Les
rapports entre la santé et l’informatique sont en train de bouleverser
les pratiques thérapeutiques. La médecine du futur s'écrit
aujourd'hui...
Fin
du XXème et début du XXIème siècle : certainement une des périodes les
plus troublées et les plus complexes de l’histoire... Sur le terrain
des sciences et des technologies, se livre une des mutations les plus
profondes de la manière qu’ont les hommes de comprendre leur monde, de
dialoguer avec lui et de se soigner.
Alors que les activités humaines à venir sont en train de se modifier
radicalement comparé à celles qu’ils avaient l’habitude d’exercer, il
n’y a de cela que quelques dizaines d’années, et, par delà les
situations de la vie du “tous les jours”, les médias, par la nécessité
qui est la leur, de rendre compte du passage du temps, induisent aussi,
quels que soient leurs moyens et orientation, le flou d'événements
encore trop rapprochés pour que nous puissions bien les discerner. Un
paradoxe bien réel qui, parfois, ne rend plus trop possible une vision
d’ensemble des choses comme celle, alors nette, qu’avaient nos ancêtres
de leur monde.
Il peut être grand temps, aujourd’hui, d’essayer de lire entre les
images animées et les rêves de la vie, des phénomènes, à la fois, plus
amples et plus précis qui pourraient bien nous fournir ces réponses qui
nous manquent lorsque nous cherchons à comprendre pourquoi notre
société connaît les problèmes qu’elle traverse actuellement.
Et connaît des réussites, aussi.
La mutation à l'œuvre, plus que d’une mutation de la société, est,
d’abord, une mutation de l’homme lui-même, transformé, redéfini, parce
que sans cesse amené à réactualiser ses modes de vie. Un citoyen de la
fin du XXème siècle qui doit constamment remodeler les habitudes qu’il
avait acquises et ceci à un rythme toujours plus soutenu. Cela au
regard des dites nécessités d’un développement qui le dépasse et le
laisse parfois un peu décontenancé.
Plus que tout, il a aujourd’hui besoin de se rééquilibrer, de savoir ce
qui lui arrive et ce qui arrive à la planète sur laquelle il habite car
s’il ne lui est plus nécessaire de parvenir à une compréhension
globale, exhaustive de la situation du monde. Celui ci s’est tellement
diffracté atomisé, réfugié derrière des façades, disséminé en petites
zones d’activités sectorielles hyper spécialisées, qu’il lui échappe
désormais. Les possibilités qu’il a de se former ou de s’informer ne
peuvent pas non plus le lui faire pénétrer facilement.
Pourtant il est tout de même possible de lire entre les pas de
programme. Il est possible de comprendre la signification du phénomène
ordinateur dont la possession, pour une société, conditionne désormais
la réussite. Il est possible de prendre en compte les données de cette
évolution et de finalement nous sentir plus libres et plus sereins
aussi dans un monde dont nous percevons le sens.
C’est à cette découverte, à la compréhension de ce qui nous touche, de
nous-mêmes, en définitive, que nous vous convions à présent, à travers
un panorama de modifications dont il devient urgent de connaître les
risques et mais aussi l'étendue des promesses. Il est temps d'exercer
notre propre droit de regard, et de comprendre ce futur ex machina. De
lui donner sa dimension humaine. La notre.
Médecine et ordinateur.
Un homme individualiste, uni dimensionnel dans un monde
multidirectionnel : Voilà l’homme au sortir des années 80. Petit à
petit, poussé à adapter son comportement aux contraintes d’un milieu
qui le façonne, en retour, autant que lui-même le transforme qui
cherche en lui l'énergie, la capacité d'améliorer un monde encore très
imparfait dans lequel il vit un peu en stand-by.
Attendre ? Attendre qui ? Quoi ?
Le futur est là où on le crée... Il cherche son fil d’Ariane.
Dans une période troublée qui se grime des couleurs de l’Europe de la
fin du moyen âge alors ébranlée, au sein de sa structure même, par des
problèmes profonds d’inadaptation. Une Europe qui développait pourtant
ses échanges commerciaux, ses foires, et dont les savants commençaient
à échanger leurs savoirs. Une Europe où allait naître les temps
modernes.
Au début du quaddrocento, la médecine jouissait d’une fort mauvaise
réputation. En effet, le manque de cohésion d’une société en proie à
des difficultés de tous ordres, rendait déjà sensible la crise du monde
médiéval et les recherches entreprises par les savants de l'époque
étaient très controversées. Problèmes éthiques, désordre religieux,
dislocation économique, dysfonctionnements juridiques ou
administratifs, famines, calamités, guerres... Les médecins ont
commencés par être sacralisés, alors qu'ils ne savaient pas vraiment
comment fonctionnait l'organisme. Puis ils ont demandé à être respectés
comme tels à partir du moment où leur savoir s'est étoffé. Ils étaient
alors initiés et savants. On leur demande aujourd'hui d'être
responsables et une obligation de soin a vu le jour qui suppose une
quasi-obligation de résultat.
Aujourd’hui, l’Histoire, par delà les spécificités de la situation
actuelle, nous invite à assister en témoins au formidable retour de
balancier de son cours pas toujours très tranquille. Respiration des
civilisations. Les médecins d’avant pratiquaient la saignée,
raisonnaient “humeurs et esprits néfastes”.
Aujourd’hui, la guerre qui fait rage aux portes de l’Europe pour des
raisons ethniques et religieuses est-elle très différente des guerres
de trente ans ou de religions ? La peur inscrite de la bombe n’a telle
pas été notre peur de l’an mille ? Le Sida, lui aussi, n’est-il pas
justement cette peste noire du Moyen Age déclinée au mode présent ? La
malnutrition comme dans certains pays de l’Est, ou les famines en
Afrique, nous ont-elles tellement éloignés de nos ancêtres du treizième
siècle ?
A toutes ces questions il faut répondre par la négative. Non, nous nous
sommes effectivement différenciés des contemporains d’Hugues Capet ou
de Philippe le Bel mais, en deuxième lecture, notre monde présente
pourtant bel et bien d’étranges similitudes avec celui qu’il était au
mode médiéval. Celui-ci, d’ailleurs, n’était pas vécu pour ses
contemporains comme une période d’obscurantisme. C’est notre vision
d’hommes du futur qui l’a interprété de cette manière, avec
l’objectivité plus aiguisée que donne le recul du temps et aussi le
manque de précision du à la progressive extinction des témoignages en
faveur du prévenu médiéval.
Au milieu du désordre apparent, de la remise en question de l’idée même
de progrès, au milieu de la confusion générale se met pourtant en
place, en architecture parallèle, un monde nouveau qui est le fruit
d’un changement qui commence déjà à être partout repérable; ce
mouvement périodique de relance pendulaire des civilisations humaines.
Un mouvement qui modifie une à une les données du monde dit moderne
afin de lui substituer des modes de fonctionnement refondus.
A la renaissance les forces du renouveau allaient bousculer un
continent qui craquait de toutes ses coutures et ceux qui allaient
suivre, en déstabilisant l’ordre établi, prétendument immuable des
choses. Ils redéfinirent la nature à la dimension de l’homme... Et
c’est bien sur le terrain de la médecine en particuliers que ces enjeux
se manifestaient.
C’était bien de l’homme qu’il était question. Les recherches ont abouti
: découvertes algébriques, géométriques, rationalité : les apports de
la science à la médecine ont été déterminants avec l'étude du corps
humain. Anatomies et dissections ont engendrés des problèmes éthiques.
Avec les dissections, c'est l'analyse de l’homme qui s'est rationalisée.
L''identité entre art et médecine a été une des caractéristiques
principales de la renaissance : les planches anatomiques de Vésale
donnent lieu à leurs prolongements actuels. L'idée du développement
conjugué de deux secteurs traditionnellement séparés est typique d'une
d'une période de refonde avec un secours de l'imagerie numérique qui
devient fonctionnelle et va descendre à l'échelle de la molécule, avec
des répliques numériques du corps du patient, elles-mêmes sous-tendues
par une analyse du génome pour chaque individu à moins de 1000 dollar
le séquençage.
On peut dater le grand tournant autour de la compréhension de la
circulation du sang avec Ambroise Paré et les progrès de la chirurgie.
D'où l'influence des conflits et de la chirurgie réparatrice de la
première guerre mondiale avec les gueuse cassées. L’évolution des
techniques y est énorme : on trouve cette même capacité d'invention à
l’US Air Force, à l'US Navy ou à la Nasa, avec la créations des hommes
de synthèse, ou celle de la réalité virtuelle, grâce à Scott Fisher et
sa vision binoculaire…
Le développement d’une médecine médicamentaire ne date que de 600 ans
seulement. On quittait l'herboristerie et les soins par les plantes. Le
concept de l'hygiène développé par Semmelweiss lui valut l'hostilité de
toute la communauté médicale, mais permis de pratiquer une obstétrique
véritablement sans danger pour la mère et l'enfant au moment de la
naissance. Le problème des barrages psychologiques de la société n'est
pas nouveau. Des problèmes éthiques demeurent, même si on devrait
situer la limite dans l'interdiction absolue du clonage reproductif.
La modification des outils de soin est spectaculaire, au delà de
l'imagerie et de l'utilisation de la résonance magnétique nucléaire ou
du laser à rayon X. L'invention de nouveaux appareillages salue
l'importance naissante des machines qui nous conduisent à une
transposition robotique des gestes thérapeutiques. Les robots
chirurgiens et analystes biologiques, permettront des avancées
décisives. L'utilisation des puces ADN, permettent un diagnostic
instantané sur des lieux de soins qui peuvent être au cœur de zones de
conflits, produisant un renouveau de la médecine ambulatoire. On peut
directement savoir si un patient souffre du choléra ou le vacciner
bientôt contre le paludisme.
L'adjonction progressive de nouveaux appareillages de plus en plus
sophistiqués se fait grâce au développement des techniques de calcul et
d'analyse factorielle, un grand nombre de données pouvant être
traitées. Il faut par exemple trois milliards de caractères pour le
génome humain. Charles Babbages et Pascal ont été des précurseurs dans
un domaine qui allait directement conduire aux ordinateurs.
Les vaccins, les outils d’assistance, les reins artificiels, les
photographies aux Rayons X ( Röndghen X Strahlen) ont corroboré ces
découvertes en pénétrant sans infraction dans le cours. On peut d'ores
et déjà imaginer une chirurgie non invasive avec notamment les
nanotechnologies, et la nanorobotique… Les opérations seront assistées
par des nouvelles techniques de visualisation (exemple d’un pontage
coronarien). Les appareillages sophistiqués. L’analyse des phénomènes.
Les systèmes experts. La modélisation. Les médecins seront assistés par
ordinateur et une puissance machinique qui permettra une aide décuplée
au diagnostic. Chirurgie de pointe, biotechnologies, médecine
régénératrice, dépistage précoce des cancers, cellules souches,
thérapies ciblées et génique, imagerie, génétique seront le grands
secteurs de cette médecine du futur. DHEA, Viagra, Prozac, hormone de
croissance... Une nouvelle génération de pilules miracles promettent de
nous rendre la jeunesse, la mémoire, le sommeil, les cheveux ou la
sexualité de nos vingt ans. Quelles seront les véritables propriétés de
ces pilules ?
La RMN, la tomographie, l'irruption de la troisième dimension
participent tous de cette évolution. Les voxels qui permettent la
modélisation d’un homme de synthèse en relief sont du même ordre : on
crée un quasi-extra-terrestre, issus des terres immatérielles de
l’intelligence abstraite des ordinateurs.
La recherche génétique est une des pistes principale de l'évolution des
sciences. (la cartographie du génome humain par ordinateur a été
accomplie par une équipe française), la biologie moléculaire (prix
Nobel de Jean Dausset en 1980, et de Jean Marie Lehn en 1987), système
de non rejet immunitaire, et l'analyse des chocs particulaires. La
simulation dynamique de phénomènes complexes... L'utilisation des
cellules souches, les cellules IPS (iPS pour induced pluripotent stem
cells). Les baumes ultra-cicatrisants.
On trouve des exemples comme ADAM (Animated Dissection of Anatomy for
Medecine : Système fonctionnant sous Macintosh) qui se généralise dans
les facultés de médecine ou consultable sur IPad. Les exemples sont
désormais innombrables. Des traitements futuristes sont en gestation :
timbres, téléportation, modifications génétiques, etc...
La refonte de notre activité symbolique, touchant tous les domaines
d’activités humaines, redéfinit en profondeur la médecine. Ces
identités feront de la période qui s’ouvre, une ère où la médecine sera
probablement vécue de manière moins traumatique et où les connaissances
seront appuyées par des outils d’expérimentation toujours plus calibrés
grâce à l’adjonction de l’informatique venant dispenser les praticiens
d’une partie du travail traditionnel de thérapie pour se focaliser sur
des domaines ainsi mieux définis.
On peut aujourd'hui se projeter jusqu'à l'horizon de 2035, mais cette
évolution des techniques qui augurent de méthodes qui prolongeront la
durée de vie seront-elles accessibles à tous ou réservées à un petit
nombre. C'est tout l'enjeu d'une conquête démocratique du temps
historique et l'imminence du Renouveau amène à se poser ces
questions.
Gilles Marchand
Paris, Juillet 2015
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