectivité implacable balaye souvent les
tentatives de manipulation qui président en général pendant les
périodes de conflit et ultérieurement…
On ne nous laissait envisager notre réflexion sur nous-mêmes qu'en
établissant les preuves plus ou moins avérées d'une culpabilité,
souvent handicapante, qui provoquait un amoindrissement souvent vécu
comme une rétrogradation en seconde division. Nous étions tenus de ne
faire que recevoir ce qui s'imposait à nous, accepter sans le passage
requis au filtre préalable de notre esprit critique, des dogmes qui
nous éloignaient de nos racines. Ce faisant on nous privait des chances
de concevoir les contributions fondamentales que nous aurions pu
apporter au débat mondial.
Ce fameux débat n'existait en fait que sous la forme d'un long
monologue où nous étions contraints d'engrammer ce qui nous arrivait
sans capacité d'initiative retour. On ne pouvait envisager la vie des
idées, y compris au niveau national, que comme l'illustration d'agendas
définis de l'extérieur. Nous nous réveillons actuellement de ce long
sommeil avec la conscience encore floue pour certains, très claire pour
d'autres, d'avoir été hypnotisés, distraits des véritables enjeux que
nous aurions du sinon définir, au moins être amenés à partager la
définition.
Nos élites, une part des élites qui conduisaient notre réflexion et le
regard que nous pouvions porter sur nous-mêmes et sur les autres, nous
ont maintenus dans des débats strictement nationaux et nous ont
finalement empêchés d'avoir accès au reste des réflexions qui auraient
pu naître en Europe et dans le monde. La focalisation unidirectionnelle
qui se faisait autour d'une culture dominante, inappropriée et souvent
médiocre, était une ruine de l'âme au regard de siècles de tradition
européenne, au regard de l'excellence des lumières ou de la renaissance.
Au nom de cette mauvaise conscience, farouchement entretenue par
certains, nous nous sommes mis à délaisser notre propre culture, à la
vider de sa vie, de sa vigueur, de ses concepts, et de son sens pour
lui substituer le spectacle passif de courses de bagnoles ou de
concours de flingage dans le décor en carton pâte général des héros
moraux, certes positifs, mais il faut bien le dire — alors n'hésitons
pas à le dire — assez peu épais sur le plan psychologique des cow-boys
de Westerns.
Or les années qui se sont écoulées depuis l'événement incommensurable
qu'a été la chute des deux tours de New York ont vu un bouleversement
symbolique, presque un retournement des valeurs et résolutions que cet
événement qui avaient directement produit. Il apparaît aujourd'hui que
les choix stratégiques issus des réflexions qui se sont alors imposées,
étaient en grande partie infondés et susceptibles de provoquer des
effets pervers dont la nocivité ne pourra être purgée qu'après un temps
très long. La guerre s'est étendue, le terrorisme n'a jamais été aussi
important, le fondamentalisme a gagné toutes les élections qui ont eu
lieu dans le monde arabe, même chez ceux qui pouvaient raisonnablement
être considérés comme modérés, y compris dans les foyers
traditionnellement progressistes, comme le sont en général les
universités. Il bénéficie, qui plus est, d'une sorte, là aussi, de
retournement idéologique puisque les événements d'Abou Grahib
accréditent la thèse que les démocraties utilisent des moyens
attentatoires à la dignité humaine, et cherchent à passer en regard,
pour ce qu'elle ne sont pas, c'est à dire des refuges contre la
déshumanisation du monde. Pourtant le frères musulmans et leurs
comparses des différents partis islamiques parvenus au sommet du
pouvoir refluent actuellement. Peut-être est-ce que la mise en avant de
valeur antidémocratiques, un système de valeur exagérément attentatoire
aux libertés publiques ne font-ils pas bon ménage avec la transparence
des moyens d'information et de diffusion du savoir actuels. Il est
possible que seules les sociétés véritablement démocratiques peuvent
répondre durablement face à une telle puissance informationnelle.
Internet a créé les conditions d'une forme de normalisation politique
par le haut qui rogne insensiblement toute tentative réelle ou supposée
de contrôle abusif, alors même que c'est un outil policier de premier
ordre. Face à la masse, les pouvoirs centralisés ne sont pas en
mesure d'imposer des logiques totalitaires sur des périodes longues de
leur existence. Ils sont condamnés à faire positivement évoluer leurs
modèle ou ils subiront un à un et la critique et la révolte de leurs
populations, comme on le voit en Turquie ou en Iran. Cette donnée
nouvelle, à l'origine du pseudo-choc de civilisations dans un premier
temps, comme pouvaient l'avoir été en leur temps, et face à
l'imprimerie de Gutenberg, les guerres de religion est en train de
produire quasiment le même type d'effet. A savoir une sortie, certes
très progressive mais avérée, de l'obscurantisme religieux et la marche
vers une société renaissante et à terme un nouvel âge des lumières,
comme cela a été le cas en France au XVIème siècle. Elle donc est aussi
à la source des printemps arabes, se trouve être la conséquence directe
d'une stratégie du contournement, caractéristique fondamentale
d'internet. L'information impossible à étouffer agit comme un principe
révélateur qui exclut celui qui cherche à exclure, et inclut celui qui
cherche à inclure. Elle fait apparaître au grand jour la nature
illégitime des dictatures et récompense la générosité, l'ouverture, la
solidarité, l'attention au autres et le travail destiné à faire
progresser l'humanité.
En ce sens, elle est du coté des valeurs social-démocrates, et sera
nécessairement amenée à leur faire acquérir une dimension nouvelle. Or,
paradoxalement, le modèle social qui s'impose insensiblement partout,
et parfois cruellement, à la grande majorité des salariés du
monde, est un modèle néolibéral, néocapitaliste — pour utiliser un
vocabulaire plus précis — assez peu respectueux de ce que les conquêtes
du droit social en général, et du droit du travail en particulier,
avaient pu produire dans le but de garantir cette même dignité humaine.
De plus en plus de nos concitoyens subissent l'authentique violence de
ce modèle, fait de totale "flexibilité" du travail et d'abandon
progressif des conquêtes enregistrées par les pays dits développés. Il
prétend imposer l'échelle planétaire, qui est la seule grandeur qu'il
fait mine de reconnaître, travaillant à éliminer ou à restreindre la
capacité d'intervention et de décision de tous les autres cadres, afin
de viser le plus petit dénominateur social mondial.
Il a donc recours à un mécanisme d'une simplicité déconcertante dont le
négociateur le plus incompétent est capable : menacer de faire
jouer la concurrence pour faire baisser les prix, et ce à l'échelle
globale. C'est bien là un des éléments constitutifs de la
mondialisation. Et comme il y a toujours pire, ou moins disant,
humainement parlant, on tend naturellement vers le bas, ce que tous les
employés du monde occidental constatent, voyant leurs salaires baisser,
leurs conditions de travail se dégrader, quand on ne les licencie pas
purement et simplement, leurs usines étant délocalisées, en réalité
dévitalisées. Un mécanisme est à l'œuvre qui expurge la substantifique
moelle des corps sains où elle se trouve, pour la livrer aux forces et
à la logique du marché, elle même devenue ponctuellement folle parce
que, sous-tendue par du trading à haute fréquence, elle connaît un
emballement sans précédent. En d'autres termes, ce sont des machines
pilotant des opérations que les hommes sont de moins en moins en mesure
de contrôler, voire d'orienter. Les ouvriers comprennent
désormais cette logique qui leur apparaît clairement, là où ils se
trouvent, mais ils disposent rarement des tenants et des aboutissants
globaux. Ils constatent, dans la seconde qui suit, leur
impuissance supposée face à ce mouvement "sans queue ni tête" et donc,
en principe, insaisissable... Ils sont pourtant fondés à l'infléchir à
terme, car celle-ci se révèle par endroit contraires aux intérêts
humains fondamentaux. Ils seront nécessairement en mesure de le faire
tôt ou tard car c'est un ardent devoir de corriger une machine qui
produit des effets dont certains peuvent s'avérer contre-productifs.
En effet, l'application la recette ultra-libérale s'avère être un
levier puissant : s'il existe moins cher ailleurs, alors on menacera
d'aller vers cet ailleurs dans le but de payer moins cher là où on se
trouve. D'où le côté extrêmement dangereux de l'adage idéologique :
Think Global, Act Local, qui traduit ce parti-pris. C'est à dire cette
réduction du point de fuite idéal qui se fixe et vers lequel il prétend
tendre, à savoir un niveau de rétribution du travail quasi-dérisoire,
voire, dans l'idéal entrepreneurial, un voisin de zéro. Cette logique à
terme consiste à rétablir une forme de servage moderne, faisant éclater
les classes moyennes, imposant une société duale séparée entre ceux
d'en haut et ceux d'en bas, et même, des fossiles mentaux traînant
encore dans la tête de beaucoup de ceux qui se sont fixé ces objectifs,
d'esclavage pur et simple... Si les niveaux des rémunérations
augmentent dans les pays émergents, c'est parce qu'il est de l'intérêt
de l'économie que les gens aient des moyens de paiement accrus, afin
d'absorber la production locale.
L'Europe ne peut pas se reconnaître dans ces valeurs, qui ne sont pas
les siennes et menacent le modèle existant qu'elle cherche à préserver.
Le plus grave est que si ces préceptes étaient indéfiniment prolongés,
ils risqueraient, de remettre en cause son modèle de cohésion sociale.
C'est inacceptable et c'est pourtant bel et bien ce qui s'est produit
avec la crise de 2008. Crise énergétique qui s'est très vite muée en
crise bancaire et financière, provoquant la mise en place d'un plus
grand mécanisme de sauvetage bancaire de l'histoire par le biais des
finances publiques et la création d'une dette géante. Le pire est que
cette mesure vue comme indispensable à l'époque a grevé le budgets
nationaux, alors amputés d'une part essentielle, qui a provoqué une
cascade de conséquences négatives, notamment en matière sociale et de
niveau de vie.
A l'heure où repartent pour de bon les économies mondiales, nous sommes
en train de réaliser que cette conscience européenne et la pertinence
des réflexions économiques qui ont vu le jour sur ce continent, ont
manqué au monde, et qu'elles lui demandent aujourd'hui davantage
encore, aujourd'hui. La pertinence des choix économiques à faire, à
l'heure où l'accélération des processus de production ne font
qu'accentuer les tendances quand elles s'expriment, est patente : elle
demande de notre part de nouvelles conceptions, de nouvelles visions et
une compréhension opérante de la réalité économique de notre époque.
Nous avons vécu une phase particulièrement violente de notre histoire,
une période également faite de réussites mais aussi et trop souvent, de
souffrances internationales et d'instabilité.
L'Europe présente d'ores et déjà à cet égard, un visage neuf. Elle
repart. S'étant établie par la négociation et la diplomatie, par la
mise en commun des espaces d'échange économiques, c'est à dire qu'elle
a su faire la part à un certain pragmatisme dont elle pourrait
actuellement tirer les plus grands bénéfices. Sa vision est fondée sur
la richesse et l'originalité du modèle économique qu'elle a su mettre
en place lors des trente glorieuses. Celui-ci lui a permis de gagner
d'autres combats, parfois moins spectaculaires, tel que l'évolution
générale de son niveau de scolarité, celui de la qualité de ses
formations professionnelles, ce qui a eu des conséquences vertueuses
directes sur les niveaux de productivité de ses masses salariales, donc
sur la croissance au fil des années. Pourtant beaucoup de ses schémas
ne sont plus tout aussi opérants qu'autrefois, et il faut faire
l'effort de mettre en place des structures nouvelles qui puissent leur
apporter une plus grande efficacité.
Il est actuellement impossible de laisser aujourd'hui s'éroder cette
exigence de qualité, de laisser ce haut niveau de développement
professionnel insuffisamment employé en raison des trop larges
proportions de la population salariée qui se trouvent souvent au
chômage, alors qu'elle pourraient être réorientées vers des professions
plus actuelles, faisant une plus grande part aux nouvelles
technologies, qui offrirait à ces salariés des profils rajeunis et
permettrait d'impliquer d'immenses bassins de populations dans
l'économie réelle, qui sortiraient ainsi d'une l'aide sociale qui ne
peut leur assurer des niveaux de vie suffisamment confortables. Il ne
suffit pas de savoir se servir d'internet. Il faut développer des
savoirs originaux qui nous permettent des mises en place nouvelles dans
l'ordonnancement productif européen. Chaque fois, un mode de réflexion
plus créatif permet de juguler la difficulté qui s'était présentée.
Nous avons besoin de reconquérir la maîtrise de notre vie. Faire en
sorte d'atteindre de meilleurs niveaux de pouvoir d'achat afin de
rebâtir nos vies sous l'égide restaurée du choix et de la liberté.
Ceci contribuerait à instaurer un double cercle vertueux : augmenter la
part de l'économie réelle tout en contribuant dans le même temps à
réduire celle des prestations sociales, ce qui aurait pour conséquence
supplémentaire de permettre le dégagement de marges de manœuvre. On
créerait ainsi dans les finances publiques des capacités
d'investissement qui permettraient de renforcer la solidité de la
croissance qui se mettrait en place.
Les mécanismes mis en place par la BCE ont mis un terme à quatre années
de crise de l'euro. C'est désormais un fait acquis et réaffirmé :
l'euro est là pour durer. Ses mécanismes internes devront probablement
être réajustés, au niveau de l'Eurozone, en vue de créer à terme
l'organisme ) même de jouer le rôle d'autorité de régulation et de
projection économique. Ceci afin de mieux respecter la part relative
des économies nationales, mais ce qui prime en tout état de cause,
c'est que la cohésion et la solidarité doivent être la règle. Une
mutualisation des dettes parait être à terme être nécessaire avec la
création d'un véritable budget européen, sous tendu, entre autres, par
une TVA de deux points venant s'inscrire en péréquation des TVA
nationales. Les enrobonds pourront alors voir le jour, leur statut et
modalités étant alors définis pour apporter les éléments de richesse
dont a besoin le continent. On le voit : nous disposons de solutions à
même de juguler les difficultés que nous avons connues et de nous
engager résolument sur la voie de la prospérité et de la stabilité.
Il est aujourd'hui temps que naisse l'alternative dont le monde a
besoin, un autre type de progrès économique, politique, social,
éthique, artistique, architectural, technique, médical, humain, que
seule l'Europe est aujourd'hui en mesure d'inventer pour que la
planète, Etats-Unis compris, puisse ensuite le reprendre à son compte
et en bénéficier... Ce sera un effort de chaque instant : chaque
énergie sera sollicitée, chaque effort devra être récompensé.
La situation faussement statique de la guerre froide est dépassée.
Après deux conflits majeurs, la chute du mur, et l'éclatement de
l'URSS, la dynamique de paix qu'ont permis, entre temps, d'assurer
seuls les américains n'est plus suffisamment stable. La puissance
militaire est une chimère si elle n'est pas sous-tendues par une
véritable puissance économique. Il s'agit que soient respectés les
équilibres qui se sont établis, dans la compréhension implicite des
besoins de chacun. Pourtant la tension politique en Ukraine a conduit à
réaffirmer aux yeux des européens médusés, presque blasés face à
l'utilisation qu'ils font de leurs pouvoir et de leurs droits
démocratiques, la valeur et l'importance de leurs standards et modèle.
On voit que Le Nouvel Ordre du monde a touché à sa fin et un Nouvel
Equilibre — a New Balance — est s'instaurée, plus stable, plus
réaliste, et plus durable. On passe de l'unilatéralisme d'une position
dominante, au multilatéralisme de multiples pôles solidaires entre eux.
L'interdépendance est la règle. Elle doit permettre à une conscience
mondiale d'émerger plus clairement encore qu'aujourd'hui. L'ensemble
européen développe avec ses partenariats occidentaux un arc
américano-européen et entre ainsi dans une nouvelle phase. Celle du
libre-échange transatlantique. Ses positionnements conjoints en
articulation avec l'Asie et la Chine, et l'Afrique, augurent d'un
recentrage actuel, autrefois pressenti dans le pacifique et qui va en
réalité s'établir sur le versant européen du monde, l'Union européenne
redevenant dans ce contexte une puissance de rééquilibrage et le
puissant moteur économique qu'elle n'a en fait jamais cessé d'être.
La pensée unique qui domine encore aujourd'hui, comme exténuée d'elle
même, recelait un intrinsèque danger qui, dieu merci, a été évité grâce
à une certaine coordination internationale, annonciatrice de la
période, beaucoup plus pérenne, qui s'ouvre aujourd'hui. Le moment est
venu d'imaginer ce nouvel équilibre, ces nouvelles directions à
l'échelle d'un continent tourné vers l'ensemble du globe pour en
renforcer la cohésion et la prospérité collective. Débarrassée de ses
complexes, l'Europe peut jouer ce rôle de rééquilibrage et
d'assouplissement de la violence d'une logique exclusivement
capitalistique. Elle est la seule région susceptible d'amener une
réelle alternative et la création du modèle que ce livre cherche à
définir.
Les échanges européens, les allers et venues de citoyens dans l'union,
la découverte qu'ils font de cultures, de langues, de principes
d'organisation ou de cuisines qui ne sont plus tout à fait étrangers,
sachant qu'ils font partie d'un ensemble dont la cohésion apparaît
chaque jour un peu plus, marquent les pas décisifs faits dans cette
direction. Nos destins individuels, notre histoire commune sont
liés et nos valeurs ne connaissent aujourd'hui pas de frontières, même
si celles de l'union sont claires. La mise en œuvre de ces politiques,
le développement de ce modèle, en partenariat avec les autres régions
du globe, permettra alors de donner le jour à une société moins
oublieuse de principes philosophiques que l'on nous enjoignait
d'abandonner et plus riche de possibilités d'évolution sociale dont
nous bénéficierons tous à terme.
L'Europe, bien vivante, reprend son envol. Comme à chaque fois, elle a
su régler malgré le temps qu'il lui fallu y consacrer, au cœur de
difficultés sans nom, pour pousser en avant les problématiques qui se
posaient. Les problématiques soulevés par la cour constitutionnelle de
Karlsruhe à propos du rôle de la BCE, ont finalement été réorientées
vers la cour européenne de justice. Cette semaine, trois bonnes
nouvelles européennes d'un coup. La Grèce est parvenue à un accord avec
ses créanciers de la troïka (Commission européenne, Banque centrale
européenne et Fonds monétaire international). La Cour constitutionnelle
allemande de Karlsruhe finalement a donné son feu vert à la création du
mécanisme européen de sauvetage des pays de la zone euro en crise
financière. Enfin, les Etats de l'Union et le Parlement se sont
entendus sur les modalités de l'union bancaire, un nouvel organisme qui
doit prévenir les crises bancaires et éviter qu'elles ne soient payées
par les contribuables… Si l'Europe respire, elle vogue vers de nouveaux
défis à relever avec la perspective des élections européennes. Elle a
pourtant un certain nombre d'arguments à faire désormais valoir.
La longue marche du peuple ukrainien vers la liberté, avec le drame de
la place de Maidan, démontre s'il en était nécessaire, la pertinence et
la valeur des valeurs que porte et met en exergue l'Europe. La paix
n'est pas une évidence : elle est une conquête permanente, constamment
renouvelée. Et les modèles développés par le parlement européen
permettent de garantir ces notions politiques et juridiques. Il faut
que nous européens soyons les meilleurs ambassadeurs des valeurs de
notre continent. Que nous soyons enthousiastes quant à la construction
européenne, volontaires et capables de rectifier les erreurs faites. On
constate, en parallèle de cela, que, après l'Irlande, les pays les plus
en crise sortent maintenant de la récession. La Grèce retrouve une
croissance de son PIB de 0,6% cette année, le Portugal de 0,8%,
l'Italie de 0,6%, l'Espagne de 1%. Seule Chypre devra attendre 2015
pour sortir du rouge. Au total, l'eurozone atteindra une croissance de
1,2%, qui reste fragile, souligne la Commission, mais qui est sur le
chemin de la consolidation.
Les incertitudes s'éloignent.
Les Européens se parlent et concluent des accords. L'euro n'est pas
mort. L'Europe est toujours là. Elle reste un idéal de démocratie pour
d'autres peuples. Aucun pays ne désire la quitter. Elle se construit
difficilement, certes, elle a 12% de chômeurs, bien sûr, son dynamisme
est insuffisant, bien entendu, mais elle résout ses problèmes. Son
système si imparfait, si critiquable, lui permet quand même de trouver
les moyens de sortir des ornières.
L'Europe a appris
Des millions de chômeurs paient l'erreur historique de l'austérité et
des coupes budgétaires, mais cela ne se produirait plus comme ça,
aujourd'hui. L'Europe a appris que la politique de rigueur n'est bonne
que couplée à une politique de croissance, tous les efforts portent à
présent sur celle-ci.
L'Allemagne y est prête. C'est la leçon du jugement de Karlsruhe. Même
au coeur du coeur de l'Ordungspolitik, le message est passé. Les Grecs
n'ont pas quitté l'euro. Les Allemands non plus. Vertu de l'austérité:
la Grèce, comme l'Irlande, l'Espagne, le Portugal ont été contraints de
changer de modèle de croissance pour ne plus dépendre, comme hier, que
des facilités de l'euro. Cela a généré beaucoup trop de douleurs
mais c'est un fait: ces pays sont sur un chemin qui les conduira à
trouver une place à la fois en Europe et dans la mondialisation.
L'Italie et à la France ont encore à construire la leur…
Est-ce que se dessine une nouvelle répartition des pouvoirs entre les
trois autorités : le Conseil, la Commission et le Parlement ? Est-ce
judicieux ? En tout cas, cela démontre aux Européens tentés par
l'abstention l'importance du vote à venir. L'Europe sort bien vivante
de sa première crise existentielle. Elle repart…
La France a intérêt à aller dans le sens de cette dimension européenne
et de jouer à fond les cartes dont elle dispose, qui sont nombreuses et
fortes. Elle doit opérer une mutation politique qui lui permette de
mieux plaider sa cause à Bruxelles et de mieux peser sur les décisions
qui sont prises dans ce cadre. Elle doit être un support et un
secours pour l'Europe, plus que d'être perçue comme la soit disant
mauvaise élève de la classe, ce qui est loin d'être le cas. Beaucoup
des députés français à Strasbourg sont malgré tout quasi inconnus du
public. La France disparaît pour l'instant des commissions et
vice-présidences importantes. Elle devrait développer des solidarités
européennes majeures.
Elle doit aussi revoir sa politique communicationelle et médiatique à
l'échelle continentale et mondiale qui est actuellement encore trop
souvent indigente. On peut dire que la France actuellement manque à
l'Europe… Or si la capacité à décider est fondamentale au cœur du
pouvoir politique, celle à communiquer est au cœur de l'adhésion des
citoyens en démocratie. Elle a donc une résonance particulière vis à
vis de la construction européenne. La France parait donc doublement
déficiente à ce sujet, mais la bonne nouvelle est qu'elle a deux
volants de développement importants et relativement balisés et qu'il
est presque facile de corriger. C'est pourtant bien la France qui est à
l'origine première de la résolution de la crise de l'euro, grâce au
travail remarquable de ses équipes qui ont réussi à infléchir
l'intangibilité des principes sur lesquels reposaient les statuts de la
BCE. C'est une bonne nouvelle pour l'Europe et le monde.
La France doit pleinement inspirer l'Europe comme elle l'a fait à sa
naissance et lors de ses processus d'élargissement. Lui donner une
dimension autre, comme projet global, aux service des dynamiques
internationales, et en tant qu'ensemble garantissant l'inviolabilité
des principes sur lesquels reposent ses droits fondamentaux et
permettant de faire évoluer vers le haut tous les standards mondiaux en
la matière. Dans dix ans, le continent devra être mieux intégré sur le
plan politique, les nationalismes agissant comme des principes
centrifuges qui remettent en jeu sa cohésion. Un groupe des cinq ou
six, voire sept, plus grands pays européens doit se montrer soudé pour
jouer un rôle moteur comme c'était le cas avec le couple
franco-allemand. La France jouera un rôle décisif dans ce contexte.
L'arc balkanique devra être réunifié sous la bannière européenne.
L'Europe devra être plus forte économiquement, culturellement et
socialement avec la concrétisation de grands projets innovants et de
secteurs économiques nouveaux à part entière comme celui des biens
immatériels et du numérique. Elle redeviendra un terrain propice à la
création de start-ups et entreprises. Un endroit où l'enrichissement
personnel redeviendra aisé. Il s'agit de créer une dynamique résolument
moderne qui tienne compte des nouvelles technologies énergétiques et
environnementales.
L'Europe deviendra alors l'exemple planétaire avec lequel auront
plaisir et intérêt à coopérer toutes les institutions et gouvernements,
son degré de ralliement potentiel étant très élevé. Un continent plus
riche dans un monde plus riche. Une social-démocratie réinventée. Un
ensemble à l'abri de la loi. Une dynamique propre au service de la
prospérité et de la stabilité du monde. Créant à la fois du temps et de
l'espace pour les peuples de la planète…
Pourtant il est clair que l'euro, malheureusement grevé par les défauts
congénitaux à la base de sa création incomplète au départ, a créé des
conditions de vie plus dures. Il apparait que beaucoup des prix ont été
traduits en valeur absolue de francs en euros, alimentant une vaste
opération de hausse des coûts de la vie qui appauvrit drastiquement de
vastes proportions de la population française, notamment. Il aurait
fallu une mesure parallèle de blocage des prix lors de son
introduction. Mais, aujourd'hui, le pragmatisme voudrait que l'on
facilite le quotidien des individus, des couples et des foyers en
prenant des mesures d'incitation à l'accès au crédit. L'Europe souffre
actuellement d'une potion amère d'austérité qui guérit le malade tout
en lui otant son souffle vital. De
grands prix Nobel d'économie répètent inlassablement que les politiques
actuelles font inutilement souffrir un corps social qui répond par un
rejet des politiciens européens, en se jettant dans les bras de gens
qui cherchent à les tromper, mais qui bénéficient actuellement d'une
forme de complicité involontaire de leur part. Il est urgent que
revienne une forme de prospérité plus grande et pour cela il faut
penser Europe des peuples... Le Nein qu'opposent les allemands à toute
forme d'inflation en zone euro est tout aussi dangereux que les racines
qui ont conduit au deuxième conflit mondial, notamment en Europe. Le
continent doit se méfier de ses vieux démons... Ne pas aimenter un
ressentiment mortifère. Soigner les interventions à effectuer afin
d'apporter les réponses qui sont attendues. Le quantitative easing est
une forme de pragmatisme, dans la mesure où il revient à faire tourner
la planche à billets, mais ses effets doivent directement bénéficier
aux populations européennes, et pas seulement à des banques qui
détournent une part de cette manne, pour la mettre au service d'une
politique d'intervention sur les marchés qui devient une fuite en avant
dangereuse, d'autant que les sommes engagées risquent de ne jamais
bénéficier à l'économie réelle. Le trading à haute fréquence est un non
sens à moyen terme. Il crée les conditions d'un débord périodique. La
finance ne semble pas avoir appris de ses erreurs et reproduit des
schémas qui ont conduit à la crise précedente. Il est urgentissime de
réalimenter le corps social. Il est important de réaffecter les fonds
qui sont normalement destinés aux nations. Redevenir raisonnables.
Rendre à César ce qui est à César. A savoir la souveraineté budgétaire
au plan individuel. Une fois intégré cet élément fondamental, les choix
de vie pourront à nouveau se faire normalement et la richesse des
nations suffisamment s'accroitre pour permettre, dans le cadre d'une
philosophie de création des richesses verte, une véritable reprise
économique, durable et juste.
Gilles Marchand Paris, Juillet 2015
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