La
démocratie est aujourd'hui appelée à se réinventer d'urgence au sein
des relais et des institutions de l'action publique. Les citoyens
réalisent aujourd'hui qu'ils ne peuvent plus négliger la puissance
d'intervention que leur donne le fait politique. Retour en force d'une
idée neuve...
Le
besoin démocratique n'a jamais été aussi important. Partout où l'on va,
on sent la nécessité qu'ont les individus de s'exprimer et d'être
entendus. Des décennies de star-system ont créé les conditions d'une
valorisation de l'aura individuelle et de sa prise en compte dans les
rapports qu'elle entretient avec la société. Ce qui s'est produit pour
un nombre restreint de privilégiés tend à s'étendre à un nombre
toujours plus large d'individus. Un besoin de reconnaissance qui se
diffuse et vient rencontrer une aspiration pour un plus de sens qui a
une influence directe sur la manière dont est perçu le rôle de chacun.
Le politique est de retour. Le désir de s'associer à la recherche
commune de solutions et d'y faire entendre des différences quand c'est
le cas.
Or, la manière dont sont prises les décisions changent. Les différents
stades par lesquels elles passent, ainsi que le nombre de personnes
impliquées sont en train de se modifier, notamment en ce qui concerne
les collectivités qui sont dans l'obligation de réinventer la manière
dont elles agissent pour rester efficaces. Et on attend toujours plus
des hommes, notamment des maires, alors que ceux ci sont aux prises
avec des réglementations qui se multiplient, notamment avec l'arrivée
de l'Europe. On se dirige davantage vers une interaction avec les
usagers que vers une circulation verticale et unidirectionnelle des
décisions, sanctionnée à échéances fixes dans l'autre sens. Les hommes
politiques vont devenir des animateurs de la vie de leurs
circonscriptions, des médiateurs avec les centres décisionnels
extérieurs. Leur qualité reposera en grande partie sur leur habilité à
communiquer et à faire communiquer entre elles les informations
requises pour l'exercice du pouvoir. Ils joueront un rôle de relais et
d'interfaçage.
Ils sont donc pour la plupart obligés de s'entourer de nouvelles
compétences, et de nouveaux instruments. C'est une culture politique
nouvelle qui se met en place. L'information ne se trouve pas toujours
au même endroit, et ceux qui la détiennent sont de plus en plus variés.
Cette situation, si l'influence internationale des marchés sur les
structures étatiques existantes et les services publics ne remet pas en
cause leur existence, devrait donner naissance à un type nouveau
d'action publique, et à l'arrivée d'un personnel aux qualifications
plus pointues et plus différenciées. Les langues étrangères vont
devenir nécessaires à des niveaux plus larges. La culture politique de
ces hommes et de ces femmes devra donc être plus poussée et reposer sur
une frange plus étendue de connaissances communes notamment à l'échelon
européen. L'adage penser global et agir local prendra tout son sens
dans ce contexte.
Des instruments, voire des technologies, qui entourent, servent et
permettent la prise de décision vont se multiplier. L'informatique va
se développer au point de devenir un instrument commun de l'action
publique, présent à tous les niveaux, à tous les échelons et il sera
couplé à la sphère audio visuelle ainsi qu'aux technologies de
télécommunications. Bases de données et gestion multicritères des
champs d'activité vont se multiplier.
Il faudra donc que se constitue une culture politique renouvelée qui
sache gérer au quotidien des ensembles humains mais également de
perspectives suffisamment larges pour permettre cette nécessaire
évolution. Dans ce contexte la culture des anciens, empreinte de droit
et de règles normatives, sera précieuse dans la mesure où, par
couplage, elle permettra de réinventer les structures politiques qui
manquent aujourd'hui dans certains domaines.
Les évolutions ont été si rapides qu'une partie des appareils d'état
n'est plus adapté à certaines situations. Certains, inadaptés ou
obsolètes, autoritaires ou exagérément centralisés, n'ont pas résisté.
Aux régimes de Ben Ali, Moubarak et Kaddafi sont venus se substituer
des systèmes plus démocratiques qui ont d'abord fait le jeu des
courants fondamentalistes, avant de voir ceux-là mêmes qui prétendaient
imposer la Charia à leurs populations, être défaits par un biais ou un
autre. On assiste à six cents ans de distance à la réplique des
mécanismes qui ont conduit, via l'invention des livres imprimés, et la
diffusion des valeurs de civilisation gréco-latines dans l'ensemble de
l'Europe, à une renaissance moderne, toutes les caractéristiques
visibles de ces périodes étant comparables tant leurs points communs
sont riches, nombreux, et finalement confondants.
Avec le Renouveau de l'Europe, de nouvelles structures vont être
définies. Il faudra qu'elles tiennent compte de ces réalités nouvelles.
Meilleure est la période dans laquelle nous entrons parce que nous
disposons du recul historique indispensable et rien n'est plus puissant
que le sens de l'Histoire. Les consultations et les études peuvent être
réalisée pour des coûts largement moins importants que dans le passé et
surtout à échéances plus courtes. Elles doivent être garanties par le
secret du vote électronique. Dans ce contexte le retour par les
instruments adaptés de la décision individuelle dans l'action publique
sera un plus fondamental pour la démocratie. Il devra se faire dans une
totale transparence statistique, garantie par des instances de contrôle
multi-partites absolument irréprochables. Les nouvelles technologies
ont été intrusives et liberticides. Face à elles, il faudra savoir à
terme développer une forme d'immunité. Les marier d'une manière plus
équilibrée avec les libertés publiques et l'action politique. Peu
d'hommes politiques ont analysé ce thème dans leurs professions de foi.
Il est temps d'y réfléchir, car les enjeux sont énormes.
Cette prise de conscience et les décisions qu'elle induit, nous
permettra de résoudre l'équation ultra-compliquée de l'évolution
accélérée de démocraties qui ont besoin d'imaginer des configurations
auxquelles elles ne sont pas préparées. Chacun pourra alors donner le
meilleur de lui-même et ne pas se sentir exclu. Cette structure, ce
maillage en réseau devra permettre à l'individu, libertés, droits,
citoyenneté, intimité, prise en compte sociale, activités et loisirs,
réalisations personnelles et contributions collectives. Il faut
réinventer des repères qui nous correspondent et ne pas devenir
tributaires d'instruments qui autrement seraient des instances de
contrôle. La télévision interactive aura-t-elle aussi un rôle à jouer,
mais là comme ailleurs une culture, voire une attitude appropriée
vis-à-vis de son utilisation sont à généraliser. Des outils bien plus
puissants nous viennent. Entre réalité virtuelle ou augmentée avérée et
Web 3D, nous n'avons pas encore pesé toutes les conséquences induites
et décisions qu'il nous faudra prendre. Il faut éviter que ne se
mettent en place des instances antidémocratiques pilotées depuis des
zones de non droit. Le projet européen crée les antidotes précises de
ces situations.
Une culture commune qui commence par l'échange et le dialogue. Au delà
des printemps arabes, qui ont été la principale traduction de cette
aspiration des peuples, les manifestations de ce principe sont riches
et nombreuses. La décision du peuple grec de rejetter les politiques
d'austérité de la Troïka est à ce titre emblématique d'une possibilité
de Renouveau démocratique, mais il faut pour cela à l'Europe la
capacité de l'entériner. L'élection du président de la commission
européenne était aussi teinté de cette notion, dans la mesure où c'est
le choix des peuples au suffrage universel qui finalement a prévalu. On
assiste également à un recul salvateur de la foi dans le vote
électronique. Ces percées maintiennent une essence et un esprit
général, par delà les reculs que l'on a pu pressentir, l'affirmation du
rôle d'un petit nombre, la captation d'un pouvoir qui doit
nécessairement être redistribué dans toutes les couches de la société
civile, une forme de régression possible qu'il est nécessaire
d'évacuer. Elles permettent de conserver des standards qui s'ils ne
sont pas idéaux, comme le disait Churchill, sont les meilleurs que nous
ayons : "La démocratie est le pire des régimes possibles, à l'exception
de tous les autres". Nous sommes donc fixés, elle doit nécessairement
s'établir sous une forme plus large, kaleïdoscopique, susceptible de se
superposer à plus long terme aux grilles de lecture et de décisions
internationales. Ce serait là une bonne nouvelle, qui va néanmoins
demander toute notre vigilance, tant les tentatives de détournement de
la démocratie sont nombreuses et dangereuses.
Gilles Marchand
Paris, Juillet 2015
|