Le Renouveau démocratique
Par Gilles Marchand

La démocratie est aujourd'hui appelée à se réinventer d'urgence au sein des relais et des institutions de l'action publique. Les citoyens réalisent aujourd'hui qu'ils ne peuvent plus négliger la puissance d'intervention que leur donne le fait politique. Retour en force d'une idée neuve...

Le besoin démocratique n'a jamais été aussi important. Partout où l'on va, on sent la nécessité qu'ont les individus de s'exprimer et d'être entendus. Des décennies de star-system ont créé les conditions d'une valorisation de l'aura individuelle et de sa prise en compte dans les rapports qu'elle entretient avec la société. Ce qui s'est produit pour un nombre restreint de privilégiés tend à s'étendre à un nombre toujours plus large d'individus. Un besoin de reconnaissance qui se diffuse et vient rencontrer une aspiration pour un plus de sens qui a une influence directe sur la manière dont est perçu le rôle de chacun. Le politique est de retour. Le désir de s'associer à la recherche commune de solutions et d'y faire entendre des différences quand c'est le cas.

Or, la manière dont sont prises les décisions changent. Les différents stades par lesquels elles passent, ainsi que le nombre de personnes impliquées sont en train de se modifier, notamment en ce qui concerne les collectivités qui sont dans l'obligation de réinventer la manière dont elles agissent pour rester efficaces. Et on attend toujours plus des hommes, notamment des maires, alors que ceux ci sont aux prises avec des réglementations qui se multiplient, notamment avec l'arrivée de l'Europe. On se dirige davantage vers une interaction avec les usagers que vers une circulation verticale et unidirectionnelle des décisions, sanctionnée à échéances fixes dans l'autre sens. Les hommes politiques vont devenir des animateurs de la vie de leurs circonscriptions, des médiateurs avec les centres décisionnels extérieurs. Leur qualité reposera en grande partie sur leur habilité à communiquer et à faire communiquer entre elles les informations requises pour l'exercice du pouvoir. Ils joueront un rôle de relais et d'interfaçage.

Ils sont donc pour la plupart obligés de s'entourer de nouvelles compétences, et de nouveaux instruments. C'est une culture politique nouvelle qui se met en place. L'information ne se trouve pas toujours au même endroit, et ceux qui la détiennent sont de plus en plus variés. Cette situation, si l'influence internationale des marchés sur les structures étatiques existantes et les services publics ne remet pas en cause leur existence, devrait donner naissance à un type nouveau d'action publique, et à l'arrivée d'un personnel aux qualifications plus pointues et plus différenciées. Les langues étrangères vont devenir nécessaires à des niveaux plus larges. La culture politique de ces hommes et de ces femmes devra donc être plus poussée et reposer sur une frange plus étendue de connaissances communes notamment à l'échelon européen. L'adage penser global et agir local prendra tout son sens dans ce contexte.

Des instruments, voire des technologies, qui entourent, servent et permettent la prise de décision vont se multiplier. L'informatique va se développer au point de devenir un instrument commun de l'action publique, présent à tous les niveaux, à tous les échelons et il sera couplé à la sphère audio visuelle ainsi qu'aux technologies de télécommunications. Bases de données et gestion multicritères des champs d'activité vont se multiplier.

Il faudra donc que se constitue une culture politique renouvelée qui sache gérer au quotidien des ensembles humains mais également de perspectives suffisamment larges pour permettre cette nécessaire évolution. Dans ce contexte la culture des anciens, empreinte de droit et de règles normatives, sera précieuse dans la mesure où, par couplage, elle permettra de réinventer les structures politiques qui manquent aujourd'hui dans certains domaines.

Les évolutions ont été si rapides qu'une partie des appareils d'état n'est plus adapté à certaines situations. Certains, inadaptés ou obsolètes, autoritaires ou exagérément centralisés, n'ont pas résisté. Aux régimes de Ben Ali, Moubarak et Kaddafi sont venus se substituer des systèmes plus démocratiques qui ont d'abord fait le jeu des courants fondamentalistes, avant de voir ceux-là mêmes qui prétendaient imposer la Charia à leurs populations, être défaits par un biais ou un autre. On assiste à six cents ans de distance à la réplique des mécanismes qui ont conduit, via l'invention des livres imprimés, et la diffusion des valeurs de civilisation gréco-latines dans l'ensemble de l'Europe, à une renaissance moderne, toutes les caractéristiques visibles de ces périodes étant comparables tant leurs points communs sont riches, nombreux, et finalement confondants.

Avec le Renouveau de l'Europe, de nouvelles structures vont être définies. Il faudra qu'elles tiennent compte de ces réalités nouvelles. Meilleure est la période dans laquelle nous entrons parce que nous disposons du recul historique indispensable et rien n'est plus puissant que le sens de l'Histoire. Les consultations et les études peuvent être réalisée pour des coûts largement moins importants que dans le passé et surtout à échéances plus courtes. Elles doivent être garanties par le secret du vote électronique.  Dans ce contexte le retour par les instruments adaptés de la décision individuelle dans l'action publique sera un plus fondamental pour la démocratie. Il devra se faire dans une totale transparence statistique, garantie par des instances de contrôle multi-partites absolument irréprochables. Les nouvelles technologies ont été intrusives et liberticides. Face à elles, il faudra savoir à terme développer une forme d'immunité. Les marier d'une manière plus équilibrée avec les libertés publiques et l'action politique. Peu d'hommes politiques ont analysé ce thème dans leurs professions de foi. Il est temps d'y réfléchir, car les enjeux sont énormes.

Cette prise de conscience et les décisions qu'elle induit, nous permettra de résoudre l'équation ultra-compliquée de l'évolution accélérée de démocraties qui ont besoin d'imaginer des configurations auxquelles elles ne sont pas préparées. Chacun pourra alors donner le meilleur de lui-même et ne pas se sentir exclu. Cette structure, ce maillage en réseau devra permettre à l'individu, libertés, droits, citoyenneté, intimité, prise en compte sociale, activités et loisirs, réalisations personnelles et contributions collectives. Il faut réinventer des repères qui nous correspondent et ne pas devenir tributaires d'instruments qui autrement seraient des instances de contrôle. La télévision interactive aura-t-elle aussi un rôle à jouer, mais là comme ailleurs une culture, voire une attitude appropriée vis-à-vis de son utilisation sont à généraliser. Des outils bien plus puissants nous viennent. Entre réalité virtuelle ou augmentée avérée et Web 3D, nous n'avons pas encore pesé toutes les conséquences induites et décisions qu'il nous faudra prendre. Il faut éviter que ne se mettent en place des instances antidémocratiques pilotées depuis des zones de non droit. Le projet européen crée les antidotes précises de ces situations.

Une culture commune qui commence par l'échange et le dialogue. Au delà des printemps arabes, qui ont été la principale traduction de cette aspiration des peuples, les manifestations de ce principe sont riches et nombreuses. La décision du peuple grec de rejetter les politiques d'austérité de la Troïka est à ce titre emblématique d'une possibilité de Renouveau démocratique, mais il faut pour cela à l'Europe la capacité de l'entériner. L'élection du président de la commission européenne était aussi teinté de cette notion, dans la mesure où c'est le choix des peuples au suffrage universel qui finalement a prévalu. On assiste également à un recul salvateur de la foi dans le vote électronique. Ces percées maintiennent une essence et un esprit général, par delà les reculs que l'on a pu pressentir, l'affirmation du rôle d'un petit nombre, la captation d'un pouvoir qui doit nécessairement être redistribué dans toutes les couches de la société civile, une forme de régression possible qu'il est nécessaire d'évacuer. Elles permettent de conserver des standards qui s'ils ne sont pas idéaux, comme le disait Churchill, sont les meilleurs que nous ayons : "La démocratie est le pire des régimes possibles, à l'exception de tous les autres". Nous sommes donc fixés, elle doit nécessairement s'établir sous une forme plus large, kaleïdoscopique, susceptible de se superposer à plus long terme aux grilles de lecture et de décisions internationales. Ce serait là une bonne nouvelle, qui va néanmoins demander toute notre vigilance, tant les tentatives de détournement de la démocratie sont nombreuses et dangereuses.


Gilles Marchand
Paris, Juillet 2015




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