Le Renouveau européen
Par Gilles Marchand

Il nous faut inventer d'urgence un modèle qui permette répondre aux enjeux de la mondialisation. Les années qui viennent auront une importance déterminante.

Nous avions clôturé avec les événements du 11 septembre 2001, une période extrêmement longue de notre histoire. Celle de l'après guerre, celle de la guerre froide et celle de la fin de l'histoire. L'histoire, qu'on la nie en lui tournant le dos ou en la plaçant dans une mise en boucle de la vie culturelle qu'on appelle ou non le post-modernisme, finit toujours par déborder des cadres dans lesquels on cherche à l'emprisonner. Il est bien évidemment tentant d'en faire une substance malléable dans laquelle il ne se passe rien toujours un peu plus, un jour la bulle explose, la négation des progressions aboutit, qu'on le veuille ou non, à de nouvelles phases qu'il nous appartient de comprendre ou non, de contrôler ou pas. Il faut savoir s'arrêter.

La situation en Ukraine aujourd'hui et le danger pour les russes de franchir les lignes rouges est incalculable. Elle inaugurerait une zone d'incertitude politique et militaire critique et risquerait de plonger le monde dans l'inconnu. Si des crimes en résultait, l'Histoire ne manquerait pas d'en imputer le responsabilité à l'auteur d'une telle invasion, à savoir Poutine qui rejoindrait instantanément Hitler dans la psyché mondiale…

Les événements de New York avaient été un électrochoc déterminant. Un événement d'une telle ampleur qu'il impose une prise de conscience planétaire et commande des attitudes moins égoïstes et moins cyniques. La dictature de l'argent et du sexe touchent leurs limites. Nous vivons une époque de la surexcitation consumériste et du désir poussé dans ses retranchements qui commandent l'invention d'une vie amoureuse nouvelle, qui vienne du cœur et non de l'esprit, et d'une vie de consommateurs aux goûts plus surs et aux aspirations nourries de connaissances originales qui permettent d'instaurer des modes nouveaux de respect de l'environnement et du développement durable des régions qui produisent ces biens. Une nouvelle prospérité économique en découlera. Un souci plus altruiste, une conscience plus poussée du champ dans lequel s'exerce notre maîtrise, permet d'imaginer une psychologie des autres, des producteurs comme des consommateurs, et renforcera la confiance et le discernement de ceux qui rendent possibles ces échanges. Une conscience assumée de l'échange aboutit à une psychologie nouvelle face à l'abondance. Une connaissance plus poussée du monde libère. Les citoyens les mieux informés sont ceux qui digèrent le plus facilement les soubresauts symboliques de l'évolution actuelle, et ce sont aussi ceux qui souffrent le moins des tentatives visant à restreindre l'exercice qu'ils font de leur liberté, notamment religieuse et politique.

Nous avons vécu ces mêmes années avec une mauvaise conscience latente installée en nous par la culture dominante comme forme de rétribution et de punition symbolique qui nous maintenait, inconsciemment souvent, dans l'état de minorité où l'on maintient les enfants. Ce pare-feu idéologique qui s'est imposé à nos aînés, et vis-à-vis duquel, d'ailleurs, ni eux, ni leurs parents, n'étaient toujours exempt d'une certaine responsabilité, il nous faut, certes, le prendre en compte, mais à la seule condition de le questionner, c'est à dire de lui faire subir l'examen clair de la vérité historique où le temps se révèle être un allié précieux dont l'objectivité implacable balaye souvent les tentatives de manipulation qui président en général pendant les périodes de conflit et ultérieurement…

On ne nous laissait envisager notre réflexion sur nous-mêmes qu'en établissant les preuves plus ou moins avérées d'une culpabilité, souvent handicapante, qui provoquait un amoindrissement souvent vécu comme une rétrogradation en seconde division. Nous étions tenus de ne faire que recevoir ce qui s'imposait à nous, accepter sans le passage requis au filtre préalable de notre esprit critique, des dogmes qui nous éloignaient de nos racines. Ce faisant on nous privait des chances de concevoir les contributions fondamentales que nous aurions pu apporter au débat mondial.

Ce fameux débat n'existait en fait que sous la forme d'un long monologue où nous étions contraints d'engrammer ce qui nous arrivait sans capacité d'initiative retour. On ne pouvait envisager la vie des idées, y compris au niveau national, que comme l'illustration d'agendas définis de l'extérieur. Nous nous réveillons actuellement de ce long sommeil avec la conscience encore floue pour certains, très claire pour d'autres, d'avoir été hypnotisés, distraits des véritables enjeux que nous aurions du sinon définir, au moins être amenés à partager la définition.

Nos élites, une part des élites qui conduisaient notre réflexion et le regard que nous pouvions porter sur nous-mêmes et sur les autres, nous ont maintenus dans des débats strictement nationaux et nous ont finalement empêchés d'avoir accès au reste des réflexions qui auraient pu naître en Europe et dans le monde. La focalisation unidirectionnelle qui se faisait autour d'une culture dominante, inappropriée et souvent médiocre, était une ruine de l'âme au regard de siècles de tradition européenne, au regard de l'excellence des lumières ou de la renaissance.

Au nom de cette mauvaise conscience, farouchement entretenue par certains, nous nous sommes mis à délaisser notre propre culture, à la vider de sa vie, de sa vigueur, de ses concepts, et de son sens pour lui substituer le spectacle passif de courses de bagnoles ou de concours de flingage dans le décor en carton pâte général des héros moraux, certes positifs, mais il faut bien le dire — alors n'hésitons pas à le dire — assez peu épais sur le plan psychologique des cow-boys de Westerns.

Or les années qui se sont écoulées depuis l'événement incommensurable qu'a été la chute des deux tours de New York ont vu un bouleversement symbolique, presque un retournement des valeurs et résolutions que cet événement qui avaient directement produit. Il apparaît aujourd'hui que les choix stratégiques issus des réflexions qui se sont alors imposées, étaient en grande partie infondés et susceptibles de provoquer des effets pervers dont la nocivité ne pourra être purgée qu'après un temps très long. La guerre s'est étendue, le terrorisme n'a jamais été aussi important, le fondamentalisme a gagné toutes les élections qui ont eu lieu dans le monde arabe, même chez ceux qui pouvaient raisonnablement être considérés comme modérés, y compris dans les foyers traditionnellement progressistes, comme le sont en général les universités. Il bénéficie, qui plus est, d'une sorte, là aussi, de retournement idéologique puisque les événements d'Abou Grahib accréditent la thèse que les démocraties utilisent des moyens attentatoires à la dignité humaine, et cherchent à passer en regard, pour ce qu'elle ne sont pas, c'est à dire des refuges contre la déshumanisation du monde. Pourtant le frères musulmans et leurs comparses des différents partis islamiques parvenus au sommet du pouvoir refluent actuellement. Peut-être est-ce que la mise en avant de valeur antidémocratiques, un système de valeur exagérément attentatoire aux libertés publiques ne font-ils pas bon ménage avec la transparence des moyens d'information et de diffusion du savoir actuels. Il est possible que seules les sociétés véritablement démocratiques peuvent répondre durablement face à une telle puissance informationnelle.

Internet a créé les conditions d'une forme de normalisation politique par le haut qui rogne insensiblement toute tentative réelle ou supposée de contrôle abusif, alors même que c'est un outil policier de premier ordre. Face à la masse, les pouvoirs centralisés ne  sont pas en mesure d'imposer des logiques totalitaires sur des périodes longues de leur existence. Ils sont condamnés à faire positivement évoluer leurs modèle ou ils subiront un à un et la critique et la révolte de leurs populations, comme on le voit en Turquie ou en Iran. Cette donnée nouvelle, à l'origine du pseudo-choc de civilisations dans un premier temps, comme pouvaient l'avoir été en leur temps, et face à l'imprimerie de Gutenberg, les guerres de religion est en train de produire quasiment le même type d'effet. A savoir une sortie, certes très progressive mais avérée, de l'obscurantisme religieux et la marche vers une société renaissante et à terme un nouvel âge des lumières, comme cela a été le cas en France au XVIème siècle. Elle donc est aussi à la source des printemps arabes, se trouve être la conséquence directe d'une stratégie du contournement, caractéristique fondamentale d'internet. L'information impossible à étouffer agit comme un principe révélateur qui exclut celui qui cherche à exclure, et inclut celui qui cherche à inclure. Elle fait apparaître au grand jour la nature illégitime des dictatures et récompense la générosité, l'ouverture, la solidarité,  l'attention au autres et le travail destiné à faire progresser l'humanité.

En ce sens, elle est du coté des valeurs social-démocrates, et sera nécessairement amenée à leur faire acquérir une dimension nouvelle. Or, paradoxalement, le modèle social qui s'impose insensiblement partout, et parfois cruellement, à la grande  majorité des salariés du monde, est un modèle néolibéral, néocapitaliste — pour utiliser un vocabulaire plus précis — assez peu respectueux de ce que les conquêtes du droit social en général, et du droit du travail en particulier, avaient pu produire dans le but de garantir cette même dignité humaine. De plus en plus de nos concitoyens subissent l'authentique violence de ce modèle, fait de totale "flexibilité" du travail et d'abandon progressif des conquêtes enregistrées par les pays dits développés. Il prétend imposer l'échelle planétaire, qui est la seule grandeur qu'il fait mine de reconnaître, travaillant à éliminer ou à restreindre la capacité d'intervention et de décision de tous les autres cadres, afin de viser le plus petit dénominateur social mondial.

Il a donc recours à un mécanisme d'une simplicité déconcertante dont le négociateur le plus  incompétent est capable : menacer de faire jouer la concurrence pour faire baisser les prix, et ce à l'échelle globale. C'est bien là un des éléments constitutifs de la mondialisation. Et comme il y a toujours pire, ou moins disant, humainement parlant, on tend naturellement vers le bas, ce que tous les employés du monde occidental constatent, voyant leurs salaires baisser, leurs conditions de travail se dégrader, quand on ne les licencie pas purement et simplement, leurs usines étant délocalisées, en réalité dévitalisées. Un mécanisme est à l'œuvre qui expurge la substantifique moelle des corps sains où elle se trouve, pour la livrer aux forces et à la logique du marché, elle même devenue ponctuellement folle parce que, sous-tendue par du trading à haute fréquence, elle connaît un emballement sans précédent. En d'autres termes, ce sont des machines pilotant des opérations que les hommes sont de moins en moins en mesure de contrôler, voire d'orienter.   Les ouvriers comprennent désormais cette logique qui leur apparaît clairement, là où ils se trouvent, mais ils disposent rarement des tenants et des aboutissants globaux. Ils constatent, dans la seconde qui suit, leur  impuissance supposée face à ce mouvement "sans queue ni tête" et donc, en principe, insaisissable... Ils sont pourtant fondés à l'infléchir à terme, car celle-ci se révèle par endroit contraires aux intérêts humains fondamentaux. Ils seront nécessairement en mesure de le faire tôt ou tard car c'est un ardent devoir de corriger une machine qui produit des effets dont certains peuvent s'avérer contre-productifs.

En effet, l'application la recette ultra-libérale s'avère être un levier puissant : s'il existe moins cher ailleurs, alors on menacera d'aller vers cet ailleurs dans le but de payer moins cher là où on se trouve. D'où le côté extrêmement dangereux de l'adage idéologique : Think Global, Act Local, qui traduit ce parti-pris. C'est à dire cette réduction du point de fuite idéal qui se fixe et vers lequel il prétend tendre, à savoir un niveau de rétribution du travail quasi-dérisoire, voire, dans l'idéal entrepreneurial, un voisin de zéro. Cette logique à terme consiste à rétablir une forme de servage moderne, faisant éclater les classes moyennes, imposant une société duale séparée entre ceux d'en haut et ceux d'en bas, et même, des fossiles mentaux traînant encore dans la tête de beaucoup de ceux qui se sont fixé ces objectifs, d'esclavage pur et simple... Si les niveaux des rémunérations augmentent dans les pays émergents, c'est parce qu'il est de l'intérêt de l'économie que les gens aient des moyens de paiement accrus, afin d'absorber la production locale.

L'Europe ne peut pas se reconnaître dans ces valeurs, qui ne sont pas les siennes et menacent le modèle existant qu'elle cherche à préserver. Le plus grave est que si ces préceptes étaient indéfiniment prolongés, ils risqueraient, de remettre en cause son modèle de cohésion sociale. C'est inacceptable et c'est pourtant bel et bien ce qui s'est produit avec la crise de 2008. Crise énergétique qui s'est très vite muée en crise bancaire et financière, provoquant la mise en place d'un plus grand mécanisme de sauvetage bancaire de l'histoire par le biais des finances publiques et la création d'une dette géante. Le pire est que cette mesure vue comme indispensable à l'époque a grevé le budgets nationaux, alors amputés d'une part essentielle, qui a provoqué une cascade de conséquences négatives, notamment en matière sociale et de niveau de vie.

A l'heure où repartent pour de bon les économies mondiales, nous sommes en train de réaliser que cette conscience européenne et la pertinence des réflexions économiques qui ont vu le jour sur ce continent, ont manqué au monde, et qu'elles lui demandent aujourd'hui davantage encore, aujourd'hui. La pertinence des choix économiques à faire, à l'heure où l'accélération des processus de production ne font qu'accentuer les tendances quand elles s'expriment, est patente : elle demande de notre part de nouvelles conceptions, de nouvelles visions et une compréhension opérante de la réalité économique de notre époque. Nous avons vécu une phase particulièrement violente de notre histoire, une période également faite de réussites mais aussi et trop souvent, de souffrances internationales et d'instabilité.

L'Europe présente d'ores et déjà à cet égard, un visage neuf. Elle repart. S'étant établie par la négociation et la diplomatie, par la mise en commun des espaces d'échange économiques, c'est à dire qu'elle a su faire la part à un certain pragmatisme dont elle pourrait actuellement tirer les plus grands bénéfices. Sa vision est fondée sur la richesse et l'originalité du modèle économique qu'elle a su mettre en place lors des trente glorieuses. Celui-ci lui a permis de gagner d'autres combats, parfois moins spectaculaires, tel que l'évolution générale de son niveau de scolarité, celui de la qualité de ses formations professionnelles, ce qui a eu des conséquences vertueuses directes sur les niveaux de productivité de ses masses salariales, donc sur la croissance au fil des années. Pourtant beaucoup de ses schémas ne sont plus tout aussi opérants qu'autrefois, et il faut faire l'effort de mettre en place des structures nouvelles qui puissent leur apporter une plus grande efficacité.

Il est actuellement impossible de laisser aujourd'hui s'éroder cette exigence de qualité, de laisser ce haut niveau de développement professionnel insuffisamment employé en raison des trop larges proportions de la population salariée qui se trouvent souvent au chômage, alors qu'elle pourraient être réorientées vers des professions plus actuelles, faisant une plus grande part aux nouvelles technologies, qui offrirait à ces salariés des profils rajeunis et permettrait d'impliquer d'immenses bassins de populations dans l'économie réelle, qui sortiraient ainsi d'une l'aide sociale qui ne peut leur assurer des niveaux de vie suffisamment confortables. Il ne suffit pas de savoir se servir d'internet. Il faut développer des savoirs originaux qui nous permettent des mises en place nouvelles dans l'ordonnancement productif européen. Chaque fois, un mode de réflexion plus créatif permet de juguler la difficulté qui s'était présentée. Nous avons besoin de reconquérir la maîtrise de notre vie. Faire en sorte d'atteindre de meilleurs niveaux de pouvoir d'achat afin de rebâtir nos vies sous l'égide restaurée du choix et de la liberté.

Ceci contribuerait à instaurer un double cercle vertueux : augmenter la part de l'économie réelle tout en contribuant dans le même temps à réduire celle des prestations sociales, ce qui aurait pour conséquence supplémentaire de permettre le dégagement de marges de manœuvre. On créerait ainsi dans les finances publiques des capacités d'investissement qui permettraient de renforcer la solidité de la croissance qui se mettrait en place.

Les mécanismes mis en place par la BCE ont mis un terme à quatre années de crise de l'euro. C'est désormais un fait acquis et réaffirmé : l'euro est là pour durer. Ses mécanismes internes devront probablement être réajustés, au niveau de l'Eurozone, en vue de créer à terme l'organisme ) même de jouer le rôle d'autorité de régulation et de projection économique. Ceci afin de mieux respecter la part relative des économies nationales, mais ce qui prime en tout état de cause, c'est que la cohésion et la solidarité doivent être la règle. Une mutualisation des dettes parait être à terme être nécessaire avec la création d'un véritable budget européen, sous tendu, entre autres, par une TVA de deux points venant s'inscrire en péréquation des TVA nationales. Les enrobonds pourront alors voir le jour, leur statut et modalités étant alors définis pour apporter les éléments de richesse dont a besoin le continent. On le voit : nous disposons de solutions à même de juguler les difficultés que nous avons connues et de nous engager résolument sur la voie de la prospérité et de la stabilité.

 Il est aujourd'hui temps que naisse l'alternative dont le monde a besoin, un autre type de progrès économique, politique, social, éthique, artistique, architectural, technique, médical, humain, que seule l'Europe est aujourd'hui en mesure d'inventer pour que la planète, Etats-Unis compris, puisse ensuite le reprendre à son compte et en bénéficier... Ce sera un effort de chaque instant : chaque énergie sera sollicitée, chaque effort devra être récompensé.

La situation faussement statique de la guerre froide est dépassée. Après deux conflits majeurs, la chute du mur, et l'éclatement de l'URSS, la dynamique de paix qu'ont permis, entre temps, d'assurer seuls les américains n'est plus suffisamment stable. La puissance militaire est une chimère si elle n'est pas sous-tendues par une véritable puissance économique. Il s'agit que soient respectés les équilibres qui se sont établis, dans la compréhension implicite des besoins de chacun. Pourtant la tension politique en Ukraine a conduit à réaffirmer aux yeux des européens médusés, presque blasés face à l'utilisation qu'ils font de leurs pouvoir et de leurs droits démocratiques, la valeur et l'importance de leurs standards et modèle.

On voit que Le Nouvel Ordre du monde a touché à sa fin et un Nouvel Equilibre — a New Balance — est s'instaurée, plus stable, plus réaliste, et plus durable. On passe de l'unilatéralisme d'une position dominante, au multilatéralisme de multiples pôles solidaires entre eux. L'interdépendance est la règle. Elle doit permettre à une conscience mondiale d'émerger plus clairement encore qu'aujourd'hui. L'ensemble européen développe avec ses partenariats occidentaux un arc américano-européen et entre ainsi dans une nouvelle phase. Celle du libre-échange transatlantique. Ses positionnements conjoints en articulation avec l'Asie et la Chine, et l'Afrique, augurent d'un recentrage actuel, autrefois pressenti dans le pacifique et qui va en réalité s'établir sur le versant européen du monde, l'Union européenne redevenant dans ce contexte une puissance de rééquilibrage et le puissant moteur économique qu'elle n'a en fait jamais cessé d'être.

La pensée unique qui domine encore aujourd'hui, comme exténuée d'elle même, recelait un intrinsèque danger qui, dieu merci, a été évité grâce à une certaine coordination internationale, annonciatrice de la période, beaucoup plus pérenne, qui s'ouvre aujourd'hui. Le moment est venu d'imaginer ce nouvel équilibre, ces nouvelles directions à l'échelle d'un continent tourné vers l'ensemble du globe pour en renforcer la cohésion et la prospérité collective. Débarrassée de ses complexes, l'Europe peut jouer ce rôle de rééquilibrage et d'assouplissement de la violence d'une logique exclusivement capitalistique. Elle est la seule région susceptible d'amener une réelle alternative et la création du modèle que ce livre cherche à définir.

Les échanges européens, les allers et venues de citoyens dans l'union, la découverte qu'ils font de cultures, de langues, de principes d'organisation ou de cuisines qui ne sont plus tout à fait étrangers, sachant qu'ils font partie d'un ensemble dont la cohésion apparaît chaque jour un peu plus, marquent les pas décisifs faits dans cette direction. Nos destins individuels, notre histoire  commune sont liés et nos valeurs ne connaissent aujourd'hui pas de frontières, même si celles de l'union sont claires. La mise en œuvre de ces politiques, le développement de ce modèle, en partenariat avec les autres régions du globe, permettra alors de donner le jour à une société  moins oublieuse de principes philosophiques que l'on nous enjoignait d'abandonner et plus riche de possibilités d'évolution sociale dont nous bénéficierons tous à terme.

L'Europe, bien vivante, reprend son envol. Comme à chaque fois, elle a su régler malgré le temps qu'il lui fallu y consacrer, au cœur de difficultés sans nom, pour pousser en avant les problématiques qui se posaient. Les problématiques soulevés par la cour constitutionnelle de Karlsruhe à propos du rôle de la BCE, ont finalement été réorientées vers la cour européenne de justice. Cette semaine, trois bonnes nouvelles européennes d'un coup. La Grèce est parvenue à un accord avec ses créanciers de la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international). La Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe finalement a donné son feu vert à la création du mécanisme européen de sauvetage des pays de la zone euro en crise financière. Enfin, les Etats de l'Union et le Parlement se sont entendus sur les modalités de l'union bancaire, un nouvel organisme qui doit prévenir les crises bancaires et éviter qu'elles ne soient payées par les contribuables… Si l'Europe respire, elle vogue vers de nouveaux défis à relever avec la perspective des élections européennes. Elle a pourtant un certain nombre d'arguments à faire désormais valoir.

La longue marche du peuple ukrainien vers la liberté, avec le drame de la place de Maidan, démontre s'il en était nécessaire, la pertinence et la valeur des valeurs que porte et met en exergue l'Europe. La paix n'est pas une évidence : elle est une conquête permanente, constamment renouvelée. Et les modèles développés par le parlement européen permettent de garantir ces notions politiques et juridiques. Il faut que nous européens soyons les meilleurs ambassadeurs des valeurs de notre continent. Que nous soyons enthousiastes quant à la construction européenne, volontaires et capables de rectifier les erreurs faites. On constate, en parallèle de cela, que, après l'Irlande, les pays les plus en crise sortent maintenant de la récession. La Grèce retrouve une croissance de son PIB de 0,6% cette année, le Portugal de 0,8%, l'Italie de 0,6%, l'Espagne de 1%. Seule Chypre devra attendre 2015 pour sortir du rouge. Au total, l'eurozone atteindra une croissance de 1,2%, qui reste fragile, souligne la Commission, mais qui est sur le chemin de la consolidation.

Les incertitudes s'éloignent.

Les Européens se parlent et concluent des accords. L'euro n'est pas mort. L'Europe est toujours là. Elle reste un idéal de démocratie pour d'autres peuples. Aucun pays ne désire la quitter. Elle se construit difficilement, certes, elle a 12% de chômeurs, bien sûr, son dynamisme est insuffisant, bien entendu, mais elle résout ses problèmes. Son système si imparfait, si critiquable, lui permet quand même de trouver les moyens de sortir des ornières.

L'Europe a appris

Des millions de chômeurs paient l'erreur historique de l'austérité et des coupes budgétaires, mais cela ne se produirait plus comme ça, aujourd'hui. L'Europe a appris que la politique de rigueur n'est bonne que couplée à une politique de croissance, tous les efforts portent à présent sur celle-ci.

L'Allemagne y est prête. C'est la leçon du jugement de Karlsruhe. Même au coeur du coeur de l'Ordungspolitik, le message est passé. Les Grecs n'ont pas quitté l'euro. Les Allemands non plus. Vertu de l'austérité: la Grèce, comme l'Irlande, l'Espagne, le Portugal ont été contraints de changer de modèle de croissance pour ne plus dépendre, comme hier, que des facilités de l'euro. Cela a généré beaucoup trop de  douleurs mais c'est un fait: ces pays sont sur un chemin qui les conduira à trouver une place à la fois en Europe et dans la mondialisation.

L'Italie et à la France ont encore à construire la leur…

Est-ce que se dessine une nouvelle répartition des pouvoirs entre les trois autorités : le Conseil, la Commission et le Parlement ? Est-ce judicieux ? En tout cas, cela démontre aux Européens tentés par l'abstention l'importance du vote à venir. L'Europe sort bien vivante de sa première crise existentielle. Elle repart…
La France a intérêt à aller dans le sens de cette dimension européenne et de jouer à fond les cartes dont elle dispose, qui sont nombreuses et fortes. Elle doit opérer une mutation politique qui lui permette de mieux plaider sa cause à Bruxelles et de mieux peser sur les décisions qui sont prises dans ce cadre.  Elle doit être un support et un secours pour l'Europe, plus que d'être perçue comme la soit disant mauvaise élève de la classe, ce qui est loin d'être le cas. Beaucoup des députés français à Strasbourg sont malgré tout quasi inconnus du public. La France disparaît pour l'instant des commissions et vice-présidences importantes. Elle devrait développer des solidarités européennes majeures.

Elle doit aussi revoir sa politique communicationelle et médiatique à l'échelle continentale et mondiale qui est actuellement encore trop souvent indigente. On peut dire que la France actuellement manque à l'Europe… Or si la capacité à décider est fondamentale au cœur du pouvoir politique, celle à communiquer est au cœur de l'adhésion des citoyens en démocratie. Elle a donc une résonance particulière vis à vis de la construction européenne. La France parait donc doublement déficiente à ce sujet, mais la bonne nouvelle est qu'elle a deux volants de développement importants et relativement balisés et qu'il est presque facile de corriger. C'est pourtant bien la France qui est à l'origine première de la résolution de la crise de l'euro, grâce au travail remarquable de ses équipes qui ont réussi à infléchir l'intangibilité des principes sur lesquels reposaient les statuts de la BCE. C'est une bonne nouvelle pour l'Europe et le monde.

La France doit pleinement inspirer l'Europe comme elle l'a fait à sa naissance et lors de ses processus d'élargissement. Lui donner une dimension autre, comme projet global, aux service des dynamiques internationales, et en tant qu'ensemble garantissant l'inviolabilité des principes sur lesquels reposent ses droits fondamentaux et permettant de faire évoluer vers le haut tous les standards mondiaux en la matière. Dans dix ans, le continent devra être mieux intégré sur le plan politique, les nationalismes agissant comme des principes centrifuges qui remettent en jeu sa cohésion. Un groupe des cinq ou six, voire sept, plus grands pays européens doit se montrer soudé pour jouer un rôle moteur comme c'était le cas avec le couple franco-allemand. La France jouera un rôle décisif dans ce contexte. L'arc balkanique devra être réunifié sous la bannière européenne. L'Europe devra être plus forte économiquement, culturellement et socialement avec la concrétisation de grands projets innovants et de secteurs économiques nouveaux à part entière comme celui des biens immatériels et du numérique. Elle redeviendra un terrain propice à la création de start-ups et entreprises. Un endroit où l'enrichissement personnel redeviendra aisé. Il s'agit de créer une dynamique résolument moderne qui tienne compte des nouvelles technologies énergétiques et environnementales.

L'Europe deviendra alors l'exemple planétaire avec lequel auront plaisir et intérêt à coopérer toutes les institutions et gouvernements, son degré de ralliement potentiel étant très élevé. Un continent plus riche dans un monde plus riche. Une social-démocratie réinventée. Un ensemble à l'abri de la loi. Une dynamique propre au service de la prospérité et de la stabilité du monde. Créant à la fois du temps et de l'espace pour les peuples de la planète…

Pourtant il est clair que l'euro, malheureusement grevé par les défauts congénitaux à la base de sa création incomplète au départ, a créé des conditions de vie plus dures. Il apparait que beaucoup des prix ont été traduits en valeur absolue de francs en euros, alimentant une vaste opération de hausse des coûts de la vie qui appauvrit drastiquement de vastes proportions de la population française, notamment. Il aurait fallu une mesure parallèle de blocage des prix lors de son introduction. Mais, aujourd'hui, le pragmatisme voudrait que l'on facilite le quotidien des individus, des couples et des foyers en prenant des mesures d'incitation à l'accès au crédit. L'Europe souffre actuellement d'une potion amère d'austérité qui guérit le malade tout en lui otant son souffle vital.
De grands prix Nobel d'économie répètent inlassablement que les politiques actuelles font inutilement souffrir un corps social qui répond par un rejet des politiciens européens, en se jettant dans les bras de gens qui cherchent à les tromper, mais qui bénéficient actuellement d'une forme de complicité involontaire de leur part. Il est urgent que revienne une forme de prospérité plus grande et pour cela il faut penser Europe des peuples... Le Nein qu'opposent les allemands à toute forme d'inflation en zone euro est tout aussi dangereux que les racines qui ont conduit au deuxième conflit mondial, notamment en Europe. Le continent doit se méfier de ses vieux démons... Ne pas aimenter un ressentiment mortifère. Soigner les interventions à effectuer afin d'apporter les réponses qui sont attendues. Le quantitative easing est une forme de pragmatisme, dans la mesure où il revient à faire tourner la planche à billets, mais ses effets doivent directement bénéficier aux populations européennes, et pas seulement à des banques qui détournent une part de cette manne, pour la mettre au service d'une politique d'intervention sur les marchés qui devient une fuite en avant dangereuse, d'autant que les sommes engagées risquent de ne jamais bénéficier à l'économie réelle. Le trading à haute fréquence est un non sens à moyen terme. Il crée les conditions d'un débord périodique. La finance ne semble pas avoir appris de ses erreurs et reproduit des schémas qui ont conduit à la crise précedente. Il est urgentissime de réalimenter le corps social. Il est important de réaffecter les fonds qui sont normalement destinés aux nations. Redevenir raisonnables. Rendre à César ce qui est à César. A savoir la souveraineté budgétaire au plan individuel. Une fois intégré cet élément fondamental, les choix de vie pourront à nouveau se faire normalement et la richesse des nations suffisamment s'accroitre pour permettre, dans le cadre d'une philosophie de création des richesses verte, une véritable reprise économique, durable et juste.

Gilles Marchand
Paris, Juillet 2015




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